Didier Raoult – Le Druide

Didier Raoult
Professeur Didier Raoult
Si depuis le début de l’épidémie de COVID-19 les yeux du monde entier étaient rivés sur la Chine, les déclarations du professeur marseillais Didier Raoult, un expert atypique et visionnaire, mondialement reconnu en matière de maladies infectieuses, ont donné une lueur d’espoir pour tous les patients atteints du coronavirus. Didier Raoult est un infectiologue hors normes qui est une véritable star des sciences. Il est quelque peu atypique et provocateur, si bien qu'il s'est attiré les foudres de beaucoup de médecins traditionnels.

Le professeur marseillais Didier Raoult, microbiologiste de renommée mondiale, est le promoteur d'un traitement contre le covid-19 qui pourrait tout changer. Or, si ses recommandations sont suivies par de nombreux pays comme la Corée du Sud, le Maroc ou l’Allemagne, l’État français tarde à prendre en considération ses conseils, ce qui suscite de vives polémiques dans le pays. Il a crée la controverse en testant tous les patients de son centre et en traitant ceux atteints du coronavirus avec un remède que certains qualifient de douteux alors que le médicament est un antipaludique pourtant connu depuis 71 ans.

Revenons sur l'homme qui se cache derrière le traitement préféré de Donald Trump, ce grand spécialiste marseillais des virus émergents qui a fait une grande carrière dans l'orthodoxie. Sa revendication d'un taux de guérison de 100% a choqué les scientifiques du monde entier mais pourrait marquer l'histoire de la médecine de masse si c'est avéré, au grand dam de ses nombreux détracteurs.

D'après un article de Scott Sayare publié le 12 Mai 2020 dans le News-York Times, complété par d'autres sources puisées dans la presse.


Lors du diagnostic des maux qui affligent la science moderne, un divertissement qui, avec le dénigrement de ses critiques et de ses collègues chercheurs, il compte parmi ses plus grands délices, l'éminent microbiologiste français aux cheveux longs, Didier Raoult, va légèrement caresser sa barbichette blanche, se pencher en arrière sur son siège et, avec un sourire mince mais indubitable, déclare le pauvre patient frappé de fierté. Raoult, avec ses faux airs du général américain George Custer, tué lors de la bataille de Little Big Born en 1876, qui a acquis une renommée internationale depuis que son traitement proposé pour le Covid-19 a été présenté comme un remède miracle par le président Trump, estime que ses collègues ne voient pas que leurs idées sont le produit de simples modes intellectuelles – qu'elles sont hypnotisées par la méthodologie en croire qu'ils comprennent ce qu'ils ne comprennent pas et qu'ils n'ont pas la discipline d'esprit qui leur permettrait de comprendre leur erreur.

Didier Raoult le sauveur
Le professeur Raoult, le Sauveur
Dangereux optimiste ou futur prix Nobel de médecine ? Depuis le 25 février et la publication sur les réseaux sociaux de sa vidéo intitulée « Coronavirus : vers une sortie de crise ? », le professeur Didier Raoult, infectiologue, directeur de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, à Marseille, déchaîne les passions. A 68 ans, ce fils d'un médecin militaire et d'une infirmière navigue depuis des semaines à contre-courant des discours officiels.

La France comptait déjà plus de 60 millions de sélectionneurs pour son équipe de foot, la voilà dotée d'autant d'épidémiologistes. Le débat qui les agite est de déterminer si le professeur Didier Raoult, à la tête de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection (IHU) de Marseille, est un sauveur ou un irresponsable.

« L'orgueil  », m'a dit récemment Raoult, dans son institut de Marseille, « est la chose la plus courante au monde  ». C'est une maladie particulièrement dangereuse chez des médecins comme lui, dont les opinions sont chargées de la vie et de la mort. « Quelqu'un qui ne sait pas est moins stupide que quelqu'un qui pense à tort  », a-t-il déclaré. « Parce que c'est une chose terrible d'avoir tort  ».

Ce chercheur très influent de 68 ans, au CV aussi prestigieux que sa réputation est controversée, assure avoir trouvé un traitement efficace contre le Covid-19. Ce microbiologiste de renom qui a fondé et dirige l'hôpital de recherche connu sous le nom d'Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection, ou IHU, a fait une grande carrière dans l'orthodoxie, tant dans la parole que dans la pratique. Comme vous allez le voir, son parcours est très atypique. « Je n’aime rien de plus que de faire exploser une théorie qui est si bien établie  », a-t-il dit une fois. Il a une réputation de fanfaron mais aussi d'une certaine créativité. Il regarde où personne d'autre ne se soucie, avec des méthodes que personne d'autre n'utilise, et trouve des choses.

Au cours des 10 dernières années, il a aidé à identifier près de 500 nouvelles espèces de bactéries d'origine humaine, environ un cinquième de toutes celles nommées et décrites. Jusqu'à récemment, il était peut-être mieux connu comme le découvreur du premier virus géant, un microbe qui, à son avis, suggère que les virus devraient être considérés comme un quatrième domaine distinct des êtres vivants. Cette découverte lui a permis de remporter le Grand Prix Inserm, l'un des premiers prix scientifiques français. Cela l'a également amené à croire que l'arbre de vie suggéré par l'évolution darwinienne est « entièrement faux  » et que Darwin lui-même « n'a écrit que des iniquités  ». Il déteste le consensus et la courtoisie; il croit que la science et la vie devraient être un combat.

C'est dans cet esprit que, au-dessus des objections de ses pairs, et sans doute à cause d'eux aussi, s'appuyant notamment sur les travaux de scientifiques et médecins chinois, qu'il considère comme « les meilleurs spécialistes de virologie au monde  », qu'il aurait trouvé le remède au Covid-19. Il a promu une combinaison de chloroquine (plus précisément, l'un de ses dérivés, l'hydroxychloroquine), un médicament antipaludéen employé depuis 1949, en association avec le seul antibiotique qui fonctionne sur les virus, l'azithromycine, un antibiotique commun, comme remède au Covid-19. « Ce sont des molécules anciennes, sans problème majeur de toxicité, et immédiatement disponibles  », explique-t-il dans ses vidéos devenues « virales ». « C'est efficace sur les cas positifs d'infection à ce nouveau coronavirus », ajoute-t-il. « Le Covid-19 est probablement l'infection la plus facile à traiter. Ce n'est donc pas la peine de s'exciter, il faut travailler. »

Il a pris l'habitude de déclarer : « Nous savons comment guérir la maladie  ». Après une phase d'études in vitro, le chercheur a mené ces dernières semaines le premier test clinique sur 24 patients infectés, avec cette combinaison des deux médicaments. Et il l'affirme, ça marche ! Le 16 mars, il annonce que, six jours après le début du traitement, trois quarts de ces patients ont vu leur charge virale baisser de manière spectaculaire. Les 25 % restants, toujours porteurs du virus, ne développent pas de complication vers une pneumonie bactérienne, ni de syndrome de détresse respiratoire aigu. Alors que 90 % de ceux qui n'ont pas été traités sont toujours porteurs après six jours. Deux mois plus tôt, pourtant, le même chercheur estimait que l'inquiétude concernant l'épidémie qui émergeait en Chine était « délirante ». Des propos qu'il a maintenus jusqu'en février. « Il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle, on en parle à la télévision et à la radio  ». (Didier Raoult dans une vidéo, le 21 janvier 2020)

Décrié depuis le mois de mars pour revendiquer l’usage de la chloroquine contre le coronavirus, malgré son allure de rockeur, il est pourtant loin d’être farfelu.

Le traitement « miracle » controversé

Didier Raoult fait des miracles
Tout a commencé lorsque plusieurs scientifiques chinois ont révélé que la chloroquine, une molécule très répandue et peu chère utilisée habituellement pour soigner le paludisme, constituait un remède efficace pour soigner le coronavirus. Confirmant que « c’est le médicament probablement le plus utilisé avec l’aspirine dans l’Histoire de l’humanité  » et que « les gens qui vivaient en Afrique comme lui prenaient tous les jours de la chloroquine  », le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut Méditerranée Infection à Marseille, et ses équipes ont précisé le traitement à la chloroquine contre le coronavirus dès fin février.

Didier Raoult fonde ses espoirs sur l'hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine utilisée contre le paludisme, associée à l'azithromycine, un antibiotique. Dans son étude publiée à toute vitesse le 20 mars, après seulement 15 jours de tests sur une poignée de patients, le patron de l'IHU affirme que 75% des malades étudiés ne sont plus porteurs du virus après 6 jours. Trump n'était pas le seul à vouloir embrasser cette possibilité. Une version du schéma thérapeutique de Raoult avait été autorisée pour des tests ou une utilisation en France, en Italie, en Chine, en Inde et dans de nombreux autres pays. Un essai pharmaceutique sur cinq dans le monde testait l'hydroxychloroquine. Un essai clinique européen, lancé le 22 mars dans au moins sept pays et emmené par l'Inserm, teste aussi la molécule, parmi d'autres. Cet essai « Discovery » sera par contre un bide retentissant.

L’originalité des conseils de Raoult ne réside pas uniquement dans l'utilisation de la chloroquine : le professeur préconise aussi et surtout « un dépistage massif » de la population tout en s’opposant à la politique de confinement généralisé qu'il qualifie de moyenâgeuse puisqu'elle bloque la vie sociale et économique du pays. Selon lui si un patient est dépisté et rapidement soigné à la chloroquine, il peut guérir du coronavirus.

Les résultats prometteurs de Didier Raoult sont immédiatement nuancés, notamment par le ministre de la Santé lui-même. En attentant les conclusions des essais cliniques randomisés, l'hydroxychloroquine peut être administrée aux malades souffrant de « formes graves » du Covid-19, mais pas pour des formes « moins sévères », selon un décret paru au Journal officiel. Ce qui est exactement l'inverse du protocole du professeur Raoult qui affirme que dans les formes graves l'hydroxychloroquine n'a plus aucune utilité car la charge virale est très faible.

Un « virologue », anonyme, dénonce, le 21 mars, sur le blog de Mediapart, les pratiques de l'infectiologue marseillais, affirmant même que la chloroquine n'est pas si inoffensive que le prétend Didier Raoult. Ajoutant que « ce professeur est soutenu par Le Point et Valeurs actuelles, journaux d'extrême droite. A son compte 2 000 articles, c'est typique des mandarins ». Ce n'est pas le seul à s'en prendre vertement au Professeur Raoult. Sur PubPeer, plateforme où les scientifiques commentent les études de leurs confrères, ils sont nombreux à pointer des biais : un échantillon très réduit et mal défini, la disparition de plusieurs patients des résultats finaux (morts, transférés en soins intensifs ou sortis de l'hôpital) et un conflit d'intérêts très clair. L'un des co-auteurs de l'étude, Jean-Marc Rolain, est aussi le rédacteur en chef de la revue International Journal of Antimicrobial Agents, où est paru l'article.

