Les superstitions

Superstitions
D'après l'ouvrage de Jacques Albin Simon Collin de Plancy, le Dictionnaire Infernal, 1818. Complété, corrigé, commenté et librement remis au goût du jour par Dramatic.fr

Tous les écrits que la superstition et les folles croyances ont inspirés jusqu'à présent ne sont, pour la plupart, que de ridicules amas d'extravagances, d'imparfaites compilations, ou des discussions froides et partielles. Leur nombre en est immense : la seule Bibliothèque Nationale possède plus de quinze mille volumes sur la magie, et sur tout ce qui découle plus ou moins directement de cette source. Une pareille mine n'est peut-être pas à négliger puisqu'elle présente le tableau des plus tristes écarts de l'imagination, et les plus grossières erreurs du genre humain. Mais aucun n'a songé à réunir, en un seul ouvrage, tous ces monuments de l'ignorance, de la fourberie, de l'imposture et du fanatisme.

Nous nous proposons, dans cet article, d'épargner au lecteur la peine de feuilleter des milliers de volumes. On ne doit pas s'attendre à trouver ici des fables aussi séduisantes que celles du paganisme. Là, un jeune homme, au milieu d'un bois, dans ses douces et tendres rêveries, pouvait croire, dit Saint-Foix, que plusieurs nymphes le regardaient ; que quelqu'une le trouverait peut-être aimable, se rendrait visible, palpable, et le comblerait de faveurs et de plaisirs. Ici, les déserts, le silence, les ténèbres ne présentent à l'imagination effrayée que des démons, des spectres, des fantômes et des objets hideux.

Les anciens, à la vérité, croyaient comme nous aux présages, aux divinations, à la magie, aux évocations, aux revenants, etc. ; mais tout cela était moins noir, chez eux, qu'il ne l'a été, chez nous, dans des siècles peu reculés. La religion chrétienne devait être exempte, plus que toute autre, de ces monstrueuses superstitions. On doit donc s'étonner de l'en voir étouffée, contre le vœu de son fondateur. Ce qui doit plus surprendre encore, c'est que dans le siècle des lumières, nous entendions, comme au quinzième siècle, plaider la cause de l'ignorance et de l'erreur. Et ça n'a pas changé car au XXIe siècle nous entendons toujours parler d'obscurantisme et cette maladie semble avoir gagné d'autres religions, pourtant réputées très cadrées, s'appuyant sur des Livres Saints dictant aux hommes la bonne façon de vivre.

 

Un code pénal moral de la conscience

D'obscurs écrivains, que certains lecteurs recherchent, et que les sots admirent, soutiennent les préjugés qui défendent le mensonge et prétendent que la tradition effrayante de l'histoire des revenants est dans les intérêts de la morale ; que la peur des prodiges surnaturels des apparitions est une espèce de tribunal invisible, qui exerce une influence très salutaire sur les consciences, et qui semble être le précurseur de la justice céleste ; que ce Code pénal-moral avait beaucoup de puissance parmi le peuple ; que l'appréhension du sorcier empêchait bien des crimes, etc., et mille autres impertinences qui, accompagnées d'anecdotes bien plates et bien effroyables, ne tendent qu'a ramener l'erreur dans les esprits faibles et à faire culpabiliser les gens.

Qu'on jette donc les yeux sur les temps de barbarie, et qu'on voie s'il s'y commettait moins de meurtres, moins de vols, moins de trahisons qu'aujourd'hui. Si la superstition empêchait un crime, elle en inspirait mille autres. Pour un homme qu'elle retenait dans le droit chemin, elle faisait cent bourreaux et dix mille victimes. Lisez l'histoire de l'inquisition, vous y trouverez souvent plus de condamnés en un jour que nos tribunaux n'en jugent en un an.

L'esprit du christianisme et le fanatisme

Des sophistes outrés ont attribué ces horreurs à l'esprit du christianisme : c'est allier la fureur du tigre à la douceur de l'agneau. Jésus-Christ est venu prêcher la clémence ; il a prié pour ses bourreaux, il a pardonné à ses ennemis ; il a pleuré sur les malheurs de Jérusalem coupable ; il a apporté au monde la paix du ciel et le culte le plus simple ; il a condamné les superstitions des pharisiens, qui portaient sur leurs vêtements des préservatifs et des amulettes ; etc.

