Les Constitutions de l’Ordre de la Rose † Croix du Temple et du Graal

Sar Peladan
Cette constitution a été tirée à quinze exemplaires sur papier de Hollande et mille autres sur papier solaire. Elle est adressée contre 5fr ou 1f50 en mandat-poste. Chaque exemplaire est nominatif. On peut donc en déduire qu’à une certaine époque, cette secte comprenait plusieurs centaines de membres.


 
Pour en savoir plus sur la Rose Croix Esthétique visitez ce site des musées nationaux.

Voici le texte d’introduction des constitutions, écrit par Joséphin Peladan qui s’était proclamé « Sâr » quelques années plus tôt. Il s’exprime à la première personne du pluriel. Cet homme n’était vraiment pas seul dans sa tête.

     Nous, par la miséricorde divine et l’assentiment de nos frères – Grand Maître de la Rose † Croix du Temple et Du Graal ;

     En communion catholique romaine avec Joseph d’Arimathie, Hugues des Païens et Dante.

     A tous ceux du siècle – afin qu’on s’en souvienne à jamais.

     Prosterné devant le Saint-Esprit et implorant sa lumière – supplions l’humanité et l’histoire de pardonner Notre indignité.

     Le prêtre seul touche aux Saintes Espèces ; mais le moindre des chrétiens prendrait pieusement en sa main l’hostie gisante dans la poussière et la garderait avec vénération jusqu’au moment de la rendre au tabernacle.

     L’oriflamme échappe-t-elle aux mains de l’enseigne, tout milicien présent la doit relever et tenir pendant l’action.

     Ainsi, la troisième personne divine Nous apparut oubliée sinon blasphémée, privée d’honneur et de suite et au Dieu méconnu, Notre pauvre cœur fut un autel.

     Ainsi les œuvres du Verbe, semblaient pâlissantes et désertées : sans mesurer Nos forces, Nous avons assumé un devoir immense où nul ne s’efforçait.

     Chrétien recueillant l’hostie, guerrier qui dresse au vent de la gloire le Beauséant abandonné, humble dépositaire, Nous rendrons à Pierre ces sublimités qui n’appartiennent qu’à lui, lorsque Pierre tendra le bras pour les recevoir.

     Jusque là, nous échaufferons le Saint Graal du battement fidèle de notre cœur : nous militerons contre l’infidélité, quelques-uns contre, presque tous, épanouissant, au souffle de notre enthousiasme, la Rose des chefs-d’œuvres.

     Nous commandons aujourd’hui, après avoir cherché pendant onze années à obéir, avec une humilité vraie et un sentiment très douloureux de notre imperfection.

     Selon la règle des frères mineurs confirmée par la bulle d’Honorius III où il est écrit : « Le frère François promet obéissance à N.S. le Pape et à ses légitimes successeurs. Pour les autres frères, ils seront obligés d’obéir au frère François et à ses successeurs. » – Notre autorité étant abstraite, est absolue sur les trois ordres et Nous ne relevons en ce monde que du Pape, en l’autre du Saint-Esprit.

     Nous nommerons nous-même Notre successeur, au moment de rendre Notre âme à Dieu, devant le Graal, dans Monsalvat restauré.

     Car notre suzerain Jésus permettra à ses nouveaux fils d’accomplir leur vœu d’idéal.

     C’est donc à Monsalvat, dans Notre stalle de Grand Maître, devant le Saint Sacrement, que Nous donnons rendez-vous à la mort.

     En ces murs d’un style inventé, couverts de fresques, accotés de statues, en ces murs enfermant comme autant de chapelles autour du Maître-autel le laboratoire du savant et la bibliothèque du philosophe ;

     En ces murs dont l'échos ne connaîtra que la déclamation d’Eschyle ou le cri de la Neuvième Symphonie arrêtant un moment la marche funèbre de Titurel, Nous désignerons de Notre main défaillante, qui aura tant œuvré, celui de Nos Gurnemanz, ou de Nos Parsifal, élu à la redoutable gloire.

     Nous dévoilons Notre ambition à cette mort. Elle est si sublime que nul ne Nous accusera de chercher un autre succès.

Ici se dressent trois portiques éternité.