Poster Didier Raoult
Les gens s'arrachent les posters de Didier Raoult devenu star
En mars, Raoult a annoncé que son hôpital allait tester et traiter toute personne désireuse de se présenter. Des foules se sont rassemblées à l'entrée de l'IHU dans des lignes sinueuses à file unique, comme des pèlerins se précipitant vers leur confession privée avec l'oracle. Le 16 mars, Raoult a publié les résultats d'un petit essai clinique qui a montré, selon lui, un taux de guérison de 100%. L’étude a depuis été largement débattue et le boosterisme de Raoult a été déploré par les scientifiques et les responsables de la santé du monde entier; dans un commentaire plus ou moins représentatif de la teneur de la controverse en France, où le nom et l'image de Raoult sont maintenant partout depuis des semaines, un détracteur, un politicien généralement réfléchi, a suggéré que Raoult « ferme sa gueule et soit médecin  » et qu'il « arrête de dire partout je suis un génie  ».

Mais pas de quoi déstabiliser l'intéressé, qui se décrit dans La Provence comme la « star mondiale » de sa discipline. « Je me fous de ce que pensent les autres  », ajoute-t-il, avant de rappeler sa connaissance de la chloroquine, administrée à « plus de 4 000 » de ses patients en « vingt ans ». « Je ne suis pas un outsider, je suis celui qui est le plus en avance. »

Ses collègues comparent sa psychologie à celle de Napoléon, bien qu'il ne soit pas physiquement petit. Interrogé par un journaliste sur sa tendance à « nager à contre-courant » de la pensée scientifique, Raoult a répondu : « Je ne suis pas un "étranger". Je suis celui qui est le plus loin devant  ». Axel Kahn, généticien et médecin qui connaît Raoult depuis près de 40 ans, m'a dit qu'il en a toujours été ainsi. « L'une des caractéristiques durables du professeur Raoult est qu'il sait qu'il est très bon  », m'a dit Kahn. « Mais il considère que tout le monde est sans valeur. Et il l'a toujours fait. Ce n'est pas un développement récent  ». À son domicile, aux côtés d'une collection de bustes romains, il aurait une statue de marbre de lui-même.

Pourtant, si Didier Raoult n'est pas très connu du public en France, c'est l'un des rares spécialistes mondiaux des virus et des infections. « Il a plus de trente ans d'expérience dans le domaine  », confirme Philippe Halfon, chef de pôle de médecine interne à l'Hôpital européen de Marseille et chercheur en maladies infectieuses, spécialiste des dérivés de la chloroquine, notamment pour leurs potentiels effets sur le cancer. « C'est un personnage qui a toujours été hors normes, ajoute-t-il. Et c'est surtout un pionnier dans la recherche sur les maladies infectieuses et un grand visionnaire, qui fait le pari de son expérience pour démontrer que son idée de traitement fonctionne sur le Covid-19. »

Raoult, qui a 68 ans, est un homme robuste mais aux traits fins, avec des pommettes hautes et une bouche serrée et méprisante. Ces dernières années, il les a cachées derrière une moustache et une barbiche blanches éparses et a laissé pousser ses cheveux de lin jusqu'à ses épaules. Avec ses cheveux longs, son ego très affirmé, ses chemises multicolores et ses discours parfois provocateurs, le Pr Didier Raoult est loin de l'image traditionnelle du médecin aux mots policés. Physiquement, il ressemble plutôt au « Doc » dans Retour vers le futur et, verbalement, c'est carrément le Dr House ! Sans filtre, il fustige les « oiseaux de plateaux télé  » qui « parlent comme dans les bars et n'y connaissent rien  ».

Sur son petit doigt droit, il porte maintenant une chevalière avec un crâne argenté. Dans les mèmes Internet, il a été décrit comme le sorcier Gandalf et comme un druide; à l'exception de sa blouse blanche, il a l'aspect général d'une diseuse de bonne aventure qui conduit une Harley pour se rendre au travail. Le journaliste français Hervé Vaudoit, qui a écrit avec admiration sur Raoult au fil des ans, lui a demandé une fois pourquoi il avait pris cette apparence. Raoult a répondu : « Parce que ça les fait chier  ».

Dans les semaines qui se sont écoulées depuis que le SARS-CoV-2, le virus qui cause le Covid-19, s'est répandu dans le monde entier, son mépris pour une opinion respectable et pour les « marquis parisiens » qui en sont les représentants, l'ont attiré dans le cœur d'une grande partie de la Population française. Selon une enquête, fin mars, Raoult était devenu l’une des « personnalités politiques » les plus populaires de France, avec un attrait particulier pour les extrêmes populistes. Des votifs à son image étaient vendus à Marseille, et certains soirs, à 20 heures, un bataillon de camions à ordures municipaux s'est rassemblé sur la chaussée devant son hôpital, où les chauffeurs ont appuyés sur leurs klaxons en un hommage fort et furieux. Une bannière de 100 pieds, peinte par un club de fans de football locaux et suspendue près de l'entrée, disait : « Marseille et le monde derrière le professeur Raoult  ! ! ! »

Fresque Didier Raoult
Fresque de Didier Raoult

Raoult a collecté la marchandise créée par ses fans, et il semble apprécier sa renommée, bien qu'il affirme le contraire. Il est certain que les drogues finiront par le justifier; tout le reste est une question d'apparence. « Je pense vraiment que nous sommes dans un théâtre  », m'a-t-il dit. « Dans ma pièce, les gens qui me jugent en tant que médecin sont mes patients. En tant que scientifique, ce sont mes collègues. Et le temps. »

Lui, il agit ! Et déclare qu'il n'attend rien des nouveaux essais cliniques à grande échelle, finalement autorisés par le gouvernement, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de la santé (ANSM) et les Comités de protection des personnes (CPP) pour quatre traitements potentiels, dont le sien. « A partir du moment où l'on a montré qu'un remède était efficace, il est immoral de ne pas l'administrer tout de suite  », clame le professeur marseillais. « Quand vous avez un traitement qui marche contre zéro autre traitement disponible, c'est ce traitement qui devrait devenir la référence  », réplique-t-il aussi dans Le Parisien, tout en dénonçant, dans une tribune au Monde, « la méthode » scientifique qui « a pris le dessus sur le fond  ».

Le parcours du Professeur Raoult

Enfance de Didier Raoult
Enfance de Didier Raoult
Ce savant à la langue bien pendue a derrière lui une solide carrière. En 2010, il avait reçu le grand prix de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). En 2015, le classement Thomson Reuters le faisait figurer parmi les chercheurs les plus influents au monde. Sans oublier de nombreuses publications dans des revues scientifiques réputées. Cette reconnaissance, qui lui vaut de faire partie du Conseil scientifique Covid-19 de macron, s’est construite au fil d’un parcours atypique.

Didier Raoult a passé la première décennie de sa vie à Dakar, dans ce qui était alors le Sénégal français, où son père, médecin militaire, a été détaché. Né le 13 mars 1952 à Dakar, au Sénégal, d'un père médecin militaire et d'une mère infirmière, pour parer au paludisme, il a reçu de la chloroquine. « Je l'ai pris tout le temps quand j'étais enfant  », a-t-il dit.

Didier Raoult s'installe avec sa famille à Marseille en 1961. Mauvais élève, il interrompt ses études à 17 ans pour rejoindre la marine marchande et travailler sur un bateau, sans intention de revenir. Il avait enfin la liberté de se guider lui-même. Le jeune homme remet pourtant pied à terre. Il passe finalement son bac littéraire deux ans plus tard en candidat libre avant de prendre un virage serré, direction la fac de médecine. « Les seules études que mon père acceptait de financer  », rappelle-t-il. Il devient ensuite professeur à la faculté de médecine de Marseille en 1982. Spécialiste des maladies infectieuses, il dirige de nombreux travaux de recherche, ainsi que les thèses et les doctorats sur ce sujet.

Après cet étonnant parcours, Didier Raoult se spécialise et devient le pionnier d'une nouvelle discipline nommée paléomicrobiologie, qui consiste à diagnostiquer des maladies infectieuses anciennes. C'est une discipline qui mélange microbiologie, paléopathologie, archéologie, et histoire. Il aime partager les expériences au risque de surprendre. Dans les années 1980, son travail sur les rickettsies, des bactéries à l'origine notamment du typhus, fait sa renommée. En 1987, il est nommé chef du Centre National de Référence pour les maladies rickettsiales, à Marseille. Il occupe ce poste jusqu’en 2011. Didier Raoult fait partie de ces chercheurs qui pensent que les révolutions scientifiques ne sont pas faites par les spécialistes du domaine. Elles proviennent d’ailleurs. Lui qui n’est pas virologue a ainsi contribué à faire avancer la virologie par les travaux qu’il a menés avec ses équipes. En 1992, ils isolent un virus géant, appelé Mimivirus, dans une amibe (micro-organisme). Il est aussi à l'origine de la découverte de dizaines de bactéries pathogènes, dont deux baptisées d'après lui : Raoultella planticola et Rickettsia raoultii.

Dans les années 1990, au cours d'une expérience de reconversion précoce, il a testé l'effet de l'hydroxychloroquine sur une affection fréquemment mortelle connue sous le nom de fièvre Q, causée par une bactérie intracellulaire. Comme les virus, les bactéries intracellulaires se multiplient dans les cellules de leurs hôtes; Raoult a découvert que l'hydroxychloroquine, en réduisant l'acidité dans les cellules hôtes, ralentissait la croissance bactérienne. Il a commencé à traiter la fièvre Q avec une combinaison d'hydroxychloroquine et de doxycycline et a ensuite utilisé les mêmes médicaments pour la maladie de Whipple, une autre maladie mortelle causée par une bactérie intracellulaire. La combinaison est maintenant considérée comme un traitement standard pour les deux maladies.