L'esprit du christianisme n'est donc pas très en cause dans la superstition, et d'ailleurs le fanatisme s'est montré dans toutes les religions ; la superstition a régné sur tous les peuples ; les hérésies n'ont déchiré la religion chrétienne qu'après en avoir déchiré vingt autres. L'expérience de tous les siècles prouve que la superstition a toujours resserré les esprits et abruti les cœurs. La vérité, au contraire, vient les ennoblir.

En effet, quand on s'arrête un moment sur les différents cultes des peuples, on ne trouve de toutes parts que des religions entourées de mille erreurs, la vérité défigurée par le mensonge, les idées de la divinité ensevelies dans un chaos de superstitions ridicules, et la dignité de l'homme avilie par les plus monstrueuses faiblesses. Alors on s'écrie : l'erreur et le doute sont-ils donc à jamais le partage de la nature humaine ?

L'imagination que l'on se fait de Dieu

Il n'est point de nation, si sauvage soit-elle, qui n'ait trouvé dans son âme, dans l'harmonie de la nature, dans tout l'ensemble de ce bel univers, l'éloquent témoignage de l'existence d'un DIEU ; mais chacun, loin de chercher à le connaître, s'est forgé une vaine idole, sur sa propre ressemblance, et chacun la fait servir à ses passions :
Le méchant en a fait un monstre;
l'ambitieux, un potentat;
le lâche, un barbare;
le fanatique, un tyran qui ne respire que la vengeance;
l'honnête homme seul se l'est représenté comme un père.

Cependant, la plupart des religions sont pures, dans leur origine. Ici, c'est un être créateur, à qui on offre les premiers fruits de la terre ; là, c'est le soleil, qu'on adore comme le père de la lumière et de la fécondité ; ailleurs, une providence invisible ; honorée par des cœurs sans détour : la clémence et l'amour forment toute son essence ; l'univers est son temple et la nature proclame sa grandeur, et surtout sa bonté.

Mais ce culte est trop simple pour l'homme, ami du merveilleux et du mensonge. Il a fallu créer des fables, inventer des cérémonies. Ce premier pas, en occupant l'esprit par des objets extérieurs, fit oublier celui à qui on croyait rendre hommage.

Bientôt les mœurs se corrompent, les vices se répandent ; les uns les consacrent, en les donnant à leurs dieux ; les autres inventent les mauvais esprits, à qui ils attribuent tout le mal qu'ils font, en se réservant toutefois l'honneur du peu de bien qu'ils peuvent faire. De là, un Jupiter incestueux et parricide ; une Junon vindicative et jalouse, un Mars emporté et cruel, une Vénus prostituée, un Mercure voleur, etc. De là aussi les Arimane, les Satan, les Até, les Moloch, le dieu du mal des Mexicains, et tous les génies malfaisants.

Ainsi, entouré de démons qui sont les ministres redoutables de ses vengeances, DIEU est craint s'il n'est aimé. On l'apaise par des sacrifices ; on gagne ses bonnes grâces en ensanglantant son autel ; on déchire le sein des êtres vivants, pour plaire à celui qui leur a donné la vie ; on lui vend les animaux qu'il a créés, et l'homme dispose de ce qui n'est point à lui. La superstition s'étendit plus loin encore : elle enfonça le couteau dans le cœur de l'homme, et offrit à DIEU, comme un acte expiatoire, le plus horrible des forfaits.

La loi de Dieu et les dix commandements

Jésus-Christ, en éloignant le sang des sacrifices, venait aussi détruire l'erreur et les pratiques superstitieuses. On lui demande ce qu'il faut faire pour mériter les récompenses éternelles et il répond :

Vous aimerez le Seigneur votre DIEU, de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit. C'est là le premier commandement. Et voici le second, qui est semblable au premier : Vous aimerez votre prochain comme vous-même.  

Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements. Il a dit ailleurs :

Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent, afin que vous ressembliez à votre père, qui est dans le ciel, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui laisse tomber la rosée sur les justes et sur les injustes. Enfin, agissez envers les autres, comme vous voudriez qu'ils agissent envers vous ; et vous aurez rempli toute la loi que Dieu vous impose.  