Vous, artistes de tous les arts, venez à la Rose † Croix.
Vous, volontaires, preux de toutes les prouesses, venez au Temple.
Vous, prêtres et fidèles, pour servir le Saint-Esprit, venez au Graal.

     Vous tous que la rigueur des ordres religieux effraye, vous, les faiseurs de chefs-d’œuvre, de gestes, de miracles, venez à Notre appel : « Aimer le Beau plus que soi-même et avoir pour prochain pour cher autrui, l’Idéal. » Venez tels que vous êtes, pécheurs mais poètes, mécréants mais enthousiastes, sans vertus mais plein d’œuvres ? venez former la confrérie de ceux qui se sauvent par la gloire.

     Artistes, croyez-vous au Parthénon et à Saint-Ouen, à Léonard et à la Niké de Samothrace, à Beethoven et à Parsifal : vous serez admis en Rose † Croix.

     Lettrés, érudits, philosophes, archéologues, physiciens et métaphysiciens : que vous soyez de l’Académie ou du Portique, micrographes ou synthétistes, ô tous courbés sur l’inconnu, venez, même brahme, même rabbin, même musulman, donner votre part de lumière et recevoir la clarté d’autrui : et la Rose Croix ┼ sera l’Aristie véritable.

     Volontaires et actifs, fanatiques et enthousiastes, croyez-vous à la nécessité des héros, des génies et des saints, en face des égoïstes, des imbéciles et des méchants ? Croyez-vous qu’il y ait une autre carrière à marcher que celle du dévouement ?

     Croyez-vous au verbe du Golgotha ? vous serez admis dans le Temple.

     Virils de toutes les activités, bonnes volontés de tout état, riches et ouvriers, par l’or ou la labeur, venez comme des fleuves ou des ruisseaux vous jeter en cette mer du zèle enthousiaste qui se forme : et le Temple sera la légion angélique sur la Terre.

     Enfin, vous, fils de l’Église, fidèles et prêtres, venez vous instruire des honneurs de beauté dûs au S-Esprit, venez prier par les œuvres et les actes, et apprendre le devoir chrétien, non plus dans son égoïsme du salut, mais enflammé d’une passion du cœur qui ne laisse rien en nous pour l’humaine et dérisoire passion ; vous serez admis devant le Graal.

     Chrétiens, nous vous convions à une nouveauté de la perfection : la pureté d’intention ne suffit pas au Saint-Esprit, il veut la victoire. La force des passions, le prestige de l’art, nous devons les créer dans la Foi et la vertu ; il faut que les Saintes sourient comme des grâces, que le cœur de saint François s’exhale par les lèvres de Platon, et que le Beau soit tout en Dieu.

     Sanctifier le génie, génifier la sainteté, voilà le vœu, et la chevalerie du Graal sera comme un intermonde, attendri encore des parfums souffrants de la terre et déjà baigné des encens paisibles et rayonnants du ciel.

     Nos ressources sont infinies : Nous avons la Foi, l’Espérance et la Charité. Rien de ce qui a duré, rien de ce qui existe encore, n’a eu d’autres bases que ces bases d’éternité.

     Le gage d’une incroyable réussite Nous le voyons dans l’occasion que Nous présentons à la Providence : jamais le moment ne fut aussi mauvais pour innover dans le mysticisme et jamais un fondateur d’ordre ne fut plus écrasé par sa mission que Nous-même ; mais Dieu qui se servit si souvent des simples, cette fois acceptera un intellectuel quoique pécheur, et comme il employa même les charmes d’une juive à sauver son peuple, il daignera nous prendre pour un instrument de son hymne miraculeux.

     Nous vous le proclamons avec une certitude qu’aucune image n’exprimerait : par l’œuvre de la beauté, par la volonté de lumière, par la prière des actions, vous aurez la double gloire, ô mes frères, Rose † Croix, Templiers, Chevaliers, ô Nos Fils, qui effacerez Nos mérites, par les vôtres. Car Notre heur se réalisera dans la splendeur de cette famille idéale des génies, des héros et des Mages : et le Grand Maître disparaîtra, justement oublié pour les autres grands maîtres qu’il suscitera aux arts, aux gestes, aux miracles.

     Voici les Constitutions : attribuez au Saint-Esprit ce qui vous sanctifiera, vous spiritualisant ; et à Notre impéritie d’expression ce qui vous scandaliserait : ces prescription de véritable lumière, vous les observerez avec scrupule. Quand une idée s’incarne, elle reste fragile et ombiliquée encore à l’individu où elle s’est terrestrisée.