Marié à une psychiatre depuis 1982, Natacha Caïn, et père de deux enfants, Didier Raoult dirige l'université Aix-Marseille II entre 1994 et 1999, avant de proposer au ministre de la Santé Jean-François Mattei, au début des années 2000, de créer sept « infectiopôles » contre les maladies infectieuses. En 2003 il reçoit le prix de la Fondation française pour la recherche. Entre 2008 et 2011, il est président de la Fondation scientifique « Infectiopôle Sud » à Marseille. En 2010, six IHU sont lancés en France, chacun sur un thème différent. Celui de Marseille, qu'il dirige depuis 2011, est spécialisé dans les maladies infectieuses. C'est à la fois un centre de soins, de formation et de recherches sur les maladies infectieuses, première cause de mortalité dans le monde. Depuis 2011, ce pôle affiche plus de 4 500 publications et trente-six brevets. Lauréat de multiplies récompenses, il a notamment reçu en 2010 le Grand prix de l'Inserm pour l'ensemble de sa carrière et le prix de la Fondation Louis D, Institut de France en 2015.

Parallèlement, Didier Raoult est chef de service du laboratoire P3 de bactériologie et de virologie de l’hôpital de la Timone à Marseille. Après les attentats à l’anthrax aux États-Unis, c'est dans son laboratoire que les prélèvements suspects en France sont envoyés pour analyse. Parmi le millier de prélèvements testés par mesure de sécurité, le laboratoire n'a jamais trouvé de trace de la bactérie responsable de l'anthrax. « Il s'agissait le plus souvent de farce, l'échantillon contenant une quelconque poudre, comme de la farine  », précisait-il à l'époque. Le 11 mars 2020, il intègre le Conseil scientifique Covid-19 de macron avec dix autres experts, dans le cadre de la lutte contre la pandémie en France. Le 16 mars 2020, il diffuse une vidéo dans laquelle il fait part des premiers résultats de sa propre étude qu’il a lancée et préconise l’utilisation de la chloroquine, un antipaludique, dans le traitement du Covid-19.

Gravure de Didier Raoult
gravure du Professeur Raoult

Raoult a passé presque toute sa vie à Marseille, une ville réputée en lambeaux et combative, qu'il aime. Il lui a donné un genre de bactérie, Massilia, et a donné son nom ou les noms de ses environs à de nombreuses autres espèces de microbes. Marseille est un port important depuis plus de 2 000 ans et a une histoire de maladies riche en conséquence. C'était le point d'entrée en France des trois grandes vagues de peste bubonique, à partir du VIe siècle. Entre 1720 et 1722, la peste a tué environ la moitié de la population marseillaise; l'un de ses quartiers centraux, sur le vieux port, porte aujourd'hui le nom de l'évêque qui soignait les malades tandis que les médecins de la ville se cachaient de peur.

Ses plus ardents défenseurs restent les élus de la droite locale, qu'il a su convaincre il y a dix ans de financer en partie son IHU. « Ceux qui le critiquent ne font que des commentaires et n'ont pas de solution. Lui, il apporte une solution qui est travaillée, même si elle entraîne forcément un débat  », souligne le président LR de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier, son ami depuis la fac de médecine.

« A tort ou à raison, on se dit qu'il est rejeté parce qu'il est marseillais, qu'il n'appartient pas à l'intelligentsia parisienne, et que c'est un rebelle aux cheveux longs... », note Guy Teissier, député des Bouches-du-Rhône.

« Ici  [en France], il est moqué, alors qu'il a le soutien de grands dirigeants étrangers  », se désole encore l'élu LR, rétabli après dix jours passé à l'IHU de Didier Raoult.

« C’est un chercheur génial  », s’exclame un généticien qui le connaît bien. C’est un esprit libre qui n’aime rien de mieux que de fouler des chemins peu empruntés. De son propre aveu, il « fuit les autoroutes scientifiques ».

Didier Raoult est-il victime de son image ? Le microbiologiste, qui porte les cheveux longs, une barbe fournie et une chevalière en forme de tête de mort, n'a pas besoin de ce look pour diviser. Tout au long de sa carrière, ses prises de position – contre la théorie de l'évolution dans Dépasser Darwin (Plon, 2010) – et ses chroniques aux tonalités climatosceptiques – dans Le Figaro, Le Point et Les Echos – lui ont mis à dos une partie de la communauté scientifique. Sur France Inter, dans La Tête au Carré, il déclare : « Il est vraisemblable qu’une partie de l’activité humaine ait aidé à générer le réchauffement du climat, mais je suis sceptique et le futur est imprévisible  ». Pour un journaliste qui le connaît bien, ces propos sont « de la provocation. Il pousse un peu le rôle qu’il s’est donné  ».

Le traitement miracle à la chloroquine

Le traitement miracle à la chloroquine
Le traitement miracle à la chloroquine
Didier Raoult est décrit par la plupart de ces confrères comme « très intelligent, un gros bosseur qui travaille vite et qui a apporté beaucoup à la science  ». II est aussi une personne « atypique, qui peut agacer  », ajoutent-ils.

A Marseille, sa renommée mondiale lui vaut d'être salué en héros, même s'il avance parfois à contre-courant. Il défend les dépistages massifs, propose un traitement et claque la porte du Conseil scientifique, auquel il n'avait de toute manière jamais assisté, souffle l'un de ses membres à la presse. Depuis, la file d'attente de locaux masqués espérant être testés, voire traités, s'allonge devant son IHU. Sur les réseaux sociaux, les groupes de soutien et les comptes à son effigie se multiplient pour le défendre, rappelant que Donald Trump a salué la chloroquine comme un « don du ciel », ou que le Maroc l'a adoptée comme traitement officiel.

Il y a quelques semaines, j'ai parlé, à la distance recommandée, à un homme du nom de Jacques Cohen. Il était assis sur le trottoir à l’extérieur de l’IHU, un monument angulaire en béton et en verre situé à environ 1,5 km du vieux port de Marseille. Cohen avait le dos contre un pylône et les poignets aux genoux, au bord d'un groupe de peut-être 60 personnes. Par leur proximité sans souci l'un de l'autre – ils se tenaient dans un groupe détendu, comme les gens le faisaient, attendant d'entrer à l'hôpital par une porte latérale – ils étaient identifiables comme les malheureux qui savaient déjà qu'ils étaient positifs. J'avais choisi Cohen comme interlocuteur sous la direction d'une infirmière proche. Il ne toussait ni n'éternuait; il portait un masque. « En tout cas, nous allons tous le chopper  », a déclaré l'infirmière.

Je m'accroupis sur le trottoir et demandai à Cohen, qui a 76 ans, comment il se sentait. Depuis deux jours, il prenait de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine. « Ça va mieux », a déclaré Cohen à travers son masque. Il avait l'air cendré mais optimiste. Sa fièvre était tombée et il avait commencé à retrouver son goût. J'ai noté qu'il y avait un débat sur l'efficacité du traitement. « Il n'y a pas à croire ou de ne pas croire  », a répondu Cohen. « Nous savons que c'est efficace ! »

L'hydroxychloroquine et l'azithromycine sont des médicaments bien caractérisés, bien tolérés et largement prescrits. L'azithromycine a été développée il y a 40 ans dans l'ex-Yougoslavie et est aujourd'hui le deuxième antibiotique le plus prescrit aux États-Unis.

L'hydroxychloroquine, avec sa chloroquine analogue plus toxique, a été pendant plusieurs décennies le médicament antipaludique le plus couramment prescrit au monde. Aujourd'hui, il est largement utilisé pour traiter la polyarthrite rhumatoïde et le lupus. Les trois molécules figurent sur la liste modèle des médicaments essentiels de l’Organisation Mondiale de la Santé, une compilation des « médicaments les plus efficaces, les plus sûrs et les plus économiques pour les affections prioritaires  ».

Raoult connaît bien les drogues. Dès le début de sa carrière, il a beaucoup expérimenté le repositionnement de médicaments, dans lequel les médicaments dont l'utilisation a été approuvée contre une maladie sont réutilisés comme traitements pour d'autres. Des centaines et des centaines de molécules ont déjà été approuvées pour un usage humain par la Food and Drug Administration. Parmi ceux-ci, selon Raoult, se cachent divers remèdes imprévus. « Vous testez tout », m'a dit Raoult. « Vous cessez de réfléchir; il suffit de regarder et de voir si, par hasard, quelque chose fonctionne. Et ce que vous trouverez par hasard, ça vous mettra sur le cul. » Il a été démontré que les antidépresseurs et les antihypertenseurs ont des propriétés antivirales; la lovastatine, qui est prescrite pour abaisser le taux de cholestérol, s'est avérée efficace, au moins chez la souris, contre la peste. Dans un article de 2018, Raoult et une équipe de chercheurs ont rapporté que l'azithromycine montrait une forte activité dans les cellules infectées par le virus Zika.

Compte tenu des similitudes entre les bactéries intracellulaires et les virus, Raoult soupçonne que la chloroquine et l'hydroxychloroquine pourraient avoir des effets antiviraux. À la suite de l'épidémie de SRAS en 2002, les chercheurs ont découvert que la chloroquine ralentissait la reproduction du coronavirus du SRAS dans les cultures cellulaires. Raoult a passé en revue ces preuves dans un article de 2007, concluant que la chloroquine et l'hydroxychloroquine pourraient être « une arme intéressante pour faire face aux maladies infectieuses présentes et futures dans le monde entier  ». Cet hiver, alors que la propagation du SARS-CoV-2 commençait à prendre les contours d'une pandémie, il a examiné les données qui avaient commencé à sortir de Chine. Un premier rapport sur la chloroquine a montré de bons résultats in vitro. À la mi-février, une autre équipe chinoise a rapporté que, chez plus de 100 patients, il avait été constaté qu'elle avait « une activité puissante contre Covid-19 ». Raoult était ravi.

Si la chloroquine est autant vantée par Raoult, une partie de la communauté médicale met des réserves sur son efficacité en raison de ses graves effets secondaires en fonction du profil du patient pouvant causer jusqu’à un arrêt cardiaque. La méthodologie suivie par le professeur marseillais est également vivement critiquée puisque la centaine de patients testés en Chine et les 24 patients testés par Didier Raoult pour mesurer l'efficacité de la chloroquine dans le traitement du coronavirus constituent un échantillon encore insuffisant d’un point de vue méthodologique.