Jésus Christ annonçait un dieu qui aime les cœurs purs, qui hait l'hypocrisie, qui lit dans les replis de l'âme, qui en sonde les profondeurs les plus cachées, qui s'offense d'un culte absurde et indigne de lui, qui méprise les vaines cérémonies des pharisiens et de ceux qui leur ressemblent... Et cependant, la superstition règne au sein du christianisme, aussi puissante que jamais ; elle l'entoure d'un brouillard d'erreurs qui en ternit l'éclat, et parvient à rendre méprisable, aux yeux du vulgaire, tous les principes d'une religion dont il ne voit plus les beautés incomparables.

Si on s'intéresse de près aux Dix Commandements gravés sur les Tablettes confiées à Moïse, on s’aperçoit bien vite que ces directives ne vont en rien dans le sens des paroles de Jésus :

1. « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi. »
C'est un signe de condescendance, de prétention et de possessivité.

2. « Tu n’adoreras point d’idole. Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. »
C'est très dirigé contre les idoles païennes qui existaient en Europe avant l'arrivée du christianisme et, comme le premier commandement, c'est empli de condescendance et de dirigisme. Ça va à l'encontre de la liberté de chacun. C'est un genre de culte de la personnalité comme on le trouve encore dans d'ex-républiques soviétiques en 2020. Dieu serait donc un dictateur ?
Ce commandement va même encore plus loin, avec des menaces :
« Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car moi Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants pour ceux qui me haïssent ».
La justice de Dieu est une véritable injustice en menaçant de punir jusqu’à la troisième et la quatrième génération ceux désobéissent à ses ordres. Même les pires dictateurs de l'histoire n'ont jamais été aussi loin.

3. « Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain, car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux. »
Et la liberté d'expression dans tout ça ?

4. « Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours Yahvé a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qu'ils contiennent, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a consacré. »
C'est une bonne chose de ne pas travailler le dimanche, mais croit-il que tout va tomber tout cuit dans nos assiettes ? On ne devrait même pas traire le bétail et laisser les vaches à lait souffrir avec leurs mamelles gonflées. C'est pas sérieux quand même !

5. « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre. »

Les 5 commandements suivants relèvent un peu plus du bon sens :

6. « Tu ne tueras pas. »
7. « Tu ne commettras pas d'adultère. »
8. « Tu ne voleras pas. »
9. « Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain. »
10. « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, rien de ce qui appartient à ton prochain. »
Ce dernier commandement est très pernicieux car ce qui est en cause n’est pas un acte mais une simple pensée. Le dixième commandement correspond à une police de la pensée, et le dieu de la Bible est parfaitement disposé à punir les contrevenants à cette règle. De plus, il dresse une courte liste des choses qui appartiennent à un homme, à commencer par sa maison, puis sa femme, suivent ensuite ses serviteurs et esclaves, ses animaux et tout les objets matériels en dernier. C'est un commandement qui prône l'esclavage et la soumission de la femme par rapport à l'homme. Elle est considérée comme un objet et passe même après la maison.

Les dix commandements, bases de la religion catholique, semblent être les directives d'un dictateur, et ne sont même pas respectés par Jésus Christ lui-même qui prêche d'autres paroles. Alors comment s'y retrouver si ce n'est par quelques repères ?

Les superstitions sont comme des repères sur une carte routière

Qu'on ne s'y trompe point, le peuple s'attache aux cérémonies, aux pompes, à tout ce qui l'étonne ; il croit tout, d'une foi robuste, tant que ses yeux sont encore fermés ; mais qu'il s'éclaire et il découvre le mensonge où il croyait trouver la vérité. Il devient bientôt plus incrédule que l'homme instruit, parce que, incapable de rien discerner, il confond les dogmes de l'existence de DIEU et de l'immortalité de l'âme avec les miracles de la sainte ampoule et les histoires de revenants. Une seule erreur découverte lui en fait soupçonner mille. On peut conclure de là que l'incrédulité nait souvent de la crédulité trop abusée.

La superstition qui s'attache à toutes les religions, comme du chewing-gum à vos semelles, finit toujours par les détruire. Elle seule voit son règne éternel. Les siècles passent sans l'affaiblir, et le temps ne brise point son sceptre de fer. Elle maîtrise tous les cœurs, même celui de l'athée ; et tel ne croit plus à DIEU, qui croit encore aux démons, aux présages et aux songes.

On pourrait trouver l'origine de toutes les superstitions dans ces quatre causes, qui souvent logent ensemble dans le même cœur :
l'ignorance,
l'orgueil,
le fanatisme,
la peur.

