L'enquête

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La police interroge des centaines de témoins. Elle retrouve même les gens qui ont vécu le terrible bombardement de Brest. Un employé de la Défense passive, ayant participé au déblaiement d'un abri, se souvient fort bien que l'une des victimes avait été identifiée grâce aux documents qu'elle serrait encore contre elle dans une serviette noire. Ce détail s'était inscrit dans sa mémoire en apprenant qu'il s'agissait d'un chef de la Résistance.

Peut-on être accusé d'avoir tué un mort ?

Au commissariat de La Baule-les-Pins, Martin Lemaire en perd son latin. D'autant plus que le procureur de la République le harcèle constamment ; il est dans une situation inextricable : le jour même de l'accident, il accusait d'homicide par imprudence le jeune motocycliste qui avait renversé Paul Martens ; or, depuis, l'avocat du jeune homme a facilement obtenu la libération de son client, selon une argumentation fallacieuse, mais légale :

— Vous ne pouvez pas garder en prison un garçon qui a écrasé un mort, a-t-il expliqué, texte de loi à l'appui.

Maintenant, il réclame un non-lieu :
— Dame ! nous ne pouvons pas être coupable de la mort d'un homme enterré depuis quatorze ans !

Une machination

Le procureur, devant cette affreuse logique, cherche désespérément quel motif d'accusation il peut invoquer contre le jeune chauffard. Déjà, le juge qui devra statuer sur l'affaire, s'inquiète de l'invraisemblable débat juridique qu'il va devoir affronter. Enfin, le commissaire Martin Lemaire jette devant les journalistes les premières bases d'un raisonnement qui devrait permettre d'élucider l'affaire.
— Une suite de coïncidences, dit-il, peut avoir eu pour effet de créer cette confusion. Erreur d'état-civil, papiers égarés, pourraient expliquer que deux hommes soient morts à quatorze ans d'intervalle sous le même nom. Par contre, j'admets difficilement qu'à cette suite d'hypothétiques coïncidences, vienne s'en ajouter une autre, aussi énorme ; manifestement, les deux hommes se ressemblaient. Là, je n'admets plus la coïncidence. Je crois qu'il s'agit de circonstances voulues, d'une machination, d'un stratagème, organisé par qui et dans quel but ? C'est ce qu'il nous reste à découvrir.

Un échange d'identité

C'est alors que deux jours plus tard, un médecin de Saint-Nazaire demande à être reçu :
— Voilà, explique ce médecin, j'ai bien connu Paul Martens dans les années quarante. Il était très remonté contre sa femme et déçu par ses enfants. Il m'a dit plusieurs fois combien il souhaitait ne plus avoir de lien avec sa famille. Je pense donc que, lors de ce bombardement à Brest, ayant remarqué que l'une des victimes lui ressemblait, il lui aura placé entre les mains sa serviette noire contenant les fameux documents. Ainsi, il allait être considéré comme mort et refaire sa vie comme il l'entendait.

Quelques jours plus tard, une femme demande à être entendue à son tour :
— J'étais interprète à la Kommandantur de Brest, dit-elle. Au moment de ce bombardement, il y avait dans la ville plusieurs chefs nazis. Je me souviens que l'un d'eux, un homme rondouillard, au visage sévère, mais qui parlait un français impeccable, s'était laissé aller à une confidence : « Nous sommes en train de perdre la guerre », me dit-il. Le lendemain du bombardement, ce chef nazi n'était plus à Brest. Voilà ce que je pense : réfugié dans cet abri mais ayant échappé à la mort, voyant que l'un des cadavres lui ressemblait, il pourrait fort bien s'être approprié ses papiers, parmi lesquels la carte du combattant, de façon à échapper ainsi à toutes les poursuites éventuelles et recommencer une autre vie, en France.

Alors, chef nazi ou résistant ? En 1983, le mystère de la mort à répétition de Paul Martens n'est toujours pas éclairci. Est-ce qu'en 2016 on en sait plus ?


Cet extrait provient des « Dossiers Secrets » de Pierre Bellemare paru en 1984.






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