La sorcellerie shūr marocaine

sorcellerie shūr
Dans la langue arabe classique l’étymologie du mot Sihr provient du mot Sahara qui représente une sorte de mirage :

quelque chose d’irréel qui s’impose au regard jusqu’à ce que celui qui regarde croie que ce qu’il voit est réel 
(Lisān al-‘Arab)

Au sein de la magie Sihr il n’existe pas de distinction entre la magie bénéfique et la magie noire. Toujours à partir de la même racine il existe cependant dans un dialecte parlé au Maroc le mot shūr (prononcez shour). Il désigne la sorcellerie maléfique et l’ensemble des rituels qui sont amenés à produire chez une personne des modifications négatives, qu’elles soient comportementales, physiques, psychiques ou sentimentales. Le shūr correspondrait donc à de la pure magie noire, la sorcellerie telle que nous la connaissons en occident, alors que le Sihr englobe à la fois les magies positives et négatives, les magies défensives et les magies offensives.

 

L’époque anté-islamique

La sorcellerie est un ensemble de pratiques qui ne date pas de l’avènement de l’islam. Elle existait bien avant. On aurait même accusé le Prophète Mahomet d’être un sorcier car il manipulait l’expression orale avec une grande facilité et à cette époque les individus qui manipulaient avec facilité l’élocution étaient souvent considérés comme des sorciers car ils avaient le pouvoir de manipuler les esprits. Mais on sait aussi que le Prophète lui-même a été victime de la sorcellerie.

Ceci prouve la véritable existence de la magie et qu’il est nécessaire de s’en prémunir. C’est de là qu’est née la magie arabe dite « défensive ». ». Elle est destinée à combattre son pendant : la magie arabe « offensive ».

Le débat sur le fait que la magie soit licite ou non

Depuis la naissance de l’islam il existe un grand débat sur le fait que la magie soit haram ou licite. Certains pensent que la magie, quand elle n’est utilisée que pour les choses bénéfiques, par exemple pour la guérison, peut être considérée comme licite. Ils s’appuient sur les écrits qui rapportent que le Prophète lui-même utilisait souvent la magie pour notamment pratiquer des exorcismes. Mais il faut bien insister sur une chose : les formules récitées par le Prophète se contentaient d’invoquer Dieu.

Par contre, où tout le monde est unanime c'est au sujet de la sorcellerie qui est illicite dans l’islam. Les sorciers qui s’octroient des pouvoirs qui ne devraient appartenir qu’à Dieu sont systématiquement condamnés.

Mais ce débat ne devrait pas avoir lieu. Si au départ il n’y a pas de distinction dans les pratiques Sihr entre la magie blanche et la magie noire, cette frontière semble avoir été instaurée par la religion et la séparation n’est due qu’au fait de l'islam. Le débat sur le licite/illicite en est une preuve matérielle. La sorcellerie ne se distingue de la magie bénéfique que parce qu’elle est interdite par la religion. C’est donc l’islam qui a créé une frontière artificielle d’où découle un débat stérile.

La sorcellerie shūr ne doit même pas être distinguée du Sihr car dans la magie arabe il n’y a pas de distinction. Un sorcier travaille des deux mains. C’est à dire qu’il peut pratiquer de la magie positive comme de la sorcellerie, et parfois même au sein d’un même rituel.

Les fondamentalistes en guerre contre les sorciers

Pour un sorcier, la magie est simplement considérée comme un péché. Le sorcier se considère toujours comme musulman et il fait la prière et le jeûne du mois du Ramadan comme n’importe quel autre musulman. Il s’adresse à Allah dans ses prières pour que ce dernier l’aide à effacer ses péchés.

Mais depuis quelques dizaines d’années un courant fondamentaliste s’est répandu dans l’opinion. Dans certains ouvrages récents, la sorcellerie est présentée comme une pratique polythéiste en ce qu’elle recourt à d’autres forces que la seule force divine.

Les forces le plus communément utilisées par les sorciers arabes sont les djinns. Il est vrai que l’existence des djinns est attestée par le Coran mais ce qui est illicite est de faire des ententes ou des pactes avec eux. Les fondamentalistes affirment que la négociation avec les djinns et le sacrifice renvoient à une logique partagée par des sociétés non arabes et non islamisées. Et dans ce sens ils n’ont pas totalement tort.

Les rites utilisés pour le shūr s’inscrivent donc hors du monde de l’islam. Le contenu de ces rites implique d’autres croyances que celles validées par le Coran.

L’origine des croyances shūr

D’où viennent ces croyances et quelles sont-elles ? Des chercheurs se sont penchés sur la question car quand il y a des questions les chercheurs ne se trouvent jamais très loin.

Certains ont tenté de l’expliquer par une réaction excessive à la période coloniale mais ça ne colle pas car ces pratiques sont beaucoup plus anciennes.

Pour d’autres il s’agirait d’une antique religion berbère (Cf. Basset en 1910) classée dans la catégories des « religions populaires ». Ceci explique que ces rites sont étrangers à l’islam. Mais des travaux récents démontrent que ces rites ne sont pas des cas isolés et s’étendent sur une très vaste zone géographique. On retrouve les mêmes systèmes symboliques et le même système de croyances dans l’ensemble du monde arabe. Selon Ginzburg il s’agirait d’un processus diffusionniste (Cf. Ginzburg en 1992).

Le shūr ne serait donc pas une « aberration locale », ni un ensemble de « superstitions » et encore moins une « religion populaire » telle que la « religion des Berbères ». C’est beaucoup plus profond que cela et la thèse d’un « islam corrompu » ne tient pas la route car elle signifierait que l’ensemble de l’islam est corrompu.

Quoi qu’il en soit il convient de ne pas sous-estimer la cohérence des pratiques rituelles et des croyances shūr contiguës. Il faut aussi tenir compte de tous les « bricolages » produits par l’imagination religieuse. Pour Lévi-Strauss (1985), ce serait :

un ensemble hétéroclite de systèmes entre lesquels se déplacent les acteurs, en essayant de donner une impression d’unité. 



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