La contemplation tantrique

Contemplation tantrique
La méditation est un point important dans la magie d’amour. Méditation, oui, mais pourquoi tantrique ? C'est simple, si la démarche est assez semblable en apparence, les buts et les thèmes de la méditation, en général, et du Tantra expriment des visions du monde parfois opposées !

D'abord, les points communs. Primo, le choix d'une posture immobile, stable et confortable, permettant de s'isoler du monde extérieur, donc de s'intérioriser. Secundo, la contemplation, — à l'inverse de la démarche discursive, rationnelle —, est un processus destiné à transcender l'intellect et la conscience vigile pour accéder aux ressorts secrets de l'être et, éventuellement, de l'univers. Voilà pourquoi contempler est préférable à méditer, dont la connotation est nettement réflective.

Mais tout diverge au niveau des buts, donc des thèmes. En Inde, ils varieront selon que l'adepte se place dans la « mouvance », — comme on dit volontiers aujourd'hui —, du védanta, du bouddhisme ou du tantra, les trois principaux courants.

 

La mouvance védanta

Pour le védanta, l'univers concret, manifesté, est irréel, illusoire (Maya). L'unique réalité, c'est Brahman, la Cause absolue, non causée. Dans la méditation selon le védanta, l'adepte est incité à détacher sa conscience du corps et du monde manifesté pour en réaliser le caractère illusoire, puis, devenu indifférent aux noms (nama) et aux formes (rupa), il se perdra dans l'Absolu comme l'écume dans l'océan. Le corps est un obstacle. Il doit être oublié, nié presque. Faisant partie du monde phénoménal il est, lui aussi, irréel.

Les thèmes de méditation correspondent, évidemment, à cette vision du monde. Cela éclaire le dédain ostentatoire des védantins pour leur corps, et leur santé est souvent délabrée. Souvent aussi ils meurent très jeunes, tels Kamana Maharshi (cancer), Rama Ramakrishna (cancer), Vivekananda (diabète). Il ne faut pas les confondre avec les yogis, notamment tantriques, pour qui le corps est sacré, divin.

Le bouddhisme

Dans le bouddhisme, — qui a presque disparu de l'Inde, son sol natal, pour avoir osé en rejeter le panthéon et s'être opposé à la caste des brahmanes —, la contemplation constitue presque l'essentiel du culte. Le méditant vise l'état de vacuité (nirvana) qui, paradoxalement, est une plénitude qui le libère à la fois de son karma et de la ronde infernale des réincarnations.

Mais, encore une fois, en s’élevant dans les plans éthériques de l’univers, l’adepte se détache de plus en plus du plan physique et peut même effectuer des voyages astraux et découvrir des expériences hors du corps (EHC).

La vision tantrique

Pour le tantra, au contraire du védanta, l'univers avec ses milliards de galaxies est bien réel. Il émerge en permanence de l'union des deux principes cosmiques ultimes et polaires, symbolisés par Shiva et Shakti. « Tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n'est pas ici n'est nulle part ».

Loin de nier ou de fuir l'univers concret, le tantrique s'y intègre pour en percevoir la réalité profonde, soit en spiritualisant la sexualité, perçue comme pulsion créative ultime, soit par d'autres voies, comme la contemplation de la Mère cosmique ou de la mer des origines, décrite ci-dessous. C'est avec et dans son corps-univers qu'il s'unira concrètement à ces principes cosmiques pour ressentir la divinité de la chair consciente et intelligente. Une contemplation neutre. La contemplation proposée est neutre parce qu'universelle : le croyant, quelle que soit sa religion, peut la pratiquer, tout comme l'athée.

L’âsana

L'âsana

L'âsana de méditation usuelle est une posture assise, mais cette fois, c'est l'attitude foetale qui est requise : le dessin ci-dessus n'appelle pas de commentaire, sauf à préciser que la colonne vertébrale en croissant de lune retrouve ici la forme qu'elle avait dans l'utérus maternel. C'est essentiel, car, quelque part, la mémoire corporelle associe cette forme de la colonne à l'état foetal et à sa richesse que l'on vise à retrouver.

Voyons maintenant en pratique comment réaliser une contemplation tantrique…

Le thème : un paysage nocturne

J'imagine une plage déserte, voici quelques milliers d'années. Devant moi s'étend l'immensité de l'océan des origines. Outre « cette sombre clarté qui tombe des étoiles », j'accroche au firmament un mince croissant de lune. Le tout se reflète dans l'eau. Je contemple ce spectacle éternel et laisse lentement le croissant devenir pleine lune, ce qui m'extrait du temps linéaire et m'insère dans le temps cyclique.

L'air est calme, la nuit est tiède ainsi que l'eau. L'océan respire : une vague molle s'alanguit sur la plage, s'y étale, écume un instant puis reflue vers la mer. La suivante remonte sur le sable, écume, reflue et ainsi de suite. Vous l'avez deviné : le souffle épouse chaque vague. Elle monte et j'inspire, elle écume et je suspends mon souffle, elle reflue et je vide mes poumons, j'attends une ou deux secondes puis je réinspire à la vague suivante... Le « O M » (syllabe sacrée représentant la vibration originelle) imaginé accompagne l'inspiration et l'expiration. Ainsi, bercé par les vagues, je m'intègre à la vie marine jusqu'à percevoir que l'océan est un gigantesque organisme vivant, berceau de toute vie autant que symbole de l'Indifférencié.

Le jour se lève

Durée de cette contemplation ? Tant que je m'y sentirai bien... Ensuite, à l'horizon, peu à peu le ciel pâlit puis rosit. Enfin, avec la majestueuse lenteur qu'il a dans la réalité, le soleil émerge et s'élève, glorieux, dans le ciel serein, vierge de tout nuage.

Je contemple son disque orange au-dessus de l'horizon, et il devient sphérique. Sa douce chaleur pénètre l'air, l'eau, le sable, enveloppe mon corps. Quelle félicité, ce soleil matinal ! Je n'en oublie pas pour autant les vagues qui rythment toujours mon souffle et le « O M ». Je m'imprègne à la fois de vitalité et de sérénité. Quand mon mental se détournera de lui-même du soleil et de la mer, j'arrêterai ma contemplation intérieure, j'ouvrirai les yeux et je me redresserai, sans hâte, bien entendu !

Quelques variantes

Si cette contemplation se fait le soir, le scénario se déroule à rebours : le soleil sombre dans l'océan, le ciel crépusculaire s'assombrit, la nuit calme et sereine apaise mon mental. La pleine lune décroît, devient croissant puis disparaît. Au firmament, les étoiles et les planètes scintillent à pleins feux et animent l'eau de leurs reflets. Dans l'océan maternel et protecteur, la vie s'endort. Cette contemplation est incomparable pour préparer un sommeil heureux !

Cette inversion n'est pourtant pas obligatoire. Si cette « descente dans la nuit » ne convient pas, même le soir, il n'y a aucune objection à conserver le premier scénario ! Enfin, cette contemplation peut fort bien se faire au lit avant de s'assoupir. Dans ce cas, je la ferai couché sur le flanc (gauche de préférence) sous les couvertures : on est encore plus près de la position du fœtus que dans l'âsana du dessin. Elle lui serait donc, théoriquement, toujours préférable si elle n'était pas très inconfortable hors du lit.

Notez qu'il est d'ailleurs fort probable que j'aurai sombré dans le sommeil avant la fin de la contemplation, ce qui est, faut-il le dire, sans aucun inconvénient.


Source : André Van Lysebeth, « Tantra, le culte de la féminité » (1988)


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