À l'époque, les autorités sanitaires du monde entier avertissaient qu'un traitement viable pourrait prendre des mois pour voir le jour. Cependant, les rapports chinois semblent confirmer les espoirs de longue date de Raoult pour la chloroquine. Un virus mortel pour lequel il n'existait aucun traitement pouvait évidemment être stoppé par une molécule préexistante peu coûteuse et largement étudiée, et que Raoult connaissait bien. Un scientifique plus attentif aurait pu étudier les données chinoises et entamer les préparatifs de ses propres tests. Raoult l'a fait, mais il a également publié une brève vidéo joyeuse sur YouTube, sous le titre « Coronavirus : Fin de partie ! » La chloroquine a produit ce qu'il a appelé des « améliorations spectaculaires » chez les patients chinois. « C’est une excellente nouvelle – c’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter  », a déclaré Raoult. « La seule chose que je vais vous dire, c'est de faire attention : bientôt les pharmacies n'auront plus de chloroquine ! »

La course à la publication

Course à la publication
La course à la publication
Raoult a écrit son premier document de recherche, en 1979, sur une infection transmise par les tiques, parfois appelée fièvre de Marseille. La maladie était également appelée « fièvre estivale bénigne » et plus de 50 ans de science ont déclaré qu'elle n'était pas mortelle. Pourtant, l'un des 41 patients de son ensemble de données était décédé. Avant de soumettre le document, Raoult, qui était alors un jeune interne, l'a remis à un professeur superviseur pour examen. « Et il le prend  », m'a dit Raoult, « il ne me le montre plus, et il le publie – et il a retiré la mort. Parce qu'il ne savait pas comment donner un sens à la mort. » Raoult était dégoûté et l'incident a façonné sa philosophie de la recherche scientifique. « J'ai appris que les gens qui voulaient suivre le chemin familier étaient prêts à tricher pour le faire  », a-t-il déclaré. Dans des travaux ultérieurs, il a démontré que la fièvre de Marseille était en effet mortelle dans presque un cas sur 41. « Il était un "adepte"  », a déclaré Raoult à propos du professeur. « Et ces "followers" sont tous des tricheurs. C'est ce que je pensais. Et c'est toujours ce que je pense. »

Il est fondamentalement à contre-courant. Du point de vue de Raoult, peu de conséquences ont été accomplies par les chercheurs qui approuvent les outils et les théories habituelles de leur âge. « J'ai passé ma vie à être "contre"  », m'a-t-il dit. « Je dis aux jeunes scientifiques : " Vous savez, vous n'avez pas besoin d'un cerveau pour être d'accord. Tout ce dont vous avez besoin, c'est d'une moelle épinière."  » Il est ravi du conflit. Il s'agit à la fois de philosophie – l'influence, sans doute, du penseur qu'il qualifie avec admiration de « maître Nietzsche » – et de tempérament. « Il aime savoir que les choses tournent autour de lui  », m'a dit l'un de ses techniciens de laboratoire; il déclenche des tempêtes et les admire se déployer sur la terre. Ses pairs secouent la tête à ce comportement mais lui accordent un respect à contrecœur. « Vous ne pouvez pas le renverser  », a déclaré Mark Pallen, professeur de génomique microbienne à l'Université d'East Anglia. « En ce qui concerne sa place dans le canon, la sainteté de la science, il est assez sûr là-bas. »

Il s'intéresse également au pouvoir et y est attentif depuis le début. En 1985 et 1986, Raoult a travaillé au Naval Medical Research Institute de Bethesda, dans le Maryland, où il a découvert le Science Citation Index. L’indice, outil permettant de mesurer l’influence d’un scientifique sur la base de son historique de publication, était relativement peu connu en France. Raoult a recherché les chercheurs réputés être les meilleurs de Marseille. « C'était vraiment l'empereur qui ne porte pas de vêtements  », a-t-il dit. « Ces gens n'ont pas publié. Il y en avait un qui n'avait pas écrit de papier depuis 10 ans. » Pour Raoult, la science française était un duché d'apparences, de liens et d'auto-révérence. « C'étaient des gens qui disaient  » – il mime le drone d'un aristocrate – « "Oh, lui, oui, il est très bon". Et cette réputation, vous ne savez pas sur quoi elle se fonde, mais ce n'est pas la vérité. »

Depuis des décennies, Raoult se vante de ses taux de publication et de citation prodigieux, qu'il considère comme des statistiques objectives comme la meilleure mesure de sa valeur de chercheur. Les chercheurs biomédicaux en France écrivent ou contribuent à peut-être 10 articles scientifiques chaque année et quelques centaines au cours d'une carrière. Le nom de Raoult se trouve au-dessus de plusieurs milliers; au cours de chacune des huit dernières années, il en a produit plus de 100. En 2020, il en a déjà publié au moins 54.

L'album de Didier Raoult en vente chez les disquaires
L'album de Didier Raoult prochainement en vente chez les disquaires
Il a publié de nombreux ouvrages :
- Dictionnaire de maladies infectieuses (1998),
- Les nouveaux risques infectieux, grippe aviaire, SRAS et après ? (2005),
- Mieux vaut guérir que prédire (2017),
- La vérité sur les vaccins : tout ce que vous devez savoir pour faire le bon choix (2018)
- Épidémies : vrais dangers et fausses alertes (2020)

Il a également participé à de nombreux ouvrages collectifs. C'est un grand Youtubeur et on s'attend sans surprise à ce qu'il sorte prochainement son premier album. C'est une véritable star !

Raoult est réputé être un travailleur infatigable, mais il atteint également son taux de publication extrême en attachant son nom à presque tous les articles qui sortent de son institut. Bien que la pratique ne soit pas inconnue, elle est inhabituelle. « Même la simple lecture de ces journaux prendrait un grand pourcentage du temps de n'importe qui  », m'a dit Pallen. « Pour quelqu'un comme moi, je les examine attentivement, je les critique, je fais une contribution intellectuelle substantielle – je pense que ce serait pratiquement impossible. »

Le nombre pléthorique de ses publications interroge en effet. Il cumule plus de 3 000 articles, selon la base de données Scopus. « Comment croire qu'un scientifique puisse participer réellement à des recherches débouchant sur quasi une publication par semaine ? », interroge le docteur en biologie, historien et journaliste scientifique Nicolas Chevassus-au-Louis, dans Malscience : de la fraude dans les labos (Seuil, 2016).

Mais en 2006, cette course à la publication a joué un mauvais tour au professeur Raoult. Après avoir découvert deux jeux de données similaires alors qu'ils devaient être récoltés dans deux expériences différentes, l'American Society for Microbiology (ASM) lui interdit de publier dans ses revues scientifiques pendant un an. L'affaire, révélée par le magazine scientifique Science (en anglais) en 2012, suscite l'ire du chercheur. Dans un droit de réponse, il assure que la sanction était collective, et précise que l'un de ses co-auteurs s'est désigné comme responsable de cette « erreur ». « Quand on est prolifique comme lui, on peut commettre des erreurs, mais il avance, il fonce, et il aimerait que tout le monde fasse comme lui  », justifie aujourd'hui son ami Jérôme Etienne, microbiologiste avec qui il a co-signé plusieurs travaux dans les années 1990.

Course à la publication de Didier Raoult
Course à la publication

Un chef de gang très critiqué

À quelques exceptions près, les chefs de département de l'IHU ont travaillé sous Raoult pendant toute leur carrière, certains pendant plus de 30 ans. Il s’agit d’un « système ancestral », « familial » et « clanique », a déclaré Michel Drancourt, un clinicien qui est le collaborateur de Raoult depuis le plus longtemps. Raoult est, sans aucun doute, le patriarche, et il est à certains égards réputé bienveillant.

« Il teste beaucoup de pistes, si c'est intéressant il publie très vite, pas forcément des choses de haut niveau, sinon il abandonne  », justifie Christophe Rogier, qui a travaillé avec Didier Raoult entre 2007 et 2011. Il salue aussi ses « intuitions » que nul autre ne partage. « Didier est un chasseur de pépites, pas un laboureur qui décortique pendant vingt ans un même sujet. »

L'IHU dépense beaucoup d'argent pour des bourses d'études et des subventions de recherche pour des étudiants du monde en développement, par exemple, et Raoult est connu pour être accessible aux jeunes chercheurs d'une manière qui le distingue des autres scientifiques de haut niveau. La fondation est forte de 250 soignants et 300 enseignants-chercheurs dont la production scientifique est l’une des plus importantes en Europe. Il est également connu pour réprimander ses subordonnés. « Certains d'entre nous sont fréquemment rabaissés, moqués, humiliés, soumis à des propos machistes  » peut-on lire dans une lettre anonyme rédigée par les membres de l'IHU.

L'IHU a reçu une subvention pour créer le nouveau bâtiment du "MI" en 2018. Il s'agissait de l’une des subventions les plus élevées jamais versées en France par l’Agence Nationale pour la Recherche. Grâce à cette subvention de 72,3 millions d’euros, Didier Raoult fait construire un nouveau bâtiment pour accueillir l'IHU Méditerranée Infection (“Institut MI”), inauguré en 2018.

Cet institut est dédié au diagnostic, à la prise en charge et à l’étude des maladies infectieuses y compris les soins, la recherche et l’enseignement. L'IHU Méditerranée Infection a pour membres fondateurs : université d'Aix-Marseille, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (APHM), BioMérieux, l'Établissement français du sang, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service de santé des armées. Il bénéficie également de l'aide de l'Union européenne et du Fonds européen de développement régional ainsi que de nombreux partenariats.

En visitant l’IHU, j’ai vu un jeune chercheur sortir du bureau de Raoult en larmes et se précipiter dans les bras de ses amis, qui étaient évidemment habitués à cela. « Quand il n'est pas content de quelque chose, il vous le fera savoir  », m'a dit l'un d'eux. En 2017, une lettre anonyme de plainte émanant de douze ingénieurs de recherche et techniciens de l'IHU a été suivie d'une enquête des quatre CHSCT des salariés rattachés à l'IHU (CNRS, Inserm, Université d'Aix-Marseille et Institut de recherche pour le développement), qui étaient destinataires de la lettre anonyme. Cette lettre décrit les « cris », les « insultes » et l '« intimidation psychologique » d'un « leadership d'une autre époque ». Elle dénonce des conditions de travail « en dehors de toutes règles », « des altercations verbales violentes », « voire des menaces de la part de la hiérarchie ». Des membres et anciens membres de l'IHU font, à visage découvert, mention de « comportements méprisants », de « menaces ». Plus grave encore, dans ce domaine, certains témoignent de « falsification de résultats d'expérience à la demande d'un chercheur », détaille le compte-rendu de l'enquête.

