Des géants trop grands

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Monstre géant
Dinosaures, éléphants et girafes atteignent de grandes tailles, mais ne rivalisent pas avec les êtres imaginaires de la science-fiction.
Plusieurs phénomènes physiques limitent la taille des organismes. Ainsi, le poids exerce une pression sur les os, dont la résistance doit être adaptée au poids de l'animal.
Un animal géant risquerait la surchauffe. Son métabolisme produirait beaucoup de chaleur qui s'échapperait trop lentement de son corps.
Le réseau de neurones et la vitesse de transmission des signaux sont aussi des facteurs limitants. Un animal trop grand ne réagirait pas assez rapidement.

LES AUTEURS :
ROLAND LEHOUCQ astrophysicien au CEA, à Saclay,
J.-SEBASTlEN STEYER paléontologue au CNRS-MNHN, à Paris

LES ŒUVRES DE FICTION REGORGENT D'ETRES GIGANTESQUES.

POURQUOI NE PEUT-IL EXISTER D'ANIMAUX AUSSI GRANDS ?
GALILEE SE POSAIT DÉJÀ LA QUESTION.


Cthulhu, King Kong, Godzilla, Shai-Hulud, Kaijus, les monstres géants de la science-fiction sont légion et leurs tailles hors du commun font de ces organismes des êtres particulièrement effrayants et puissants. Nous ne sommes pas naïfs au point de croire à l'existence de tels êtres, mais il est permis de s'interroger sur la pertinence de leur taille. Après tout, de gigantesques dinosaures, comme le Diplodocus ou le Brontosaurus (respectivement 35 et 22 mètres de long environ), n'ont-ils pas arpenté la surface de la Terre il y a plusieurs dizaines de millions d'années ?

Dans l'Univers, l'échelle des tailles varie d'environ 10 -15 mètre, pour le proton (et probablement moins pour les particules élémentaires), jusqu'à 1026 mètres, le rayon de l'Univers observable. Dans ces 41 ordres de grandeur, la vie telle que nous la connaissons est confinée dans un intervalle de seulement 8 ordres de grandeur : des bactéries, mesurant de l'ordre du millionième de mètre, aux arbres, dont les plus hauts atteignent 100 mètres.

Après la disparition des dinosaures et d'autres espèces de grandes tailles, c'est l'éléphant de savane d'Afrique qui détient le record du plus gros animal terrestre vivant : entre 6,5 et 7,5 mètres de long, 3 à 4 mètres de hauteur au garrot et une masse de 5 à 8 tonnes. En hauteur, il est dépassé par la girafe qui culmine à environ 5,7 mètres. Quels sont les critères qui sélectionnent la taille des êtres vivants ? Pourquoi ne pourrait on voir un singe, comme King Kong, rivaliser de taille avec des gratte-ciel ? Si la gravité semble être la contrainte principale, elle n'est pas la seule. Il y a aussi la chaleur produite par le corps de l'animal et la durée de propagation de l'influx nerveux.

King Kong 1933

LA GRAVITÉ IMPOSE SA LOI


La question de la taille des espèces vivantes n'est pas nouvelle, Dans la deuxième journée de ses Discours concernant deux sciences nouvelles, publiés en 1638, Galilée l'aborde dans le cadre plus général de la résistance mécanique des structures. Il écrit :

Il apparaît clairement que, si l'on voulait conserver chez un géant particulièrement grand la proportion qu'ont les membres chez un homme ordinaire, il faudrait soit trouver une matière bien plus dure et plus résistante pour en constituer les os, soit admettre que sa résistance serait proportionnellement beaucoup plus faible que celle des hommes de tailles médiocres ; sinon, à augmenter sans mesure sa hauteur, on le verrait plier sous son propre poids et s'écrouler. À l'inverse, on observe que, quand le corps diminue, les forces ne diminuent pas dans le même rapport, la résistance des corps très petits devenant même proportionnellement plus grande; ainsi je crois qu'un petit chien pourrait porter sur son dos deux ou trois chiens de la même taille, mais je ne pense pas qu'un cheval puisse porter un seul cheval, ayant la même taille que lui.
 

Pour quantifier les conséquences de la modification des dimensions du corps sur sa résistance, considérons deux organismes de mêmes proportions mais de tailles différentes, deux éléphants par exemple, l'un grand et l'autre deux fois plus petit.

