Egalité, liberté et propagande dans les mondes utopiques

Propagande
Nous devons donc admettre que la notion d’utopie apparaît dès lors qu’une réalité proposée nous semble peu crédible si nous la comparons à notre propre réalité. Utopia comme tous les autres avatars du genre suppose donc qu’en offrant aux communautés humaines plus d’égalité et finalement de justice, on découvre la pierre philosophale qui apportera l’âge d’or. Cette utopie est avant tout celle d’une époque qui reste soumise à l’autoritarisme de castes héréditaires et qui cherche à interrompre cette dynastie des privilèges en proposant une société fondée sur une valeur contraire qui seule peut mettre fin à ces injustices de classe, l’égalité. La société utopienne est donc chargée par son auteur de nous proposer un monde dans lequel l’égalité est obtenue par la suppression de toute forme de hiérarchie. Cependant pour émanciper les individus l’utopie entend remplacer les contraintes de classes en interdisant toute distinction sociale pour imposer un nouveau carcan interdisant cette fois toute distinction individuelle. Pour parvenir à ses fins Utopia applique un nivellement et une surveillance à tous niveaux.


L’organisation quasi militaire des structures sociales, la construction des villes et des édifices selon une géométrie invariable et répétitive sensée souligner l’idéal égalitaire sont autant de traits typiques des sociétés utopiques bien plus proches des systèmes totalitaires que des paradis perdus. En Utopia, punir de mort toute personne qui récidiverait à entreprendre un voyage non autorisé est là aussi une curieuse conception du bonheur, et on pourrait multiplier les exemples qui sont de la même veine. La vérité est qu’Utopia et ses compères utilisent les mêmes armes que les fascismes et autres autoritarismes qu’ils prétendent combattre, en proposant des conclusions falsifiées à leur prétendue expérience d’un nouveau monde. Rien ne dit finalement que les utopiens sont heureux, mais seulement que leur société est faite pour les rendre heureux.

Mais nous ne devons pas oublier qu’en proposant une société parfaite et heureuse les auteurs de ces fictions veulent avant tout répondre à des préoccupations humanistes destinées à améliorer le sort de leurs contemporains en réduisant les sources d’inégalité et d’injustice. Il ne serait pas productif dans leurs objectifs immédiat d’annoncer que l’égalité ou la démocratie seraient une des moins pires solutions car dans ce cas à quoi bon se battre pour un monde imparfait et incertain. A la vérité en affirmant aboutir sur une société parfaite les utopies font l’impasse sur les questions auxquelles elles ne peuvent ni ne savent répondre.
A vrai dire, les auteurs qui sont loin d’être des imbéciles on véritablement le cul entre deux chaise. D’un côté ils poussent leurs contemporains à s’émanciper des différents jougs qui les oppriment, et déposent à leurs pieds l’image d’une société en partie libérée de ces inégalités, mais d’un autre côté ils savent aussi qu’il n’existe pas dans la nature humaine de disposition naturelle à se satisfaire de l’égalité et peut-être même du bonheur. Ces auteurs savent sans doute qu’aucune utopie ne peut apaiser ces besoins que l’homme a d’entrer en compétition avec ses proches animé par sa convoitise, sa jalousie, et y exercer son goût immodéré pour les chicanes.

En fait les mondes utopiques ne fonctionnent que par anesthésie de toutes les prétentions humaines de se distinguer, se valoriser, se hisser au dessus des autres pour obtenir leur admiration, leur affection ou leur soumission, autrement dit pour atteindre ce monde parfait individuel où nous sommes devenus roi au mépris de toute égalité.

Le délire utopien pèche par excès et pour promouvoir son obsession égalitaire va jusqu’à s’attaquer à toute forme de liberté considérée comme la source même de l’inégalité. Etablissant un véritable régime policier le dictat utopien s’insinue jusque dans les plus individuelles des pulsions, l’affectivité et sa proche parente la sexualité. Celle-ci doit être contenue dans des règles uniformes interdisant tous choix personnel. Les utopiens ne peuvent avoir de relations sexuelles avant le mariage, l’adultère est puni d’esclavage et sa récidive de mort. Le rapport aux enfants et à la famille est désinvesti de tout affectif à telle enseigne que ces enfants peuvent être « mutés » dans une autre famille en cas de surnombre. L’utopie veut nous forcer à nous détacher et c’est sans doute ce qui la rend si intrusive sur la question de la sexualité. Elle pense que la source de tout le malheur humain est l’attachement à sa maison, ses enfants, ses amis, son pot de fleur, et qu'éradiquer ce mal sera la condition du bonheur. Avec leurs prétentions à nous contraindre les utopies heurtent inévitablement notre affectivité, et de leur impossibilité à nous convaincre de la validité de leurs arguments nait notre rejet. C’est là sans doute une des raisons pour lesquelles le terme d’utopie lié à un prétendu monde positif du bonheur, s’est finalement assimilé à l’usage aux termes négatifs d’illusion, chimère et autres contenus péjoratifs. Par bien des côtés les utopies littéraires agissent en propagandistes dévoués à leurs objectifs et rejettent toute contradiction gênante aux oubliettes. L’utopie va jusqu’à fondre bonheur et monde parfait dans une même moule sans remarquer que cette perfection serait avant tout celle d’une société aboutie, finie, figée, un univers débarrassé de toute motivation individuelle, une fourmilière qui n’aurait même plus de reine à laquelle se consacrer.

Alors face à ces suppositions nous devons opposer la réalité des expériences que certaines sociétés aux idéaux utopiques ont tentées et observer qu’elles en furent les évolutions.


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