« Ce n'est pas l'avis de sept personnes qui prime sur celui des quelque 700 que compte le bâtiment  », répond dans Marsactu Didier Raoult. « Il met la barre très haut, et [ceux qui travaillent pour lui] trouvent les moyens et l'énergie pour l'atteindre. On ne fait pas de grandes choses en proposant aux gens de jouer à la marelle », justifie Christophe Rogier, son ancien collègue qui lui conserve toute son estime.

Le long de l'entrée de l'institut Raoult, il y a une ligne d'Horace : Exegi monumentum aere perennius, « J'ai fabriqué un monument plus durable que le bronze. »

Le style Raoult, c'est aussi une « passion » de la recherche qui le fait venir « au laboratoire tous les dimanches » et un « charisme » digne d' « un général sur un champ de bataille », à en croire anciens étudiants et collègues. « C'est un chef de bande  », décrit le député Guy Teissier, qui l'a rencontré plusieurs fois. « Il a à ses côtés des chercheurs qui ont fait toute leur route avec lui, et qui sont comme ses apôtres, et de jeunes professeurs qui ont une espèce de foi dans leur patron et dans leur engagement  », poursuit l'élu.

La « forte personnalité » du chercheur, qui admire « les grands hommes autoritaires », de Napoléon à Vladimir Poutine, selon l'un de ses amis, a une face plus sombre. L'un de ses anciens collaborateurs, qui a préféré garder l'anonymat, décrit à franceinfo un homme « autoritaire, pouvant avoir un comportement extrêmement méprisant et humiliant vis-à-vis des personnes sous sa direction  ». Contactée, une ex-salariée décline tout net, par « peur » des représailles.

Ces dernières années, Raoult s'est amusé, semble-t-il, en exposant des prétentions scientifiques tendancieuses, parfois dans des territoires bien au-delà de la portée de son expertise. Rien ne l'amuse plus que « de détruire des théories bien établies », explique-t-il lors de sa remise de prix INSERM. Il est sceptique, par exemple, sur l'utilité de la modélisation mathématique dans le domaine de l'épidémiologie. La même logique l'a amené à conclure que les modélisateurs du climat ne sont que des « devins » pour notre « ère scientiste » et que leurs prédictions désastreuses ne sont pour la plupart qu'une tentative d'expier nos sentiments de culpabilité intenses mais irrationnels.

Il est également dédaigneux de l'alarmisme qui est la position par défaut parmi les spécialistes des maladies infectieuses. Il doutait, au départ, que le SARS-CoV-2 se propage au-delà de la Chine, ou que ce serait un terrible problème s'il le faisait. Le 20 janvier, des scientifiques chinois ont confirmé que des infections se transmettaient de patient en patient et le président Xi Jinping, dans ses premiers commentaires publics sur le coronavirus, a déclaré que toutes les mesures possibles devraient être prises pour contenir l'épidémie. L'Organisation mondiale de la santé a annoncé une réunion d'urgence. Le lendemain, à Marseille, Raoult a posté une vidéo sur la chaîne YouTube de son institut. Il a fait face à son intervieweur hors écran avec des yeux las, a soupiré et a dit : « Vous savez, le monde est devenu fou . » Chaque année, dit-il, il y a probablement 600 ou 700 personnes qui décèdent des infections à coronavirus en France et des milliers d'autres à cause d'autres maladies respiratoires. « Le fait que des gens soient morts d'un coronavirus en Chine, je n'ai pas l'impression que cela signifie beaucoup pour moi  », a-t-il déclaré. « Je ne sais pas, peut-être que les gens n'ont rien à faire, alors ils sont allés chercher en Chine quelque chose à craindre. »

Le dernier livre de Didier Raoult
Le livre le plus récent de Raoult, « Épidémies : vrais dangers et fausses alertes  », a été publié fin mars, date à laquelle l'OMS avait signalé plus de 330 000 cas confirmés de Covid-19 dans le monde et plus de 14 500 décès. « Cette angoisse face aux épidémies  », écrit-il, « est totalement indépendante de la réalité des décès par maladies infectieuses. »

Les « remarques très sévères concernant le mode de management de laboratoire  » conduisent néanmoins l'Inserm et le CNRS à retirer leurs tutelles à l'IHU. « C'est un excellent scientifique, on ne peut pas lui enlever ça  », reconnaît un directeur de recherche de l'Inserm consulté pour cette décision. « La direction d'une unité de recherche demande d'autres qualités que l'excellence scientifique, et j'ai la conviction personnelle que Didier Raoult ne les a pas. »

Reste que Didier Raoult, en prenant le pari de l'hydroxychloroquine, a secoué la recherche et contribué, à sa façon, à muscler la lutte contre le coronavirus.

Il est impossible de savoir si le traitement à la chloroquine permettra un jour de mettre fin à l'épidémie de Covid-19. Une chose est cependant sûre : le débat qui fait rage au sein de la communauté scientifique se cristallise autour de Didier Raoult, grand apôtre de ce traitement, qui se présente comme la victime de l’intelligentsia scientifique parisienne liée à l’industrie pharmaceutique.

Il est vrai que rarement un professeur de médecine aura été aussi critiqué. Sauf que ces critiques ne viennent pas de nulle part. On lui reproche des résultats biaisés, des méthodes peu scrupuleuses et une opacité dans les financements des travaux nourrissent le dossier de ses contempteurs.

Didier Raoult, en dépit d’une brillante carrière, s’est vu privé en janvier 2018 du label du CNRS et de l’Inserm, deux de ses établissements de tutelle. Les deux rapports scientifiques, instruits en janvier 2017 par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), autorité administrative indépendante, ils sont le fruit du travail d’une quinzaine de chercheurs européens venant notamment du University College de Londres (UCL), de l’Institut Bernhard Nocht de médecine tropicale de Hambourg ou de l’Institut Pasteur.

Ces études dressent un bilan sans concession de l’Urmite, le fameux laboratoire de recherche de Didier Raoult sur les maladies infectieuses et tropicales (scindé depuis cet audit en deux unités, Mephi et Vitrome).

Selon les évaluateurs, faute d’analyse épidémiologique, de vérifications et de recherches approfondies, le travail de certaines équipes de son unité n’apporte pas de « bénéfice scientifique ».

Concernant la « qualité scientifique et la production » de l’unité Mephi (pour « Microbes, évolution, phylogénie et infection »), dédiée notamment à l’identification de nouvelles bactéries et virus, les évaluateurs regrettent que la priorité soit donnée au « volume de publications plutôt qu’à leur qualité ». Si l’unité du professeur Raoult a été à l’origine de plus de 2 000 publications entre 2011 et 2016, « seules 4 % d’entre elles l’étaient dans des revues de haut impact international », précisent-ils.

Par ailleurs, le « manque d’expertise dans des domaines clefs », en particulier « en épidémiologie », entraîne des essais cliniques mal conduits et des études biostatistiques approximatives. En résumé, les découvertes ne donnent lieu à aucune recherche approfondie permettant de connaître par exemple les effets d’un virus sur le corps humain.

Mais on apprend que Raoult a un différend avec le PDG de l’Inserm d’alors, Yves Lévy, qui est aussi le mari de la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Le conflit porte sur le statut des instituts hospitalo-universitaires. La ministre a décidé de le changer, en accord avec sa collègue, la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal.

Yves Lévy veut mettre fin au statut de fondation de ces instituts, qui leur donne trop de liberté. La décision gouvernementale les transforme en groupes d’intérêts publics, ce qui renforce le poids de l’Inserm. Mais Didier Raoult refuse ce statut. Il estime dans la presse qu’il y a un conflit d’intérêt patent entre la décision de la ministre et la position du PDG de l’Inserm. Matignon s’en mêlera…

« C’était la bataille de deux égos. Raoult et Lévy ont un ego sur-dimensionné. Ça coûté à Raoult le label Inserm que Lévy lui a refusé sans explication  », estime un observateur. « Et cette absence de label le décrédibilise aux yeux de l’establishment scientifique  ».

Un homme qui agit

Le dernier Jedi
Didier Raoult : le dernier Jedi
Selon les normes de la biologie moléculaire, la réaction en chaîne par polymérase en temps réel, la technologie la plus couramment utilisée pour tester le SARS-CoV-2, n'est pas d'une complexité extravagante. Mais cela dépend des écouvillons de collecte, des machines de thermocyclage, des réactifs chimiques et des sondes et amorces nucléotidiques, et si l'un de ces composants est en quantité insuffisante, les tests ne peuvent pas être exécutés. À partir de janvier, lorsque le génome du SARS-CoV-2 a été publié pour la première fois, l'IHU a acheté ou emprunté autant de ces éléments que possible, dépensant un demi-million d'euros rien que pour de nouvelles machines. Quelles que soient les réserves de Raoult sur le virus, il n’entendait pas rater l’occasion de l’étudier, et peut-être gagner la course pour trouver un traitement. Son institut reçoit la majeure partie de son financement de sources publiques – Raoult a reçu 130 millions d'euros pour le construire – mais il contrôle efficacement son propre budget, et Raoult, en tant que directeur fondateur, a un contrôle presque complet de ce qui se passe à l'intérieur de ses murs. « Il peut essentiellement dire : "Attendez, je veux transformer la chambre et la salle à manger en cuisine"  », a déclaré Drancourt.

Près de 800 personnes travaillent à l'institut. Début mars, alors que les patients atteints de coronavirus commençaient à arriver, presque tous les membres du personnel ont tourné leurs efforts vers le SARS-CoV-2. Raoult a obtenu l'autorisation de commencer un petit essai clinique d'hydroxychloroquine. Cependant, comme les infections respiratoires virales entraînent souvent des infections bactériennes secondaires, Raoult a voulu tester un antibiotique supplémentaire chez certains patients; il a choisi l'azithromycine, qu'il avait précédemment testée contre Zika. « Si vous en choisissez un, vous pouvez tout aussi bien choisir celui qui s'est révélé actif contre un virus  », a déclaré Bernard La Scola, qui dirige le laboratoire de biosécurité de l'IHU.

