L'Ankou habiterait le passage

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Ces va-et-vient ne font pas que marquer les annales. Ils produisent un effet désastreux sur la réputation du rocher, déjà assombrie par les nombreux naufrages que le raz de Sein a connus par le passé. Les vieilles traditions populaires n'affirmaient-elles pas que le passage était habité par l'Ankou, figure mortifère héritée des mythes celtiques ? L'Ankou est une personnification bretonne de la mort. Il était censé habiter sur l'îlot de Tévennec. Dans sa barque, il faisait franchir aux morts la baie des Trépassés.


Les départs successifs des gardiens de Tévennec ravivent cette mémoire, et la légende se développe peu à peu. Elle prend corps dès 1891 dans les écrits du chroniqueur Hyacinthe Le Carguet :

Pendant la construction, au-dessus des travailleurs,
tournoyaient les oiseaux, surpris d'y voir des
êtres vivants [...] Par leurs cris : " Kers-kuit ", ( "va-t'en"), ils
semblaient les prévenir des dangers qui les menaçaient. Pour
faire cesser le bruit et les apparitions, on fut obligé d'ériger une
croix en pierre.
 

Peu après, le folkloriste Anatole Le Braz publie le témoignage d'Henri Porsmoguer, la première sentinelle. Il raconte qu'avant la construction du phare, un naufragé s'était réfugié sur l'îlot. Mais la mer empêcha les secours d'arriver à temps. Il mourut d'une lente agonie, et son spectre hanta l'endroit à jamais.

Une nuit, ce fantôme battit Porsmoguer comme plâtre. Quinze jours plus tard, il avait donné sa démission. L'esprit de Tévennec l'avait dégoûté pour toujours du métier de gardien de phare.

Dans les années 1930, Charles Le Goffic, de l'Académie française, consolide le récit dramatique dans un article intitulé « Vie des phares » :

L'îlot était hanté : un prêtre fut requis pour l'exorciser. Rien n'y fit, même pas le remplacement du gardien solitaire par un ménage de solides chrétiens : le gardien Milliner fut trouvé mort dans son lit; le gardien Ropartz, qui lui succéda, vit son père raflé sous ses yeux par une lame... 

Ce récit sert de référence à tout ce qui s'écrira par la suite sur Tévennec. Plus personne ne prend la peine de vérifier des faits tant de fois répétés.

Je leur ai moi-même accordé du crédit  reconnaît Jean-Christophe Fichou. « Or, en consultant les archives de Quimper à la fin des années 1990, j'ai réalisé que rien n'était vrai. L'histoire était si belle que tout le monde avait voulu la renforcer en ajoutant des détails morbides. » Ces archives attestent qu'aucun gardien n'a sombré dans la folie, ni péri de mort violente. L'un d'eux est bien décédé à Tévennec, mais en raison de son alcoolisme et d'un état de santé dégradé. Aucune source crédible, par ailleurs, ne fait référence à un marin agonisant sur l'îlot. Tout porte à croire que le récit s'est nourri des nombreux naufrages qui ont eu lieu dans la région.



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