La foi aux apparitions et les terreurs que l'enfer inspire, ont rendu les cœurs lâches et pusillanimes. Les hommes sont devenus de timides esclaves : leur vie s'écoule dans un effroi sans relâche ; la nuit même ne leur donne pas le repos. Des songes hideux rappellent dans l'âme superstitieuse toutes les craintes de la journée, et en apportent de nouvelles.
« Le sommeil, dit Plutarque, fait oublier à l'esclave la sévérité de son maitre, et au malheureux la pesanteur des fers dont il est garrotté ; l'inflammation d'une plaie, la malignité d'un ulcère, les douleurs les plus aiguës laissent quelque relâche pendant la nuit, à ceux qui en sont tourmentés. Mais la superstition ne fait point de trêve, pas même avec le sommeil. Elle ne permet point à une âme de respirer un seul moment, et les gens superstitieux, lorsqu'ils sont éveillés, s'entretiennent encore de leurs illusions, redoutent une ombre chimérique, et ne peuvent concevoir qu'il n'y ait rien de réel dans ces fantômes qui les épouvantent. Mais ce qui surprend davantage, c'est que la mort même, qui vient-mettre fin aux maux de l'homme, et qui devrait engloutir la superstition, semble au contraire lui donner plus de forces. L'imagination passe les limites du tombeau, et porte les terreurs au-delà de la vie. Les portes de l'enfer s'ouvrent, pour laisser voir à l'âme superstitieuse des rivières de feu, les noirs torrents du Styx, et des fleuves de larmes. Là , elle aperçoit d'épaisses ténèbres, remplies de spectres hideux et de figures affreuses, qui poussent des cris et des gémissements effroyables. Là , se présentent à son esprit épouvanté, des juges, des bourreaux, des tourments, enfin des abîmes et des cavernes pleines de misères et de douleurs. »
Encore si la superstition n'enfantait que les craintes, elle ne nuirait qu'aux cervelles étroites. Mais elle a causé tant de maux à l'humanité entière ! Elle a élevé les hérésies, les schismes, les guerres de religions, les tribunaux secrets, les inquisitions, la auto-da-fé, les croisades ; elle a allumé, dans toute la terre et dans tous les siècles, des bûchers perpétuels contre la liberté de la pensée ; elle a inspiré les ravages, les assassinats, les régicides, la destruction des Indiens, le carnage des Albigeois, l'extinction d'une multitude de Juifs, les proscriptions multipliées, les persécutions ; et, sans sortir de France, ce massacre de la Saint-Barthélemy, ce jour d'épouvantable mémoire, ce crime inouï, dans le reste des annales du monde, tramé, médité, préparé pendant deux années entières, qui se consomma dans Paris et dans la plupart de nos grandes villes ainsi que dans le palais de nos rois.
Voilà les fruits de la superstition et c'en est assez pour qu'on s'efforce de la détruire. Aussi tous les grands hommes, quelques pères de l'église, et plusieurs conciles l'ont-ils condamnée ouvertement.
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