L'hydroxychloroquine est censée inhiber la reproduction virale dans les cellules infectées en augmentant leur pH, comme dans la fièvre Q et la maladie de Whipple; le mécanisme antiviral de l'azithromycine n'a pas été expliqué. Mais ce qui fonctionne fonctionne. Si nous nous appuyions uniquement sur des médicaments dont les mécanismes étaient précisément établis, un certain nombre de médicaments populaires – l'acétaminophène, par exemple, l'ingrédient actif du Tylenol – ne seraient pas utilisés. J'ai demandé à Raoult si l'idée de tester les médicaments ensemble était née des discussions avec son équipe. « C'était moi  », m'a-t-il dit. « Ne te fais pas d'illusions. »

Le test devait durer deux semaines par patient, mais après seulement six jours, les résultats étaient si favorables que Raoult a décidé de mettre fin à l'essai et de publier. « Habituellement, nous prenons le temps d'écrire, de faire des corrections, de réfléchir, de passer en revue les choses 50 fois  », a déclaré Philippe Gautret, le chef de département qui était le premier auteur inscrit sur le papier. « Dans ce cas, nous travaillions avec un réel sentiment d'urgence. Parce que nous pensions que nous devions faire passer le mot, parce que, peut-être, nous avions trouvé un moyen d'améliorer les choses. »

D'autres auraient pu procéder avec plus de prudence ou avoir peut-être attendu pour confirmer ces résultats avec un essai plus vaste et plus rigoureux. Cependant, Raoult aime à se considérer comme un médecin d'abord, avec une obligation morale de traiter ses patients qui remplace tout désir de produire des données fiables. « Nous n'allons pas dire à quelqu'un : " Écoutez, ce n'est pas votre jour de chance, vous obtenez le placebo, vous allez mourir" », m'a-t-il dit. Il estime qu'il n'est pas nécessaire, en plus d'être contraire à l'éthique, de mener des essais contrôlés randomisés, ou R.C.T.s, de traitements pour les maladies infectieuses mortelles. Si ceux-ci sont devenus la norme acceptée dans la recherche biomédicale, soutient Raoult, c'est uniquement parce qu'ils font appel aux statisticiens « qui n'ont jamais vu de patient ». Il qualifie avec dédain ces scientifiques de « méthodologistes ».

L'article de Raoult incluait des résultats pour 36 patients. Quatorze ont été traités avec du sulfate d'hydroxychloroquine; six ont été traités avec une combinaison de sulfate d'hydroxychloroquine et d'azithromycine; et 16 ont servi de témoins. Au jour 6 de l'essai, 14 des 16 patients témoins étaient toujours positifs pour le virus. Les patients recevant de l'hydroxychloroquine se sont nettement mieux comportés, avec seulement six des 14 tests positifs au jour 6. Plus encourageant, cependant, les six patients traités avec une combinaison d'hydroxychloroquine et d'azithromycine se sont avérés débarrassés du virus.

Plusieurs médecins français éminents ont averti que les résultats devraient être confirmés et avertis d'éventuels effets secondaires. Le ministre français de la Santé a jugé l'essai prometteur mais a appelé à plus de tests. Raoult avait déjà commencé à rassembler des données pour une étude plus vaste, mais il a rejeté la nécessité de quelque chose de particulièrement vaste ou long. Comme d'autres critiques de la R.C.T., il aime souligner qu'un certain nombre de développements évidents et utiles dans le domaine de la santé humaine n'ont jamais été validés par des tests aussi rigoureux. Cette observation est connue sous le nom de paradigme du parachute : nous avons tendance à accepter l'affirmation selon laquelle les parachutes réduisent les blessures chez les personnes qui sautent des avions, mais cet effet n'a jamais été prouvé dans une étude randomisée qui compare un groupe de parachutistes à un groupe malchanceux de gens qui sautent sans parachute et qui servira de groupe de contrôle. « C’est comme le dit Didier  », me dit Drancourt. « Si vous n'avez pas quelque chose de visible chez 10 patients ou 30, c'est inutile. Cela n'a aucune conséquence. » Un traitement efficace contre une maladie infectieuse potentiellement mortelle sera visible à l'œil nu.

En ce qui concerne le dépistage massif, contrairement à la recommandation de Raoult, depuis le passage au stade 3 en France, toute personne présentant les symptômes du coronavirus n'est pas systématiquement dépistée, ce qui fausse les chiffres des cas de contamination mais aussi empêche la prise en charge de certains patients à temps. Lorsque leur état s’aggrave et qu’ils sont hospitalisés, il est parfois trop tard pour les soigner sachant qu’il n’existe pas non plus suffisamment de lits de réanimation pour tout le monde. En Corée du Sud, un dépistage systématique a permis de faire reculer le Covid-19 alors qu'en France le gouvernement a trop tardé pour opter pour cette méthode.

Comment Trump s'est-il intéressé à la chloroquine ?

Donald Trump
Donald Trump découvre la chloroquine
Le 16 mars, un avocat de Long Island et un passionné de blockchain, Gregory Rigano, est apparu dans l'émission nocturne de Laura Ingraham sur Fox News, « The Ingraham Angle ». Ingraham a présenté le segment en demandant : « Et s'il existe déjà un médicament bon marché et largement disponible, qui est sur le marché, pour traiter le virus ? Eh bien, selon une nouvelle étude, il existe un tel médicament. Ça s'appelle la chloroquine. » Rigano, qui à l'époque se présentait faussement comme conseiller de la Stanford Medical School, avait récemment publié lui-même un rapport élogieux sur le potentiel de la chloroquine, « An Effective Treatment for Coronavirus (Covid-19)  », sous la forme d'un document Google formaté d'une façon à ressembler à une publication scientifique. Il avait commencé à circuler dans les médias de droite et aussi dans la Silicon Valley; Elon Musk a tweeté un lien vers celui-ci. Raoult l'a vu et a remarqué l'attention qu'il recevait en ligne. Un autre chercheur aurait pu trouver ce type de publication irresponsable et dangereux. Raoult a commencé à correspondre avec Rigano et son co-auteur, James Todaro, un ophtalmologiste et investisseur Bitcoin. Raoult les a autorisés à partager ses résultats avant leur publication.

A l'antenne, Rigano a annoncé qu'un chercheur du sud de la France, « l'un des plus éminents spécialistes des maladies infectieuses au monde  », s'apprêtait à publier les résultats d'une importante étude clinique. « En l'espace de six jours, les patients prenant de l'hydroxychloroquine se sont révélés négatifs pour le coronavirus, pour le Covid-19  », a déclaré Rigano. (Il n'a fait aucune mention de l'azithromycine.) « Nous avons de bonnes raisons de croire qu'une dose préventive d'hydroxychloroquine va empêcher le virus de s'attacher au corps et permettre de s'en débarrasser complètement », a-t-il ajouté. « Cela change la donne », a déclaré Laura Ingraham.

Dans les prochains jours, Ingraham a interrogé à la fois Anthony Fauci, le directeur de l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses et membre du groupe de travail sur la pandémie du président Trump, et Alex M. Azar II, le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, au sujet du médicament. Sean Hannity a commencé à le promouvoir comme remède pour le Covid-19. « Disons-le ainsi  », a-t-il déclaré lors de son émission de radio. « Si je l'avais – personnellement, je ne parle que pour Sean Hannity – je serais partout. » Rigano est apparu dans l'émission de Tucker Carlson et a affirmé que l'étude de Raoult avait montré que l'hydroxychloroquine avait un « taux de guérison de 100% contre le coronavirus  ». Selon Todaro, Raoult lui avait envoyé une copie de son étude et lui avait permis de la publier sur Twitter ce jour-là, deux jours avant la publication de la prépublication. « Je soupçonne qu'il nous a donné la permission parce qu'il savait que c'était le moyen le plus rapide de diffuser les résultats de l'étude  », m'a dit Todaro. (Rigano n'a pas répondu aux demandes de commentaires.) Plus tard, Raoult lui-même est apparu sur « Dr. Oz  », le talk-show animé par le célèbre médecin Mehmet Oz, un invité fréquent de Fox News qui a promu l'hydroxychloroquine. « Je crois que les idées et les théories sont épidémiques  », a dit Raoult. « Quand elles sont bonnes, elles prennent racine. »

Trump a commencé à s'intéresser à l'hydroxychloroquine le 19 mars, lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche avec son groupe de travail sur le coronavirus. « Je pense que ça va être très excitant  », a déclaré Trump. « Je pense que cela pourrait changer la donne et peut-être pas. Et peut-être pas. Mais je pense que cela pourrait être, sur la base de ce que je vois, cela pourrait changer la donne. Très puissant. » Il a suggéré, à tort, que la F.D.A. avait approuvé le médicament contre le Covid-19. Il n'a fait aucune mention de l'azithromycine. Le commissaire Stephen M. Hahn de la F.D.A. le corrigea doucement plus tard et déclara qu'un grand essai clinique serait le moyen approprié d'évaluer la valeur thérapeutique du médicament.

Pourtant, comme la chloroquine et l'hydroxychloroquine sont disponibles pour une utilisation dans d'autres conditions, les médecins ont pu fournir aux patients du Covid-19 un traitement « hors AMM » s'ils pensaient que cela apporterait un bénéfice. Des pénuries de médicaments ont été signalées à partir de la mi-mars. La F.D.A., sous ce qui semble avoir été une forte pression de la part de l'administration Trump, a délivré une autorisation d'utilisation d'urgence pour le phosphate de chloroquine et le sulfate d'hydroxychloroquine, permettant aux médecins d'accéder à des dizaines de millions de doses de médicaments du stock stratégique national. Fait inhabituel, le C.D.C., à la demande directe de Trump, a publié des directives de prescription pour le Covid-19 de médicaments basées sur des essais cliniques non attribuées. (Les directives ont ensuite été retirées.) Un haut responsable biomédical du gouvernement a été démis de ses fonctions, a-t-il affirmé, pour avoir résisté à la pression politique de financer « des médicaments potentiellement dangereux  », dont l'hydroxychloroquine.