Ce sont bien sûr les os des membres qui soutiennent la masse corporelle de nos éléphants (on parle d'ailleurs d'animaux graviporteurs). Le poids que peuvent supporter les os dépend de deux quantités : la résistance de la matière osseuse et l'aire de leur section. Il est aisé de comprendre que des os plus résistants ou de plus grande section seront capables de soutenir un poids plus important. Le poids est proportionnel au volume, donc au cube de la taille. La masse du grand éléphant est ainsi 23 = 8 fois supérieure à celle du petit, car ses trois dimensions (longueur, largeur et hauteur) sont le double de celles du petit éléphant.

En revanche, les os du grand éléphant ne pourront supporter des charges que 22 = 4 fois plus importantes que ceux du petit, la section de l'os ayant une aire qui varie comme le carré de la taille. Ainsi, la pression subie par les os des membres du grand éléphant, rapport du poids de l'animal à l'aire de la section des os, sera le double de celle subie par les os du plus petit.

Autrement dit, les os d'un organisme de petite taille subissent une contrainte plus faible que ceux d'un géant : ce dernier est donc mécaniquement moins résistant. Cette caractéristique d'origine géométrique implique qu'il existe une taille maximale à partir de laquelle un tétrapode (animal possédant des vertèbres et généralement deux paires de membres) a une masse si élevée que son squelette interne devient incapable de le soutenir : il s'effondre alors sous son propre poids. Dans le cas d'un tétrapode terrestre, cette taille maximale est de l'ordre d'une trentaine de mètres.

Pour repousser cette limite, la solution la plus évidente est d'avoir un squelette constitué d'une matière plus résistante que l'os. Galilée l'avait déjà compris. Autre solution : vivre dans l'eau liquide. En effet, la poussée d'Archimède compense alors le poids de la partie immergée du corps et diminue d'autant la contrainte subie par le squelette. Il est d'ailleurs manifeste que le plus gros mammifère marin, le rorqual bleu, est bien plus massif que l'éléphant d'Afrique : le premier pèse 150 tonnes, environ 30 fois plus que le second. Le rorqual est même plus massif que certains dinosaures géants (du groupe des sauropodes, à longue queue et long cou), dont la masse estimée n'est que quelques fois supérieure à celle d'un éléphant.

ATTENTION AU COUP DE CHAUD


Dinosaure

La gravité n'est pas le seul facteur limitant pour la taille. Un autre processus physiologique des organismes de grande taille peut aussi poser problème : la régulation de leur température interne. Les animaux à sang chaud (dits homéothermes) perdent de l'énergie, car ils sont généralement plus chauds que le milieu dans lequel ils évoluent. Ces pertes se faisant par la surface externe du corps, elles sont proportionnelles à l'aire du corps.

Ainsi, pour garder le même exemple, un éléphant perd plus d'énergie qu'une musaraigne étrusque (de longueur comprise entre 5,4 et 8,4 centimètres avec la queue), environ 1002 fois plus si leur rapport de taille est de l'ordre de 100. Par ailleurs, l'énergie nécessaire au maintien de la température interne est produite par une activité métabolique qui se déroule dans le volume du corps, 1003 fois plus important chez l'éléphant que chez la musaraigne. Finalement, le rapport entre la perte d'énergie par la surface et sa production dans le volume est 100 fois plus faible chez le pachyderme que chez le rongeur miniature. Encore un coup du rapport surface/volume...

Autrement dit, les organismes homéothermes de petite raille, affligés par une trop grande surface relativement à leur volume, doivent compenser leur plus grande perte d'énergie par une alimentation plus abondante. Ainsi, la musaraigne étrusque doit quotidiennement absorber l'équivalent de sa masse en nourriture, tandis que l'éléphant peut se contenter de seulement 5 % de sa masse. Cette constatation reçoit le renfort de la mesure de l'activité métabolique par unité de masse chez la plupart des organismes vivants : elle est proportionnelle à l'inverse de la puissance 1/4 de leur masse. Cette loi, découverte en 1932 par le chimiste suisse Max Kleiber, confirme que les organismes de grande taille ont, relativement à leur masse, des besoins énergétiques moindres que ceux de faible taille. Avec une masse de 1,8 gramme, la musaraigne est le mammifère actuel le plus léger et représente sans doute la limite inférieure de masse pour un animal à sang chaud vivant sur notre planète. En deçà, il serait sans doute trop difficile de maintenir une température interne constante.