Les maladies inconnues, les accidents peu communs, les phénomènes, les événements qui passaient le cours ordinaire des choses, furent attribués aux démons, ou à des hommes qui se servaient de leur puissance. On préféra rejeter sur des êtres surnaturels les merveilles qu'on ne comprenait point, que d'avouer son ignorance. Les prodiges furent si bien reçus, que tout finit par devenir prodige. Toutes les vieilles histoires en sont pleines. Nembrod, chez le Chaldéens ; Menès, en Égypte ; Bélus, en Assyrie ; Licurgue, à Lacédémone ; Inachus, à Athène ; Numa, chez les Romains, etc., sont entourés de prodiges.

Le désir de dominer et de s'élever au dessus des autres hommes engendra les devins et les astrologues. On remarqua le cours des astres, leur existence inaltérable, leur influence sur les saisons et la température : on imagina de leur attribuer le même pouvoir sur les êtres libres et indépendants ; on étudia leur marche, et on trouva écrit, dans des masses incalculables de documents, le sort de l'homme avec toutes ses variations. De nos jours encore, nombreux sont ceux qui ouvrent le journal directement à la page de l'horoscope.

Les Chaldéens, qu'on se plait à regarder comme les premiers astrologues, étaient déjà fort adonnés à l'astrologie du temps d'Abraham. J'ai lu, dans les registres du ciel, tout ce qui doit vous arriver, à vous et à vos fils, disait Bélus à ses crédules enfants, et je vous dévoilerai les secrets de votre destinée.

D'autres, sans chercher les choses de la terre dans les signes du ciel, les virent dans les songes, dans le vol des oiseaux, dans les entrailles des victimes, dans le mouvement de l'eau, dans les feuilles agitées du vent, dans le chant du coq, dans les lignes de la main, dans les miroirs, et plus récemment dans les cartes, dans les rides du front, dans les traits du visage, dans les tubérosités du crâne, etc.. Toutes les nuances du caractère de l'homme, ses pensées les plus cachées, les secrets impénétrables de l'avenir, se trouvent dans une multitude de choses du quotidien. Les devins devinrent pour ainsi dire des dieux, en distribuant aux mortels les espérances et les craintes, les bonnes et les mauvaises destinées. La divination et les superstitions s'appuient sur le constat évident que l'homme n'est pas Dieu et qu'il n'est pas doté de la « connaissance ». Du coup, l'homme à besoin de repères comme le voyageur s'appuyant d'une carte routière pour trouver son chemin.

Les sorciers sont craints des petites gens

Les devins eux-mêmes accusèrent les confrères qu'ils voulaient décrier, de commercer avec l'enfer. La crainte que ces derniers inspirèrent prit la place du respect ; et tous ceux qui voulurent se faire craindre se donnèrent pour sorciers. Ils se multiplièrent tellement que, dans des temps peu reculés, chaque village possédait encore les siens.

Mais, outre les sorciers qui se donnaient pour tels, l'ignorance en faisait tous les jours. Les grands hommes, les mathématiciens, les artistes tant soit peu habiles, les bateleurs même, passèrent pour sorciers ou magiciens. Les hérésies et les schismes en produisirent des multitudes. Dans la religion chrétienne, surtout, chaque parti traitait d'amis du diable ceux des partis opposés. On est fort étonné de voir accusés de magie, Orphée, Numa, Pythagore, Mahomet, Luther et mille autres qui n'étaient que des imposteurs, et qui, comme la plupart des anciens conquérants, trouvaient dans la crédulité des peuples un chemin à la domination, et domptaient par les craintes religieuses. Des milliers de forfaits furent inspirés par la superstition.

Néanmoins on voit toujours subsister les traces déplorables des superstitions. Les démons et la magie ont produit le dualisme. On a vu le mal plus répandu que le bien, et on a été jusqu'à croire que le principe du mal, les démons, étaient au moins aussi puissants que DIEU, le principe du bien. Pour peu qu'on ait le jugement sain, tous les désordres de ce monde ne peuvent faire douter un instant de l'unité de DIEU ; mais le dogme des deux principes n'en a pas moins eu de nombreux partisans. On en attribue l'origine à Zoroastre. Les manichéens l'ont professé ouvertement et il ne s'est si généralement répandu dans tous les siècles, que parce qu'il flatte la faiblesse humaine. Vainement on croit cette opinion éteinte mais elle sera reçue tant qu'il y aura des esprits faibles sur la terre. On pourrait compter aujourd'hui des millions de dualistes, à qui il ne manque que le nom de manichéens.