Il y a beaucoup de choses sur Raoult qui pourraient le rendre, et par extension son traitement proposé, faisant appel à un homme comme Trump. C'est un iconoclaste aux cheveux drôles; il pense que presque tout le monde est stupide, en particulier ceux qui sont généralement considérés comme intelligents; il est aimé par les coléreux et les conspirateurs; son auto-félicitation est plus ou moins incessante. Raoult et moi avons parlé plusieurs jours après la signature de l'autorisation d'utilisation d'urgence. Il a dit qu'il n'en avait pas entendu parler et semblait surpris, mais il a également dit que Trump l'avait impressionné par son intuition sur l'hydroxychloroquine. « Il n'est pas si stupide  », a-t-il dit en riant. Raoult a classé la psychologie de Trump comme celle d'un « entrepreneur », par contraste avec celle d'un « politicien ». « Les entrepreneurs sont des gens qui savent comment décider, qui savent comment prendre des risques  », a-t-il déclaré. « Et à un certain moment, décider, c'est prendre un risque. Chaque décision est un risque.  »

Les Français ont attendu beaucoup trop longtemps, selon lui, pour approuver l'utilisation de l'hydroxychloroquine chez les patients du Covid-19. L'autorisation n'est intervenue qu'après que Raoult a annoncé dans la presse qu'il continuerait, « conformément au serment d'Hippocrate  » et au mépris du gouvernement, de traiter les patients avec sa polythérapie. « Je suis convaincu qu'à la fin, tout le monde utilisera ce traitement  », a déclaré Raoult au Parisien. « Ce n'est qu'une question de temps avant que les gens acceptent de manger leur chapeau. »

Cabale contre Raoult

Cabale contre Raoult
Cabale contre le Professeur Raoult

La dynamique d'une crise n'est pas particulièrement propice à une science fiable. En octobre 1985, au cours des terribles premières années de l'épidémie de sida, un groupe de médecins français, rejoint par le ministre français des Affaires sociales, a tenu une conférence de presse pour annoncer au monde qu'ils avaient découvert ce qui ressemblait à un remède. Le médicament était la cyclosporine, un immunosuppresseur peu coûteux qui avait jusque-là été utilisé dans des transplantations d'organes pour empêcher le rejet de nouveaux tissus. Chez les patients atteints du SIDA, la cyclosporine a eu l'effet paradoxal d'augmenter le nombre de globules blancs; les patients ont subi une « amélioration spectaculaire », a déclaré un chercheur. L'annonce était basée sur les résultats de seulement deux patients, cependant, et ces patients n'avaient commencé le traitement qu'une semaine plus tôt. Les scientifiques ont été largement critiqués à l'époque pour avoir bafoué les normes de la recherche biomédicale afin de rapporter des données aussi limitées. « Compte tenu de la force de nos hypothèses  », ont-ils répondu, « nous pensons que, sur le plan éthique, nous ne pourrions pas continuer à garder nos résultats secrets juste pour respecter les lois habituelles de la conduite scientifique. »

« Comme Raoult, ils étaient très attachés à ce qu'ils ont dit  », a déclaré Jean-Michel Molina, qui dirige les services des maladies infectieuses de deux hôpitaux publics parisiens. « Ils sentaient qu'ils avaient trouvé un remède. » Peu de temps après l'annonce, l'un des deux patients est décédé, et il a été révélé qu'un troisième patient était décédé avant la conférence de presse; il avait été exclu des résultats rapportés car son cas était jugé trop grave pour être renversé. En quelques semaines, le nombre de globules blancs du patient restant était tombé à son niveau précédent. L'expérimentation avec la cyclosporine s'est bientôt arrêtée.

Comme de nombreux médecins, Molina considérait l’étude de Raoult avec scepticisme, mais il était également curieux de voir si le schéma thérapeutique proposé pouvait effectivement fonctionner. Il a testé l'hydroxychloroquine et l'azithromycine chez 11 de ses propres patients. « Nous avions des patients sévères et nous voulions essayer quelque chose  », m'a dit Molina. Dans les cinq jours, un était décédé et deux autres avaient été transférés hors de son service aux soins intensifs. Chez un autre patient, le traitement a été suspendu après l'apparition de problèmes cardiaques, un effet secondaire connu des médicaments. Huit des 10 patients survivants étaient toujours testés positifs pour le SARS-CoV-2 à la fin de la période d'étude.

Les données de Raoult provenaient de patients présentant des cas bénins ou précoces de la maladie, lorsque la charge virale était plus faible, et j'ai demandé à Molina si ses patients n'avaient pas été trop malades pour bénéficier du traitement. « S'il y a une activité antivirale, vous devriez pouvoir la voir  », a-t-il déclaré. « Vous savez, vous pouvez dire : "Il est trop tard, vous ne verrez pas le bénéfice clinique." Mais au moins, vous devriez voir l'activité antivirale. Si c'est un antiviral. »

Mais personne n'a jamais dit que la chloroquine était un antiviral et le Professeur Raoult a toujours soutenu qu'il fallait appliquer son protocole dès les premiers symptômes, avant que les cas ne deviennent trop graves. Le comité scientifique « exclut toute prescription » pour « des formes non sévères » de la maladie, en l'absence de toute donnée probante. Un arrêté encadrant le recours à ce traitement est pris dans ce sens, et donc à contre-pied des préconisations de Raoult. C'est maintenant que le ministre de la Santé, Olivier Véran, qui a annoncé qu'une campagne de tests devrait être organisée une fois le confinement levé, donc une fois l'épidémie passée, c'est-à-dire après la bataille. Le ministre a également encadré l’usage de la chloroquine en le réservant uniquement aux « cas graves » en milieu hospitalier.

Dans un tel contexte, sans prendre en compte les consignes nationales de confinement, l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection à Marseille, dirigé par Didier Raoult, a commencé à assurer le dépistage de toutes les personnes « fébriles » qui s'y présentent. De plus, dans cet IHU, ce n’est pas seulement aux « cas graves » mais aussi aux cas modérés que la chloroquine est administrée.

Les détracteurs mettent en avant que l’étude de Raoult n’a mesuré que la charge virale. Il n’offrait aucune donnée sur les résultats cliniques et il n’était pas clair si les symptômes réels des patients s’étaient améliorés ou si les patients vivaient ou mouraient. Au départ, 26 patients ont été assignés à recevoir de l'hydroxychloroquine, six de plus que les 20 qui sont apparus dans les résultats finaux. Les six autres patients avaient été « perdus de vue  », ont écrit les auteurs, « en raison de l'arrêt précoce du traitement  ». Les raisons invoquées étaient préoccupantes. Un patient a arrêté de prendre le médicament après avoir développé des nausées. Trois patients ont dû être transférés hors de l'institut aux soins intensifs. Un patient est décédé. (Un autre patient a choisi de quitter l'hôpital avant la fin du cycle de traitement.) « Donc, quatre des 26 patients traités ne se rétablissaient pas du tout  », a noté Elisabeth Bik, une consultante scientifique qui a écrit un article de blog largement diffusé sur l'étude de Raoult. Elle a paraphrasé le sarcasme qui circule sur Twitter : « Mes résultats sont toujours incroyables si je laisse de côté les patients décédés. » C'est assez mesquin quand soi-même on n'a pas de meilleure solution à apporter.

Le rapport était également soi-disant truffé de divergences et d'erreurs apparentes. Ses critères de sélection exigeaient des participants de plus de 12 ans, mais trois des sujets témoins étaient plus jeunes que cela. Les patients témoins provenaient non seulement de l'IHU, mais aussi des hôpitaux de deux autres villes, où la norme de soins et les protocoles de test pouvaient différer. Quatorze des 16 patients témoins auraient été positifs pour le virus à la fin de l'étude le jour 6. En fait, selon le rapport initial, pour cinq de ces 14, aucune donnée n'a été collectée ce jour-là. L'un des six patients qui ont reçu de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine et ont été enregistrés comme « guéris virologiquement » au jour 6 s'est finalement avéré être porteur du virus deux jours plus tard. On cherche la petite bête pour le discréditer. On va même jusqu'à faire comparaître des témoins anonymes.

Cette apparente négligence n’était pas surprenante pour beaucoup de ceux qui ont suivi le travail de Raoult dans le passé. Un éminent microbiologiste français m'a dit que, en termes de publication, la réputation de Raoult parmi les scientifiques était « révolue » depuis un certain temps. « En privé », m'a écrit le chercheur, « tout le monde s'accorde sur la faible fiabilité / reproductibilité de la plupart des papiers sortant de son laboratoire. » (Il a demandé à parler de manière anonyme afin de ne pas irriter Raoult, qu'il connaît.) En 2018, après des évaluations accablantes, les principaux laboratoires de Raoult ont été déchus de leur association avec deux des plus grands instituts de recherche publics français. On sait depuis que Didier Raoult était en conflit avec le directeur de l'Inserm, Yves Lévy. D'après le rapport, Raoult aurait produit un nombre extraordinaire de publications mais peu de grande qualité. « Il est très facile de publier [explicatif] lorsque vous savez comment fonctionne la publication  », a déclaré Karine Lacombe, professeur de médecine à Paris, rémunérée par les laboratoires tels que Gilead, qui a récemment fait partie des critiques les plus franches de Raoult. Il ne faut pourtant pas gratter très profond pour découvrir le conflit d'intérêt.

Mais pendant ce temps on constate que Valérie Boyer, Bruno Retailleau, Christian Estrosi, Julien Dray... et plusieurs autres personnalités politiques veulent faire confiance au directeur de l’IHU de Marseille pour se soigner du coronavirus.

Raoult en sorcière
Raoult considéré comme une sorcière
Au-delà de ses erreurs et omissions apparentes, la conception de l'étude – sa petite taille, son contrôle défectueux, l'affectation non randomisée des patients aux groupes de traitement et de contrôle – a été largement considérée pour rendre ses résultats dénués de sens. Fauci a appelé à plusieurs reprises ses résultats « anecdotiques »; le biostatisticien qui a analysé l'article au nom du comité consultatif du gouvernement français sur les coronavirus a écrit qu'il était « impossible d'interpréter l'effet décrit dans ce document comme étant attribuable au traitement par l'hydroxychloroquine  ».

Des essais randomisés de grande envergure et bien contrôlés ne sont en aucun cas le seul moyen d'obtenir des informations scientifiques utiles. Leur utilité est qu'ils améliorent les signaux statistiques de telle sorte que, au milieu du bruit de la variabilité humaine et du hasard, même le faible effet d'un nouveau traitement peut être détecté. Le principal obstacle statistique que tout traitement proposé pour le Covid-19 devra surmonter – un problème délicat que même les critiques de Raoult doivent noter, au milieu de la tristesse et de la peur de cette pandémie – est que le signal est susceptible d'être très faible, car la maladie est, au final, rarement fatale. Presque tout le monde survit; un traitement efficace sauvera la vie d'un ou deux patients sur cent qui n'auraient pas pu s'en passer. « Vous savez, les gens disent parfois : Si le patient s’améliore, c’est à cause du médicament et s’il s’aggrave, c’est à cause du virus  », me dit Molina. « Et bien sûr, ce n'est pas vrai. Et c'est pourquoi vous devez faire une étude bien menée, randomisée et contrôlée par placebo si vous voulez montrer quoi que ce soit. » Il est possible que l'hydroxychloroquine et l'azithromycine soient un traitement efficace pour le Covid-19. Mais l’étude de Raoult a montré, au mieux, que 20 personnes qui auraient certainement survécu sans aucun traitement ont également survécu pendant six jours en prenant les médicaments prescrits par Raoult.

