Libéralisme dystopique

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Si les utopies et contre-utopies révèlent leur époque, il est logique de penser que chaque époque peut révéler ses utopies et dystopies. Autrement dit en recherchant les caractéristiques évoquées pour ces deux concepts nous devrions pouvoir déceler dans notre société la présence sournoise de composantes négatives suffisamment incrustées dans nos mœurs et habitudes pour que nous n’en soupçonnions pas la nature pernicieuse ou l’intention aliénante. Il est clair que nous devons éliminer d’entrée tout ce qui concerne les tyrannies, fascismes et autres intégrismes qui sont entrés dans le domaine de la maladie déclarée, et il qu’il nous faut orienter nos recherches vers les incubations discrètes qui sous couvert de l’axe du bien ou tout autre alibi, nous préparent nos épidémies de demain. Pour être clair, dans le cas des dystopies qui est celui qui nous occupe en priorité, on devra pister les symptômes qui feront apparaître une possible manipulation des masses afin qu’elles en arrivent à considérer les élites qui les dominent comme une composante naturelle et inaltérable de l’équilibre social, et leur soumission à cette élite comme une loi de la nature.


Pas besoin de chercher bien loin d’exemple symptomatique. L’état américain vient de donner (2009) 270 milliards de dollars aux organismes de crédits et banques pour les sauver de la faillite. 10 milliards sont venus renflouer Goldman Sachs qui s’est empressé d’affecter ces liquidités au paiement des primes annuelles de ses 443 dirigeants (12 milliards) et à l’occasion, de les récompenser de la baise de 47% des résultats pour 2008. Bienvenue dans le monde merveilleux à cette classe Alpha méprisant les masses subalternes comme nous l'a décrite Huxley. Alors qu’en pensent nos Epsilons d’outre-Atlantique ? Leurs maisons saisies pour rembourser leurs prêts ont été en grande partie saccagées et mises en vente pour le dollar symbolique, mais le rêve américain est sauf. Chez ces gens là, Monsieur, on ne se plaint pas, on ne demande pas ce que la nation peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour elle. Chez ces gens là on trime dur pour la survie du rêve américain et payer les impôts qui servirons à engraisser l’élite porcine. Chez ces gens là évoquer la sécurité sociale pour tous, ou une retraite décente à un âge respectable sont des trucs de socialistes, comprenez communistes, cette engeance qui vous fait travailler pour payer les flemmards atteints de cancer.

Nous avons là notre premier repère dsytopique, l’existence d’une classe subalterne collaborant par conformation psychologique à sa propre soumission. Ici l’adhésion au mythe du héros, trimant dur, pour le bien de la nation est un quitus qui vous accorde le titre de patriote, la considération de vos voisins, le respect de vos proches, et une réservation en première classe au paradis. Les autres, ces capitalistes anonymes de Goldman Sachs et consorts peuvent s’en mettre plein les poches car ils sont l’étoile du berger, la preuve impérissable que, dans ce pays où la religion fait de la réussite un signe d'élection divine, chacun un jour peut accéder au royaume du dieu dollar.

C’est justement le capitalisme qui nous offre notre deuxième jalon dystopique celui de l’anonymat de la caste des maîtres. L’entreprise économique majoritairement anonyme représente bien une caste informelle et presque virtuelle qui constitue la race des Alphas. Conseils d’administration, actionnaires, fondés de pouvoir, mandataires sociaux, prêtes noms, fonds d’investissements, de pensions, systèmes financier opaques protégés dans des paradis fiscaux, sont autant de paravents, de sorte de cache-richesses qui se réfugient derrière le système anonyme dont les traficotages producteurs de dégâts sont élevés au rang d’une fatalité comparables aux famines, sécheresse, ouragans, qui comme les subprimes finissent par mettre chacun sur la paille (enfin pas tous !). Cet exemple yankee n’est pas choisi au titre d’un anti-américanisme politiquement correct, mais tout simplement parce que les USA en temps que leaders finissent par imposer leur loi. Mais attention, nous sommes ici confrontés à une situation originale. Nous avons fait remarquer que les utopies partant à l’assaut de la réalité finissaient par s’y dissoudre ou se transformer en contre-utopie. Or il semble bien que nos sociétés occidentales soient en partie la création d’une expérience utopique. Celle-ci, contrairement au destin des utopies ne s’est pas liquéfiée mais s’est adaptée pour devenir une sorte d’alibi propagande au service de la dystopie. En d’autres termes l’utopie de plus en plus vidée de sa substance sert de leurre mis au service de sa rivale, le libéralisme dystopique.