Naissance du fatalisme et les fruits de la superstition

Les divinations ont fait naître le fatalisme car le libre arbitre ne peut exister chez des hommes qui trouvent partout écrite, une destinée inévitable.

La foi aux apparitions et les terreurs que l'enfer inspire, ont rendu les cœurs lâches et pusillanimes. Les hommes sont devenus de timides esclaves : leur vie s'écoule dans un effroi sans relâche ; la nuit même ne leur donne pas le repos. Des songes hideux rappellent dans l'âme superstitieuse toutes les craintes de la journée, et en apportent de nouvelles.

« Le sommeil, dit Plutarque, fait oublier à l'esclave la sévérité de son maitre, et au malheureux la pesanteur des fers dont il est garrotté ; l'inflammation d'une plaie, la malignité d'un ulcère, les douleurs les plus aiguës laissent quelque relâche pendant la nuit, à ceux qui en sont tourmentés. Mais la superstition ne fait point de trêve, pas même avec le sommeil. Elle ne permet point à une âme de respirer un seul moment, et les gens superstitieux, lorsqu'ils sont éveillés, s'entretiennent encore de leurs illusions, redoutent une ombre chimérique, et ne peuvent concevoir qu'il n'y ait rien de réel dans ces fantômes qui les épouvantent. Mais ce qui surprend davantage, c'est que la mort même, qui vient-mettre fin aux maux de l'homme, et qui devrait engloutir la superstition, semble au contraire lui donner plus de forces. L'imagination passe les limites du tombeau, et porte les terreurs au-delà de la vie. Les portes de l'enfer s'ouvrent, pour laisser voir à l'âme superstitieuse des rivières de feu, les noirs torrents du Styx, et des fleuves de larmes. Là, elle aperçoit d'épaisses ténèbres, remplies de spectres hideux et de figures affreuses, qui poussent des cris et des gémissements effroyables. Là, se présentent à son esprit épouvanté, des juges, des bourreaux, des tourments, enfin des abîmes et des cavernes pleines de misères et de douleurs. »

Encore si la superstition n'enfantait que les craintes, elle ne nuirait qu'aux cervelles étroites. Mais elle a causé tant de maux à l'humanité entière ! Elle a élevé les hérésies, les schismes, les guerres de religions, les tribunaux secrets, les inquisitions, la auto-da-fé, les croisades ; elle a allumé, dans toute la terre et dans tous les siècles, des bûchers perpétuels contre la liberté de la pensée ; elle a inspiré les ravages, les assassinats, les régicides, la destruction des Indiens, le carnage des Albigeois, l'extinction d'une multitude de Juifs, les proscriptions multipliées, les persécutions ; et, sans sortir de France, ce massacre de la Saint-Barthélemy, ce jour d'épouvantable mémoire, ce crime inouï, dans le reste des annales du monde, tramé, médité, préparé pendant deux années entières, qui se consomma dans Paris et dans la plupart de nos grandes villes ainsi que dans le palais de nos rois.

Voilà les fruits de la superstition et c'en est assez pour qu'on s'efforce de la détruire. Aussi tous les grands hommes, quelques pères de l'église, et plusieurs conciles l'ont-ils condamnée ouvertement.

La superstition est partout

De quelque côté que l'on se tourne on ne trouve que superstitions. Si vous écoutez un devin, si vous entendez un mot de présage, si vous faites un sacrifice, si vous donnez attention au vol d'un oiseau, si vous voyez un diseur de bonne fortune ou un aruspice, s'il fait des éclairs, s'il tonne, si la foudre tombe quelque part, si vous réfléchissez sur vos songes, vous ne pourrez jamais être tranquilles et les craintes vous tourmenteront sans relâche.

Saint Augustin dit que les superstitions sont l'opprobre du genre humain ; qu'il y a de la superstition dans la magie, dans les augures, dans les ligatures ou nouements d'aiguillettes, dans les remèdes que la médecine condamne, dans les charmes, dans les caractères, dans les préservatifs, dans les vaines observances, dans l'astrologie judiciaire, etc.

Origène condamne aussi, avec beaucoup de force, la foi aux enchantements, aux maléfices, aux présages, aux divinations, au chant des oiseaux, aux talismans ; et il invite tous ceux qui veulent l'entendre à fuir comme l'enfer ces folies superstitieuses. Mais il pousse le zèle trop loin, lorsqu'il dit que la loi de DIEU veut qu'on extermine les enchanteurs, les devins et les sorciers. Quoique les sorciers, les devins et les enchanteurs ne soient que de méprisables charlatans, il ne faut pourtant pas les brûler.

