Le terme arabe de sihr désigne la magie arabe en tant que discipline. Les études sur la magie dans la Chrétienté latine médiévale ont contribué à faire connaître de grands noms de la magie sihr arabe dans la mesure où nombre de ces auteurs furent traduits et diffusés en latin au Moyen Âge. Le mot « sihr » a été traduit dans le monde latin par « nigromancie », les deux termes ne s'inscrivent pourtant absolument pas dans le même registre sémantique.
Un glissement de sens s'opère entre le lien avec les morts (nekros) qui s'estompe pour le rapprocher du qualificatif de « noire » (nigra) dans le sens « malfaisant, démoniaque ». La différence est de taille avec le terme arabe de « sihr » qui est beaucoup plus fluctuant et ne concerne absolument pas exclusivement la magie noire. La définition la plus large est à notre sens celle du mathématicien andalou d'al-Maǧrīṭī :
ce dont la cause est cachée à l'intelligence de la plupart des gens
(al-siḥr huwa mā ḫafā ʿalā ʿuqūl al-akṯar sababu-hu).
Le sihr serait donc une forme d'occultisme ou de science occulte pratiquée en secret.
Un glissement de sens s'opère entre le lien avec les morts (nekros) qui s'estompe pour le rapprocher du qualificatif de « noire » (nigra) dans le sens « malfaisant, démoniaque ». La différence est de taille avec le terme arabe de « sihr » qui est beaucoup plus fluctuant et ne concerne absolument pas exclusivement la magie noire. La définition la plus large est à notre sens celle du mathématicien andalou d'al-Maǧrīṭī :
ce dont la cause est cachée à l'intelligence de la plupart des gens
(al-siḥr huwa mā ḫafā ʿalā ʿuqūl al-akṯar sababu-hu).
Le sihr serait donc une forme d'occultisme ou de science occulte pratiquée en secret.
Le Coran en fait mention
Le terme de sihr apparaît dans le Coran et fut donc l'objet d'études. L'enjeu n'est pas de savoir avec exactitude ce qu'est le sihr, mais à quoi le terme se rapporte à l'époque du locuteur, quelles pratiques sont désignées par le sihr et, de fait, doivent être condamnées. Le Coran et le hadith étant peu prolixes sur ces questions de définition, la pratique de la magie garde un statut beaucoup plus ambigu dans le droit musulman qu'il ne pouvait l'être dans la Chrétienté médiévale. Le lien avec le mal ou la mort est beaucoup plus lâche, ce dont témoigne le développement du concept de « magie licite » (siḥr ḥalāl), servant à désigner les pratiques de magie qui ne détournent pas de Dieu et qui servent à accomplir le bien.
Les mauvaises traductions latines
Le Moyen-Âge occidental diffuse largement les traductions latines des grands livres de magie arabe. Il en découle alors parfois un mélange des genres, où des auteurs arabes sont étudiés à travers le prisme des traductions chrétiennes et latines de leurs œuvres. Il y a néanmoins de sérieuses différences entre l'histoire de la magie dans la Chrétienté latine médiévale et dans l'Islam arabe médiéval, qui empêchent bien sûr de transposer le premier modèle d'analyse à la civilisation islamique.
La première grande différence est l'héritage de la chasse aux sorcières. Le sorcier n'a jamais été persécuté en tant qu'archétype social dans l'islam au Moyen Âge. Nous avons certes quelques traces d'exécution pour utilisation de magie, mais celles-ci sont très rares, ponctuelles, et davantage liées à des affaires politiques (éventuellement aux méfaits accomplis) qu'à une essentialisation du fait magique.
Le sihr fait souvent référence à la nécromancie. L'évêque Isidore de Séville (560?- 636) nous dit dans ses Étymologies que les nécromanciens (necromantici) sont ceux dont les invocations paraissent ressusciter les morts pour qu'ils devinent et répondent aux questions qu'on leur pose. Car nekrosen grec signifie mort, manteia divination, et ils rajoutent du sang au cadavre afin de le ressusciter. On dit en effet que les démons aiment le sang. C'est la raison pour laquelle, à chaque fois que l'on pratique la nécromancie, on mélange du sang qui coule et de l'eau, afin de faire venir plus facilement les démons attirés par l'effusion de sang.
Quelques années plus tard, le terme de nécromancie se transforme en nigromancie, « ainsi appelée car elle est versée dans l'investigation des morts, et dont on voit que la force réside dans le fait qu'elle prétend vraiment servir à ressusciter les morts, ce qui, cependant, est une illusion fallacieuse causée par les démons trompeurs et la perfidie humaine ».
La première grande différence est l'héritage de la chasse aux sorcières. Le sorcier n'a jamais été persécuté en tant qu'archétype social dans l'islam au Moyen Âge. Nous avons certes quelques traces d'exécution pour utilisation de magie, mais celles-ci sont très rares, ponctuelles, et davantage liées à des affaires politiques (éventuellement aux méfaits accomplis) qu'à une essentialisation du fait magique.