« Si vous n'avez pas fait ce genre de choses, vous pouvez consulter un rapport de personnes répondant à un tel traitement et vous assurer que la réponse est ici – ici même, et quiconque ne le voit pas doit avoir des arrière-pensées  », Derek Lowe, un chercheur pharmaceutique de longue date, a écrit pour Science Translational Medicine le mois dernier. « Mais ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. » Il a poursuivi : « Médicaments contre la maladie d’Alzheimer, médicaments contre l’obésité, médicaments cardiovasculaires, médicaments contre l’ostéoporose : il y a eu à maintes reprises des résultats positifs qui se sont évaporés lors d’une inspection plus approfondie. Après avoir vécu cela plusieurs fois, vous prenez à cœur la leçon que la seule façon d’être sûr de ces choses est d’exécuter des essais contrôlés suffisamment alimentés. Pas de raccourcis, pas de sentiments intestinaux – juste des données.  »

« J'ai inventé une dizaine de traitements dans ma vie  », m'a expliqué Raoult. « La moitié d'entre eux sont prescrits partout dans le monde. Je n'ai jamais fait d'étude en double aveugle de ma vie, jamais. Jamais ! Je n'ai jamais rien fait d'aléatoire non plus. » Il a noté, avec une certaine satisfaction, que la critique était plus intense qu'il ne l'avait prévu. « Honnêtement, je n'aurais pas pu imaginer que cela déclencherait une frénésie comme celle-ci  », a-t-il déclaré, se penchant en arrière sur sa chaise de bureau et désignant la tempête qu'il avait créée dans le monde extérieur. « Quand vous racontez l'histoire, c'est extrêmement simple, non ? C'est un sujet, un verbe, un complément : vous détectez une maladie; il y a un médicament qui est bon marché, dont nous connaissons la sécurité parce qu'il y a deux milliards de personnes qui le prennent; nous le prescrivons, et cela change l'état du malade. Ce n'est peut-être pas un produit miracle, mais c'est mieux que de ne rien faire, non ? »

Ses subordonnés ont défendu l'étude comme le meilleur travail qu'ils pouvaient faire dans les circonstances et le moyen le plus rapide d'alerter le monde sur la possibilité d'un traitement. L'utilisation de contrôles hors site n'était pas idéal, par exemple, mais c'était la seule option s'ils voulaient aller vite. « Bien sûr, c'est une faiblesse méthodologique  », m'a dit Gautret, le premier auteur. « Mais nous avons fait avec ce que nous avions. » Quant aux six patients « perdus de vue », même s'il avait été possible de recueillir des données auprès d'eux, il aurait été absurde d'inclure la plupart d'entre eux dans leur rapport. Leur objectif était de « traiter les gens dans les premiers stades de la maladie, alors qu'elle n'est pas encore grave  », a déclaré Gautret. « Nous savons que dans les maladies virales aiguës, plus vous traitez tôt, meilleures sont vos chances de succès. Cela n'a aucun sens d'inclure les personnes qui sont au bord de la mort dans l'étude. Nous ne prétendons pas pouvoir traiter des personnes qui sont presque mortes. » Une autre petite étude, portant sur 80 patients, a également montré de meilleurs résultats pour les patients atteints de formes bénignes de la maladie.

A Marseille, Raoult m'a annoncé qu'il publierait une troisième étude, celle de 1000 patients, la semaine suivante. Les premiers résultats ont été publiés à la mi-avril. Raoult avait traité 1 061 patients avec une combinaison d'hydroxychloroquine et d'azithromycine. L'étude n'était ni contrôlée ni randomisée; au moment de la publication préimprimée, huit patients étaient décédés et cinq étaient toujours hospitalisés, tandis que 46 au total ont connu un « mauvais résultat clinique ». Les résultats ont été résumés comme suit : « 98,7% des patients ont guéri jusqu'à présent  ». La thérapie a constitué un « traitement sûr et efficace pour le Covid-19  », ont écrit les auteurs.

Raoult le magicien
La « pensée magique » de Didier Raoult

D'autres scientifiques n'étaient pas d'accord avec cette caractérisation des résultats. « Le taux de guérison est presque identique à ce qui a été décrit sur l'évolution naturelle de la maladie  », a déclaré la virologue Christine Rouzioux à la radio française. Karine Lacombe a qualifié les conclusions de Raoult de « pensée magique », ajoutant : « Je pense très honnêtement qu’il n’a rien montré du tout. » Il a également été rapidement découvert que les deuxième et troisième études avaient été menées sans l'approbation d'un comité d'éthique de l'État. Dans une première version du troisième article, Raoult a écrit qu'il avait mené une « étude rétrospective sur une cohorte de patients recevant un traitement standard suivant un protocole de recherche préalablement enregistré  ». Il a fait référence au protocole qui avait été approuvé pour la première étude. Mais ce protocole comprenait l'hydroxychloroquine seule et non l'azithromycine; Raoult n'a jamais reçu l'autorisation de tester systématiquement une combinaison des médicaments.

L'agence de réglementation médicale française, l'A.N.S.M., a adressé à Raoult une demande de preuve du « statut juridique » de la deuxième étude mi-avril. Plus tard dans le mois, le Conseil médical français a publié une déclaration, largement supposée s'adresser à Raoult, rappelant à ses membres que « la mise en danger des patients  » par l'exposition à des « traitements non validés scientifiquement  » pourrait entraîner une suspension immédiate. Raoult a répondu sur Twitter, où il compte maintenant un demi-million de followers, que la menace du conseil n'était « évidemment » pas applicable à son cas. Dans une déclaration sur l'enquête de l'A.N.S.M., L'IHU a insisté sur le fait que l'étude ne comportait pas d'expérimentation car « aucune procédure au-delà de la norme de soins  » – qui, à l'IHU, était l'hydroxychloroquine et l'azithromycine – n'avait été employée.

Raoult avait alors commencé à perdre son sang-froid. Il a accusé Karine Lacombe d'être un agent de l'industrie pharmaceutique; ses fans lui ont envoyé des menaces de mort. Sur Twitter, il a appelé branquignol, le consultant qui a écrit de manière critique sur la première étude, un « chasseur de sorcières  » et a appelé une étude qu'elle a tweeté – l'une des nombreuses publiées en avril et mai qui semblait suggérer que le protocole de traitement de Raoult était inefficace ou même nuisible – « fake news ». Les auteurs d'une autre étude de ce type ont été accusés de « fraude scientifique  ». « Mes détracteurs sont des enfants !  » Raoult a déclaré à un intervieweur. L'attention du monde s'est tournée vers de nouvelles études sur d'autres médicaments; Raoult s'est attaqué à ces études pour leurs faiblesses méthodologiques.

Les résultats de son étude initiale doivent encore être reproduits. « Je pense que ce qu'il espère secrètement, c'est que personne ne pourra jamais rien montrer  », m'a dit Molina. « Que tous les essais menés sur l'hydroxychloroquine ne pourront même pas aboutir à une conclusion d'absence d'efficacité. » Ces dernières semaines, Raoult a en fait tempéré ses affirmations sur les vertus de son schéma thérapeutique. La version publiée et révisée par les pairs de l'étude finale a noté que deux autres patients étaient décédés, ce qui porte le total à 10. Là où la version antérieure appelait les médicaments « sûrs et efficaces  », ils étaient maintenant simplement décrits comme « sûrs  ».

Il a montré des scintillements de ce qui semble être un doute. Dans une interview, Raoult a cité Camus, du roman dramatique "L'étranger", espérant que « le jour de mon exécution, il devrait y avoir une foule immense de spectateurs et qu'ils devraient me saluer avec des hurlements de haine  ».

« Je ne fais pas confiance à la popularité  », a-t-il déclaré à l'intervieweur. « Quand trop de gens pensent que vous êtes merveilleux, vous devriez commencer à vous demander. » Sa première vidéo YouTube, « Coronavirus: Game Over ! » a également été renommé. Le nouveau langage est plus mesuré, et à la place du point d'exclamation se trouve maintenant un point d'interrogation.

Raoult, le « sauveur », le Messie

L'adoration des français pour Didier Raoult
L'adoration des français pour Didier Raoult
En conclusion, il est intéressant de noter qu’un scientifique qui pense qu’on n’a plus de temps à perdre pour sauver des vies, puisqu’on est en situation de « guerre », comme d’ailleurs souligné plusieurs fois par le président français élu emmanuel macron lors de son allocution du 16 mars, suscite plus de confiance chez une grande partie de la population française que l’État français qui a tardé à prendre les bonnes mesures à temps.

Aujourd’hui, Didier Raoult est considéré comme une sorte de « sauveur » qui agit sans plus attendre les décisions du gouvernement – voire qui ne les respecte pas – conformément à son serment d’Hippocrate, ce qui lui vaut le titre d’expert qui défie l’État français surtout depuis qu’il a même quitté le Conseil scientifique un peu « bidon » d'emmanuel macron chargé d’orienter l’exécutif dans la gestion de la crise sanitaire créée par l’épidémie de Covid-19.

Aux polémiques suscitées après les premières déclarations de Raoult au sujet du traitement du coronavirus par la chloroquine s’ajoutent également des débats sur son désaccord avec Yves Lévy, PDG de l'Inserm et mari de l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn sur le statut des IHU. Cela nous conduit à nous demander si ce conflit d’intérêt peut aussi expliquer la marginalisation de l’expert français dans son propre pays alors que même le président américain Donald Trump suit maintenant ses travaux de près et ira même jusqu'à se faire traiter à la chloroquine.

Mais pour les Marseillais et maintenant pour beaucoup de français, le professeur Didier Raoult est maintenant le messie ou même le Père Noël pour certains.

Raoult Père Noël
Raoult Père Noël


Scott Sayare est écrivain à New York. Il vivait auparavant à Paris et y était coincé en mars lorsque les frontières ont commencé à se fermer dans le monde.

Une version de l'article original de Scott Sayare paraît le 17 mai 2020, page 41 du Sunday Magazine avec le titre : Superspreader.

La version française publiée sur dramatic.fr a été complétée par différentes autres sources.

Autres sources :
FranceInter
Ouest-France
Mediapart
FranceInfo
Le Parisien
TRT.net d'après un article de ÖznurKüçüker Sirene publié le 25/03/2020


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Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le , il y a moins d'un an.