•• En considérant le temps
que le signal arrive au cerveau,
un géant aurait des réflexes très lents

S'ils sont relativement favorisés en période de disette, les organismes de grande taille peuvent avoir quelques soucis de surchauffe si aucune précaution n'est prise. Ainsi, les éléphants d'Afrique ont de grandes oreilles qui les aident à évacuer leur chaleur interne. La double rangée de plaques osseuses que portaient sur l'échine les dinosaures herbivores de type stégosaures avait probablement plusieurs fonctions. Ces plaques régulaient probablement leur température interne : des vaisseaux sanguins, encore visibles sur les fossiles, irriguaient ces grandes plaques en losange, ce qui suggère qu'elles jouaient probablement un rôle dans la régulation thermique.

Quant aux grands dinosaures du groupe des sauropodes, ils étaient probablement à sang « froid », mais avaient une température interne supérieure à celle de l'extérieur car leur activité métabolique produisait une chaleur qui était évacuée par une surface insuffisante au regard de leur énorme volume. Ce phénomène, envisagé pour certains grands dinosaures, est nommé « homéothermie de masse ». Même si les monstres géants de la science-fiction ont un métabolisme lent, ils doivent quand même produire une grande quantité de chaleur, car ils sont volumineux. Ils pourraient risquer la surchauffe du simple fait de se déplacer, sans parler de ce qui se passerait s'ils faisaient un petit sprint !

IL FAUT BIEN TRANSMETTRE L'INFORMATION


illustration Des géants trop grands
Les organismes vivants doivent être sensibles à leur environnement et traiter l'information reçue. Cela nous amène à un troisième facteur qui limite leur taille. Regardons d'abord comment un organisme réel gère un stimulus externe. Une morsure, une brûlure ou une coupure produit au niveau cellulaire un signal électrique qui atteint généralement le système nerveux central afin de provoquer une réaction (la fuite, le retrait ou la contre-attaque dans le cas d'un stimulus agressif).

Comment se déclenche le signal électrique ? La concentration ionique (en ions sodium, potassium, chlore, calcium, etc.) de part et d'autre d'une membrane cellulaire est naturellement différente. Cette différence de concentration est source d'une différence de potentiel électrique, nommée potentiel de repos, qui est d'environ -70 millivolts chez la plupart des animaux. Le stimulus extérieur provoque un flux d'ions au niveau de la membrane de la cellule excitée. Il s'ensuit une modification de la différence de potentiel électrique et une « dépolarisation » de la membrane. Elle revient ensuite à son état normal (repolarisation) avec éventuellement une baisse au-delà des -70 millivolts de l'état de repos (hyperpolarisation). Ces différentes phases engendrent le signal électrique, nommé potentiel d'action, en un à deux millièmes de seconde.

Sur Terre, que vous soyez une limace (mollusque), un cloporte (crustacé) ou un puma (mammifère), c'est grâce au potentiel d'action que les informations de l'environnement sont transmises en permanence au système nerveux central. Chez la plupart des animaux (sauf les éponges et les placozoaires), le potentiel d'action est transmis par des cellules spécialisées, les neurones. Le nombre de neurones varie d'un organisme à l'autre : on en compte de l'ordre de 100 milliards chez l'humain - dont 500 millions environ se situent dans notre intestin - et 100 000 chez le homard ou le crabe.

A quelle vitesse l'information neuronale est-elle transmise ? Cela dépend surtout de l'épaisseur et de la nature des neurones, notamment de leur partie centrale nommée axone : plus le diamètre de l'axone augmente, plus la résistance interne baisse et plus la vitesse du signal est grande. Ainsi, de grands organismes tels que le calmar géant (jusqu'à 13 mètres de long, tentacules compris) ont des neurones dont les axones sont très épais, afin de transmettre le signal assez rapidement.

Mais ce n'est pas tout. Une substance principalement composée de lipides nommée myéline peut gainer certains axones et jouer le rôle d'isolant électrique, ce qui accroît la vitesse de propagation du potentiel d'action : cette vitesse peut passer de 0,5 à 10 mètres par seconde dans des axones sans myéline à près de 150 mètres par seconde avec myéline.

Même dotés d'axones à myéline, des êtres imaginaires de grande taille et ressemblants aux organismes terrestres, comme King Kong (un primate géant) ou Godzilla (un horrible reptile mutant ), seront donc très lents à réagir. En effet, le potentiel d'action mettra de l'ordre d'une seconde pour aller d'une extrémité de leur corps au cerveau. Leurs réflexes lamentables les rendent beaucoup moins dangereux qu'ils en ont l'air !