Le sihr fait souvent référence à la nécromancie. L'évêque Isidore de Séville (560?- 636) nous dit dans ses Étymologies que les nécromanciens (necromantici) sont ceux dont les invocations paraissent ressusciter les morts pour qu'ils devinent et répondent aux questions qu'on leur pose. Car nekrosen grec signifie mort, manteia divination, et ils rajoutent du sang au cadavre afin de le ressusciter. On dit en effet que les démons aiment le sang. C'est la raison pour laquelle, à chaque fois que l'on pratique la nécromancie, on mélange du sang qui coule et de l'eau, afin de faire venir plus facilement les démons attirés par l'effusion de sang.
Quelques années plus tard, le terme de nécromancie se transforme en nigromancie, « ainsi appelée car elle est versée dans l'investigation des morts, et dont on voit que la force réside dans le fait qu'elle prétend vraiment servir à ressusciter les morts, ce qui, cependant, est une illusion fallacieuse causée par les démons trompeurs et la perfidie humaine ».
Le licite et l'illicite
Le siḥr ḥalāl et la nigromancie nous font immédiatement penser, par analogie, à la dualité qui existe entre la magie blanche et la magie noire, ces deux grandes catégories de magie qui sont bien souvent diamétralement opposées. Mais n'est-ce pas aller un peu vite que de s'arrêter à ces préceptes qui sont, il faut bien le reconnaitre, d'invention judéo-chrétienne. L'opposition du bien et du mal n'est pas aussi nuancée dans la culture arabe où le diable est une création de Dieu. Le monde des djinns est un univers parallèle qui existe au même titre que le monde où nous vivons. Il n'y a pas à se demander si c'est bien ou si c'est mal, c'est comme ça, il faut l'accepter.
Qu'on ne soit pas tenté de rapprocher la « magie licite » (siḥr ḥalāl) du droit musulman avec l'idée de « magie blanche ». Les deux reposent sur des visions très différentes du monde. Alors que la « magie noire » sert à opérer une distinction bien/mal, la magie « licite » se situe dans un cadre légal. Même s'il y a unanimité pour condamner le magicien qui a recours à des puissances non-divines ou qui commet des actes illicites par la magie, certains actes magiques ne sont pas bons ou mauvais en soi et seul le contexte permet au juriste de déterminer la licéité ou non de l'acte. Par exemple, tuer un individu par une magie peut, selon les juristes, être interprété comme un acte non-répréhensible, sous réserve que la victime soit un individu dont le sang est jugé licite (par exemple un « tyran »). Le licite et l'illicite ne recoupent pas les idées de bien et de mal. La magie naturelle est qualifiée de « blanche » et la magie prohibée appelée « noire ». Si « magie blanche » (siḥr abyaḍ) et « magie noire » (siḥr aswad) sont d'un emploi courant en arabe contemporain, il nous semble que les deux expressions sont un calque de ces mêmes expressions dans les langues européennes car nous n'en avons trouvé aucune trace au Moyen-Âge.
Qu'on ne soit pas tenté de rapprocher la « magie licite » (siḥr ḥalāl) du droit musulman avec l'idée de « magie blanche ». Les deux reposent sur des visions très différentes du monde. Alors que la « magie noire » sert à opérer une distinction bien/mal, la magie « licite » se situe dans un cadre légal. Même s'il y a unanimité pour condamner le magicien qui a recours à des puissances non-divines ou qui commet des actes illicites par la magie, certains actes magiques ne sont pas bons ou mauvais en soi et seul le contexte permet au juriste de déterminer la licéité ou non de l'acte. Par exemple, tuer un individu par une magie peut, selon les juristes, être interprété comme un acte non-répréhensible, sous réserve que la victime soit un individu dont le sang est jugé licite (par exemple un « tyran »). Le licite et l'illicite ne recoupent pas les idées de bien et de mal. La magie naturelle est qualifiée de « blanche » et la magie prohibée appelée « noire ». Si « magie blanche » (siḥr abyaḍ) et « magie noire » (siḥr aswad) sont d'un emploi courant en arabe contemporain, il nous semble que les deux expressions sont un calque de ces mêmes expressions dans les langues européennes car nous n'en avons trouvé aucune trace au Moyen-Âge.
Conclusions au sujet de la magie sihr
Ce qu'il faut retenir de tout ça c'est que la magie sihr ne fait aucune distinction entre magie bénéfique et sorcellerie. Le terme de sihr désigne aussi bien les maléfices les plus abominables que les formules secrètes de guérison, les amulettes musulmanes pour se protéger, les talismans et les charmes, qu'ils soient bénéfiques ou maléfiques. Il faut se sortir de l'esprit l'idée du bien et du mal quand on pratique la magie sihr. Ces notions n'ont pas cours car tout ce qui est bien pour quelqu'un peut aussi être mauvais pour quelqu'un d'autre. On fait de la magie et un point c'est tout.
Sources :
La magie islamique et le corpus bunianum au Moyen Âge par Jean-Charles Coulon
Le Ghâyat al-Hâkim fi'l-sihr par al-Majriti, Maslamati ibn Ahmad
La magie islamique et le corpus bunianum au Moyen Âge par Jean-Charles Coulon
Le Ghâyat al-Hâkim fi'l-sihr par al-Majriti, Maslamati ibn Ahmad