     Nous vous demandons pour un moment de croire à Notre mission, car Notre force ne peut être que votre confiance, comme Notre subtilité n’est déjà que l’abstraction, totalisante en lumière, des brillantes couleurs de vos individualités.

     Notre raison de divinité, comme il est dit raison d’État, réside entière dans une réforme de la sensibilité.

     La douleur acceptée étant toute la matière du devenir, l’Amour se définit la forme providentielle et attrayante de la douleur.

     Cette énigme du sphinx sexuel enfin devinée, le règne du Saint-Esprit se possibilise.

     A ce tableau de l’amant et l’amante devenus bourreau et bourrèle, accomplissant l’œuvre nécessaire de la mutuelle torture, quel être conscient ne se révoltera contre une duperie aussi odieuse !

     Substituer l’Amour du Beau, l’amour de l’idée, l’amour du mystère à l’amour : voilà l’action que nous allons tenter sur l’âme occidentale.

     En créant une passion et une volupté du beau, une passion et une volupté de l’idée, une passion et une volupté du mystère, c’est-à-dire en orchestrant dans une solennité religieuse les émotions du livre, les émotions du Louvre, les émotions de Bayreuth, jusqu’à l’extase.

     Et cette extase différente de l’ordinaire animique, soutenue par une activité intéressante de réalisation, par un développement ininterrompu d’idéologie.

     Ainsi, Nous réparons l’erreur d’Orphée, ainsi nous vengeons sa mort, car nous croirions mal satisfaire à l’adoration de Jésus, si nous méconnaissions ses précurseurs, les Grands Primitifs, les Giotto et les Van Eyck de la Vérité.

     Les premiers chrétiens bâtissaient les temples du vrai Dieu sur les ruines des autels païens : nous ruinerons le rite d’Ionie. De ce jour la religion sacrilège de la femme va chanceler et périr : ce que le Mystère et l’Art avaient donné à cette Pandore, le Mystère et l’Art le lui retirent par Notre voix. Nous lui ôtons le nimbe, don du poète ; parce que l’Amour sexuel est né de la volonté esthétique : qu’il meure aujourd’hui dans les nobles âmes par cette même volonté.

     Ce que nous demandons à Nos chevaliers, ce n’est pas le vœu de chasteté physique, mais le vœu de viduité morale.

     Certes, nous proclamons la splendeur de la continence, mais c’est le cœur que nous voulons sauver de la pulsion.

     Nul ne verra parmi les lamentables cris du péché la terrible menace de cette profération : et comme tout s’alchimise pour la plus grande gloire de Dieu, le sourire et le rire qui nous escorterons encore un temps servirons à masquer le danger nouveau à ceux innombrables qui doivent mourir, pour que la spiritualité triomphe. Il nous a plus de ne pas écrire jusqu’ici le mot de Magie : et cependant les véritables initiés reconnaîtrons la concordance totale de nos voies avec les voies hermétiques.

     Maintenant, l’arcane du visionnaire va se réaliser : « les attractions sont proportionnelles aux destinées. »

     La Rose † Croix florit au seuil du Temple : les épées du vouloir étincelles parmi l’encens ; la sainte colombe peut descendre sur le Graal qui déjà rougeoie.

Hosannah, Rose † Croix ! Hosannah, Templiers ! Hosannah, Chevaliers !
Soyez beaux, soyez forts, soyez subtils.
Les Saint-Esprit va naître : le Saint-Esprit est né.

     Aux œuvres, aux vertus, aux prières ! avec ce cri : Pour l’idéal ! et CARO VERBUM FACTUM EST.
– Ad Rosam per Crucem, Ad Crucem per Rosam, in ea, in eis gemmatus resurgam.
– Non nobis, non nobis, Domine, sed nominis tui gloriae soli. Amen.

     Donné à Paris, sous le triple sceau du Graal, du Beauséant et de la Rose  ┼ Crucifère, en la fête de tous les saints de l’an de la Rédemption 1892.

Le Grand Maître de la Rose ┼ Croix du Temple et du Graal.
SAR PELADAN



Revenir au début ...   

Partager sur facebook