Il serait tentant de désigner le mythe du rêve américain comme titulaire de ce rôle de cocu. Cependant sa doctrine individualiste, élitiste et profondément inégalitaire le disqualifie d’office. Plus simplement l’élue nous concerne tous et c’est notre modeste démocratie. Celle-ci a modifié profondément la donne. Les états nations qui jusqu’à lors étaient fondés sur l’inégalité mise au profit d’une caste régnante, se sont mis au service de l’égalité et de la solidarité nationale. Pour parvenir à ce résultat les états ont contraints l’économie dans un cadre légal destiné à limiter tous excès pouvant porter préjudice à l’idéal démocratique. Si une certaine injustice mondiale est née de ces démocraties colonialistes, on pouvait au moins espérer qu’il s’agissait d’une situation transitoire permettant de jeter les bases d’un nouvelle égalité.

Quoiqu’il en soit les démocraties ont soumis tous les pouvoirs à l’autorité politique et ceci concerne en particulier le domaine de l’économie. Le libéralisme et en particulier l’ultralibéralisme prônent une idéologie opposée. Pour eux l’équilibre économique et donc social s’obtient grâce à un marché totalement libre de toute intervention de l’état, autrement dit totalement dérégulé. Cela signifie que le marché doit pouvoir établir ses propres règles sans avoir à tenir compte du contexte idéologique qui fonde les états nations. La où la démocratie pose comme base l’égalité, et la solidarité, et une économie autant que possible au service de l’homme, le marché oppose la loi de la jungle, le chacun pour soi, et l’homme au service d'une économie anonyme et dystopique. Les monarchies jetées par la grande porte reviennent par la fenêtre au travers des systèmes oligarchiques et ploutocratiques des multinationales qui s’imposent comme autant d’états nations définissant leur propres territoires, érigeant leur nouvelles dynasties et projetant leurs conquêtes au moyen de la mondialisation et rétablissant des droits féodaux dans leurs empires. Dans cette affaire la liberté du commerce ne se limite pas à déréguler, mais bien à prendre le pouvoir, et mettre le politique à disposition, ce qui est malheureusement bien avancé. Pour cela il ne sera pas besoin de détruire les démocraties mais seulement de leur laisser faire illusion, de laisser ses dirigeants se faire des guerres de façade entre lambris dorés des républiques et les diners subventionnés par les partis, et jouer les indispensables en redistribuant aux uns l’argent piqué aux Delta moyens.

Vision paranoïaque ou réaliste, ce sera à chacun de décider en fonction de sa propre relativité dépendante encore une fois de son point d’observation qui sera bien entendu différent selon que l’on soit traders à Londres ou ouvrier de Renault à Sandouville. S’il est naturel de chercher des refuges dans des positions sécurisantes et de tout faire pour s’y maintenir, il est tout aussi important d’admettre qu’une société évoluée doit être solidaire faute de revenir à la loi de la jungle et au chacun pour soi. L’égalité est un leurre de philosophe dans lequel les démocraties pataugent et les totalitarismes se noient. Si chacun doit en revanche avoir sa chance à part égale, chacun n’est pas égal et c’est la force des systèmes justes et équitables de compenser, et seul l’homme et ses dieux dont il n'est pas sûr, sont de cet avis dans cet univers de cruauté.

Pourtant dans une sorte de reniement à la Judas, nous nous demandons si cet humanisme avec ses démocraties incertaines n’a pas introduit dans le système une sorte de bug contre toutes les lois de la nature qui sont toutes fondées sur la prédation et la sélection naturelle. Se pourrait-il aussi que les rêves utopiques annoncent la fin d’une race dès lors qu’ils entendent introduire une notion si étrangère à l’univers, la défense du plus faible. Peut-être est-il justement dans l’original destin de l’homme de s’émanciper de l’égoïsme de la bête pour aller vers le partage de l’esprit, mais il s’agit là encore d’une utopie qui comme certaines promesses n’engagent que ceux qui y croient.


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