Le quatrième concile de Carthage exclut de l'assemblée des fidèles tous ceux qui observent les superstitions. Le concile provincial qui se tint à Toulouse en 1590, ordonne aux confesseurs et aux prédicateurs de déraciner, par de fréquentes exhortations et par des raisons solides, les pratiques superstitieuses que l'ignorance a introduites dans la religion. Le concile de Trente, après avoir parlé de diverses erreurs, enjoint formellement aux évêques de défendre aux fidèles tout ce qui peut les porter à la superstition, etc.

Enfin, plusieurs grands hommes des derniers siècles ont pris à tâche de renverser le monstrueux édifice des superstitions. Ils l'ont attaqué par la force des raisonnements, par des arguments irrésistibles, par le bon sens, par le ridicule. Ils en ont montré le néant. Ils ont démasqué l'erreur à tous les yeux qui ont voulu s'ouvrir. Mais malgré les efforts de la saine philosophie pour éteindre les torches de la superstition, c'est un feu qui fume encore et qui est loin d'être entièrement étouffé.

Un écrivain assez connu par un bon livre de mathématiques se plonge ensuite dans la cabale, et croit aux esprits élémentaires, à la puissance des mots mystiques, aux révélations, aux extases ; il assure que les salamandres, les sylphes, les ondins, les gnomes, sont à ses ordres, et que son âme a déjà trois fois abandonné son corps, pour s'élever au niveau de ces intelligences spirituelles. Mais en même temps, il avoue qu'il n'a vu les hôtes des éléments que pendant son sommeil, et qu'il ne peut se rappeler qu'imparfaitement la forme des esprits avec qui il a conversé dans ses extases et ses voyages astraux.

Ces gens-là sont des fous, dira-t-on ; mais ceux qui soutiennent que les histoires de revenants sont véritables, que toutes les possessions sont authentiques ; que les sorciers existent et peuvent exister, parce que des historiens sérieux l'affirment et que leur grand'mère y a cru ; ceux que les songes rendent gais ou tristes, suivant ce qu'ils leur présagent ; ceux qui consultent les diseuses de bonne aventure, qui tournent la roue de la fortune, qui se font tirer les cartes, qui croient aux amulettes, qui craignent le nouement de l'aiguillette et les philtres amoureux ; ceux qui n'entreprennent rien le vendredi, qui s'effraient quand ils entendent le chien hurler à la mort, ou le cri de la chouette, qui prennent des billets de loterie, sur l'avis de tel ou tel rêve, etc. Tous ceux-là, parce que leur nombre en est immense, sont-ils donc bien plus sages ...?

Les miracles et les dictons de grand'mère

Les superstitions tyrannisent encore l'immense majorité des hommes. En effet, qui n'a entendu répéter cent fois qu'il y a des jours heureux et des jours malheureux ; qu'on ne doit pas se baigner dans la canicule ; qu'on peut conjurer les nuées en sonnant les cloches ; que le jour de Saint-Médard, lorsqu'il est pluvieux, amène trente jours de pluie ; qu'il ne faut pas couper ses ongles le vendredi ; que de deux personnes mariées ensemble, celle-là mourra la première, qui aura, dans ses noms et prénoms, un nombre impair de lettres ; que la vue d'une araignée annonce de l'argent ; que plusieurs paroissiens mourront dans la semaine quand on fait une fosse le dimanche, que c'est un bon augure pour une jeune fille, que la première personne qu'elle rencontre, le jour de l'an, ne soit pas de son sexe, etc.

La crédulité est si grande encore, que j'ai entendu, il n'y a pas longtemps, un prêtre, qui passait pour bon théologien et dirigeait de nombreux séminaires, se vanter hautement d'avoir délivré, en 1805, une jeune paysanne possédée de trois démons du second ordre.... Et sur deux cents personnes à qui il parlait alors, douze ou quinze seulement doutaient en silence de sa véracité. J'ai connu, dans un village des Ardennes, deux hommes, maintenant bien portants, qui ont boité plus d'un an, pour se faire guérir à l'attouchement du saint-suaire. Et en avouant la supercherie, ils se faisaient passer pour impies, ingrats et endiablés, sans persuader ceux qui les écoutaient, de l'impuissance des reliques, et sans gâter, le moins du monde, la réputation du miracle. Que devons-nous penser des anciens prodiges, quand de nos jours on rejette la vérité, pour s'en tenir au mensonge.