UN TRÈS GROS CERVEAU EST UN CERVEAU LENT


La durée de transmission de l'information neuronale limite aussi la taille du cerveau. En effet, pour qu'une pensée puisse se développer et agir utilement, il faut bien sûr un cerveau suffisamment complexe, mais aussi une « durée de pensée » suffisamment brève. La vitesse des transmissions neuronales étant de l'ordre d'une centaine de mètres par seconde, un signal nerveux traverse le cerveau humain en environ un millième de seconde. Durant sa vie, le cerveau d'un humain sera donc, selon ce modèle simpliste des pensées, traversé par plusieurs milliers de milliards d'impulsions nerveuses. Si notre cerveau était 10 fois plus gros, avec la même vitesse de propagation de l'influx nerveux et la même durée de vie, nous aurions 10 fois moins de « pensées » au cours de notre vie.

Pour être traversé par le même nombre d'impulsions que celui de l'humain, un cerveau de la taille du Système solaire et où la vitesse de transmission serait égale à celle de la lumière aurait besoin d'une durée de l'ordre de l'âge de l'Univers. Il est donc raisonnable d'affirmer que des organismes ayant un cerveau rivalisant en complexité avec le cerveau humain ne peuvent pas être trop grands, car, sinon, ils n'auraient pas le temps de penser à grand-chose. De ce point de vue, le « nuage noir » mis en scène par l'astrophysicien anglais Fred Hoyle dans son roman éponyme (1957), n'est guère plausible; avec une taille de l'ordre de celle du Système solaire, le rythme de ses pensées doit être extraordinairement lent. Pas facile de discuter avec lui, donc.

SANS NEURONES ET SANS CERVEAU


Notons enfin que les neurones ne sont pas obligatoires, car il existe d'autres cellules capables de transmettre un potentiel d'action. C'est le cas des cellules musculaires et endocrines, mais aussi des cellules tubulaires des plantes vasculaires ou « trachéophytes » (c'est-à-dire presque toutes les plantes sauf les mousses). Comme ces dernières transmettent le signal moins rapidement que les cellules animales, les grands végétaux communiquent plus lentement. C'est peut-être pourquoi J. R. R. Tolkien, dans le Seigneur des Anneaux (1954-1955), imagine de grandes plantes humanoïdes, les Enta, qui parlent et agissent très lentement. Il est aussi difficile d'imaginer un réseau planétaire de plantes connectées tel que celui mis en scène sur la planète Pandora dans Avatar (James Cameron, 2009). Notons enfin que, sur notre planète, le plus grand organisme vivant n'est ni une plante ni un animal ; il s'agit d'un champignon armillaire (AnniIlaria solipides) âgé de plusieurs milliers d'années et couvrant 9,6 kilomètres carrés dans les Blue Mountains de l'Oregon, aux États-Unis !

Revenons aux animaux. Le système nerveux central (qui centralise l'information, mais n'est pas forcément au centre de l'organisme) n'est pas obligatoire non plus ! C'est le cas des échinodermes (oursins, étoiles de mer, etc.) qui ont une sorte d'anneau ramifié entourant la bouche (système nerveux péribuccal) et d'où partent cinq cordons nerveux. Il en est de même des arthropodes (crustacés, insectes, arachnides, etc.) dont le système nerveux dessine une sorte de « corde à nœuds » dans l'ensemble du corps, avec parfois des ganglions au niveau de la tête et de l’œsophage. Faut-il imaginer Godzilla, King Kong ou d'autres monstres géants avec des systèmes nerveux d'oursins ou d'araignées géantes ? Cela améliorerait sans doute leurs réflexes en distribuant les centres de commande musculaire.

Si la science-fiction met souvent en scène des êtres extraordinaires, la vie réelle explore et teste des possibles qui peuvent surprendre, voire dérouter : toutes deux nous rappellent que l'évolution est une incroyable source de questions, d'inspiration et d'émerveillement.

Source :
Pour la Science n°478 – Août 2017


En complément de cet article instructif nous vous proposons de visionner l'interview de Hassan Bodhi au sujet des Arbres Géants et tout ce qu'on cherche à nous faire croire.


Interview réalisé par José Bouillon de Miasme TV

Dramatic.fr est partenaire avec http://www.miasme.com et sa chronique des Portes Ouvertes sur ....
 
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