Existe-t-il une spécificité des fêtes en France ?

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La Révolution est passée par là. Elle a mené une répression terrible, politique et sociale. Le pouvoir a voulu instaurer une langue, une culture uniques, raser les fêtes locales et régionales d'origine religieuse qui avaient traversé les siècles. Qu'en a-t-elle conservé ? Seulement la fête des morts. Il n'est pas étonnant, dès lors, que le 14 Juillet ait été investi de tous les attributs des fêtes populaires !

L'élimination s'est encore accélérée au XXe siècle, avec l'exode rural massif. La situation est bien différente en Angleterre, qui a gardé le sens de la fête. Elle a assumé son exode rural entre le XVIIIe et le XIXe siècle. On a créé de nouvelles fêtes urbaines, à caractère marin, ou des réunions sportives, pour que le peuple puisse continuer à se réunir à de multiples occasions. En Italie, ce sont les villes qui poursuivent la tradition. A Sienne, voyez comment on vibre pendant le Pallo ! Et même à Venise, ce sont de véritables fêtes, avec masques et déguisements, qui se perpétuent. Et tous les quatre ans le peuple italien tout entier supporte la Squadra Azzura, son équipe de football nationale, lors de la Coupe du Monde. On se demande comment ça va se passer en 2018.


Pourtant, en France, il existe encore des grandes fêtes traditionnelles, en Bretagne, dans le Nord…

En Bretagne, elles jouent un rôle identitaire très fort. Elles font appel à la musique locale, la langue locale ; le souvenir « celte » est mis en valeur – sont invités à participer d'autres peuples de même tradition. Quant au Nord, il a été moins atteint par la Révolution. Chez les Ch'tis, de nombreuses villes continuent de célébrer les Géants, qui représentent leurs héros tutélaires et traduisent l'esprit de la cité. Ces fêtes urbaines sont très impressionnantes. Elles donnent l'occasion de grande parades qui font penser à toutes celles nées à la Renaissance pour exprimer le pouvoir des villes. Les manifestations populaires sont liées à la nature d'une part, à la religion, mais aussi au système politique. En Allemagne, pays décentralisé, une fête comme celle de Noël à Nüremberg demeure un enchantement.

Les fêtes reviennent sous une autre forme, comme la Fête de la musique

La fête de la musique correspond à l'épanouissement du solstice d’été. Il y a aussi tous ces festivals de rue qui se développent. C’est une réaction des jeunes : ils y retrouvent du rythme, de la vibration, comme dans les rave parties. A eux, les fêtes familiales ne disent plus rien ; et les fêtes de classe d'âge n'existent plus. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les bals, les fêtes des saints patrons étaient une occasion de se rencontrer. Jadis, avant le droit romain, on organisait même des fêtes prénuptiales où les relations sexuelles étaient obligatoires. Dans les régions alpines, par exemple, jeunes hommes et jeunes femmes couchaient ensemble de façon à arrêter leur choix. Aujourd'hui, la publicité dit que les plus belles rencontres se font sur internet.

Mais il est très étonnant de voir comment la Suisse, au XXe siècle, a reconstitué toutes ses fêtes. A Appenzell, à quatre heures du matin, des groupes, habillés de branchages, descendent les pentes des montagnes avec lumières et tambours. Certains arborent masques et vêtements composés d'écailles de pommes de pin. Une merveille. Dans la vallée, cela vous secoue les tripes. Il ne s'agit pas d'une fête traditionnelle mais d'une renaissance, réalisée à la perfection, avec l'esprit systématique et méticuleux des Suisses. Pourquoi instaurer de tels rites ? Pour retrouver la joie d'être ensemble, de co-exister, d'être. Pour assurer la cohésion de la société, parce que ces fêtes se préparent pendant toute l'année. Et aussi parce que la Suisse est un pays froid, qui ne connaît que deux saisons (l’hiver et l’automne), et où les gens sont solitaires et retranchés chez eux comme s’ils étaient en prison.

En France, nous avons fait un peu la même chose, pour répondre à la solitude des villes, en instaurant la fête... des voisins. Chacun s'isole, nos peines deviennent personnelles. Comment faire partie de nouveau d'un groupe ? L'urbain a pourtant des anges protecteurs... N'avez-vous pas constaté comme ils prolifèrent dans les films, les magazines, de la même façon que les saints patrons des métiers, des villages, des terroirs ? C’est un besoin né d'un profond sentiment d'insécurité. Il faut bien des esprits qui nous protègent et qui soient la cause de nos infortunes.

Toute fête requiert de l'organisation. Prenez le carnaval de Bâle, par exemple. Le soir où il se termine, on commence déjà à préparer la session suivante. Et tout le monde y participe, banquiers, ramoneurs ou professeurs. Ce qui compte, c'est la façon dont chacun joue du tambour ou du fifre !

Bâle est une ville un peu « guindée ». Mais son carnaval est fabuleux ! Une fois la manifestation publique achevée survient l'essentiel : la satire. Dans les restaurants, les gens se réunissent et la fête devient subversive. D'ailleurs, c'est ainsi qu'est né le théâtre, à la fin de grandes fêtes saisonnières. Le carnaval ne peut pas se terminer sans provocation. Les fêtes sont de grandes soupapes de sécurité. Est-ce que le pouvoir autorise cela de nos jours ? Jusqu'où peut-il permettre la subversion ? Quand on voit que des humoristes et des dessinateurs se font assassiner pour avoir osé faire une caricature ou qu’un procès est attenté à un magazine qui a osé vendre une poupée vaudou à l’effigie de Nicolas Sarkozy.


Sources :
D'après le Hors-série Sciences et Avenir 173 de janvier/février 2013

Yvonne de Sike, Docteur en archéologie et en histoire de l’art, est spécialiste de l’anthropologie du rite et de la fête. Maître de conférence au Muséum nationale d’histoire naturelle, elle a été responsable des collections européennes au musée de l’homme en 1998. Parmi ses ouvrages : Villes en fêtes, Cercle d’art, 2003 ; Les Dits de Noël, Hazan, 2001 ; Fêtes et croyances populaires en Europe au fil des saisons, Bordas, 1994.

Propos recueillis par Aline Kiner et Dominique Leglu pour Sciences et Avenir

Site Internet book-modele.com dont une page est consacrée au Carnaval de Chalon sur Saône.

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