Que des peuples ignorants aient été imbus d'erreurs grossières, que les Américains aient pris les Espagnols pour des démons ; que les Krudner, les Adam-Muller, les Glintz, prophétisent dans les hameaux du Nord ; qu'ils publient leurs visions extravagantes ; que, de leur plein pouvoir, ils annoncent aux villageois effrayés la colère d'un Dieu qu'ils ne peuvent comprendre : il n'y a rien là qui doive bien étonner. Mais nous, que nous croupissions encore dans la superstition, quand nous pouvons en sortir, que nous recherchions les ténèbres, comme le hibou, quand nous pouvons, comme l'aigle, regarder le soleil : voilà ce qui dépasse toute imagination.

Pensez à ces tristes épicuriens, qui voudraient n'avoir point d'âme, et qui cherchent à se persuader qu'il n'y a point de Dieu, et qui parlent de leur destinée, qui se plaignent de leur étoile, qui consultent, avec une confiance sans bornes, la sibylle du faubourg Saint-Germain, qui se troublent, s'ils perdent trois gouttes de sang par le nez, ou s'ils se voient treize à la même table, ou s'il se trouve dans leur chambre trois flambeaux allumés.

Le plus grand nombre croit aux prodiges, parce qu'on néglige de s'éclairer, qu'on refuse de retourner sur ses pas, et qu'on ne veut point avouer qu'on a été dans l'erreur. Avant de prononcer qu'un fait est digne ou indigne de notre croyance, disait Diderot, il faut avoir égard aux circonstance, au cours ordinaire des choses, à la nature des hommes, au nombre de cas où de pareils événements ont été démontrés faux, à l'utilité, au but, à l'intérêt, aux passions, à l'impossibilité physique, à l'histoire, aux témoins, à leur caractère, en un mot, à tout ce qui peut entrer dans le calcul de la probabilité.

Et quels sont les faits que les livres de prodiges nous donnent à croire ? Par qui ont-ils été rapportés ? Dans quels temps ? Pour quel but ?... Tous ces faits sont absurdes, impossibles, hors de la nature, racontés sur le témoignage des insensés, des visionnaires, et des bonnes femmes, par des auteurs ignorants, imbus de préjugés, ou trop faibles pour lutter contre le torrent des opinions ; ces faits sont écrits, pour la plupart, dans les siècles de barbarie, et souvent pour les plus vils motifs du fanatisme, ou de l'esprit de domination, pour épouvanter les âmes et soumettre les peuples par la terreur.

Mais le fanatisme se flattait vainement de rendre l'homme vertueux, en le faisant trembler. Toutes les nations superstitieuses n'ont été que des hordes de barbares, et les temps de la superstition sont aussi ceux des crimes. Qu'on prêche le dieu de clémence à un Tartare, qu'on l'instruise d'exemples, qu'on adoucisse ses mœurs, on en fera peut-être un homme. Mais si on lui annonce un Dieu cruel ; ou une vaine idole, qui échange ses faveurs pour des cérémonies ridicules, sa barbarie ne fera que changer de nom.

On offre à l'homme une divinité terrible, implacable, qui punit de supplices éternels un moment de faiblesse ! ... Que les prosélytes de cette idée monstrueuse examinent leur conscience : ils n'y trouveront que la crainte. C'est dans des cœurs plus nobles, que le Dieu souverainement bon reçoit un culte d'amour. Le remords croit prévenir sa justice, en élevant des monastères, avec les dépouilles de la veuve et les sueurs de l'indigent, en se déguisant sous un habit sacré, en achetant des pardons : DIEU ne demande pas des mains pleines, mais des mains pures. DIEU pardonne à un repentir sincère : il méprise les coups de fouets des moines, les austérités qui l'offensent et les petitesses orgueilleuses. Il méprise les décapitations fanatiques, sous couvert de son nom.

Répétons à toute la terre que l'homme ne s'élève point à DIEU par la crainte, que le méchant, qui l'honore avec un sentiment d'effroi, ne peut se flatter de lui plaire, et qu'un père ne demande à ses enfants que leurs cœurs et leur amour.


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