Les talebs      

Taleb
Sihr désigne la sorcellerie et la magie en arabe classique. Ce mot vient du verbe sahara qui veut dire : « quelque chose d’irréel qui s’impose au regard jusqu’à ce que celui qui regarde croie que ce qu’il voit est réel » (Lisān al-‘Arab). C'est donc un peu comme les mirages que l'on voit parfois dans le désert.

La sorcellerie est une pratique qui existait bien avant l’islam. Les personnes qui parlaient trop bien étaient parfois considérées comme des sorciers car elles arrivent à nous faire croire en des choses qui n'existent pas forcément dans la réalité. On se laisse manipuler par les mots, on se laisse envouter par les paroles. A ce titre, tous les prédicateurs, les prêcheurs et les prophètes sont un peu des sorciers.

Le mot utilisé en arabe pour désigner ces personnes est « taleb » ou « fqīh », suivant les régions. Le fqīh étant plus particulièrement un maître d'école coranique qui, de par ses connaissances, pratique des roquya ou des exorcismes. Il est officiel. Le taleb couvre des activités beaucoup plus étendues et il n'est pas officiel. Mais il n'est pas rare qu'un taleb se fasse appeler fqīh alors qu'il n'en est pas un. Ça lui donne plus de notoriété en raison du titre.

Mais à la différence du prophète qui va vous embobiner uniquement avec ses mots pour vous faire croire à de simples idées, le taleb (ou fqīh) va agir un peu plus physiquement sur vous. Le taleb est une sorte de mage qui possède de grandes connaissances en magie sihr. C'est un sage érudit. Parfois le taleb devient aussi magicien et manipule la magie, que ce soit la magie sihr ou la magie shūr (maléfique).

 

Est-ce haram de consulter un taleb ?

Tout le monde vous dira que c'est haram d'aller voir un taleb et que s'ils disent quelque chose qui correspond de près ou de loin à votre situation c'est parce qu'il y a des djinns qui leur parlent de votre situation. Ou bien, à force de côtoyer des gens qui veulent guérir à tout prix, les talebs finissent par dire des choses qui s'appliquent à la grande majorité de leurs clients :
que vous êtes malade
qu'il y a des personnes dans notre entourage qui nous veulent du mal,
qu'une femme de votre famille est jalouse de vous et qu'elle vous a fait du shour
etc

Souvent les gens y croient parce qu'ils pensent être sous le coup d'une sorcellerie quelconque mais il faut savoir que la plupart de ces soi-disant talebs sont des imposteurs, d'autant plus s'ils se font payer.

Malgré cela, les cabinets de talebs ne désemplissent pas. Au Maroc c'est monnaie courante et tout le monde connait un taleb mais personne ne l'avoue. Si en occident les gens vont chez un psy, dans les pays du Maghreb on va consulter un taleb ou un fqīh. Les clients sont les femmes qui veulent garder leur mari, les jeunes qui veulent réussir leurs examens, ceux qui souhaitent avoir une promotion, quelqu'un qui veut faire venir la chance, ou tout simplement faire une rokya...

Les talebs sont-ils tous haram ?

Si l’on se place du point de vue de l’orthodoxie islamique, la sorcellerie est haram (illicite). Mais il existe une certaine ambiguïté dans la position du fqīh puisque son utilisation pour le bien n’encourrait pas toujours de réprobation. De même, l’utilisation de formules pour guérir comme pour prévenir d'un mal peut être autorisé. Cependant, les formules prononcées doivent se limiter à l’invocation de Dieu et toujours être en arabe afin que tout le monde les comprenne et qu'on ne puisse pas dissimuler des choses qui pourraient être illicites. En aucun cas le magicien ne doit s’attribuer des pouvoirs qui n’appartiennent qu’à Dieu.

Il y a beaucoup de charlatans mais il y a aussi des gens qui ont un don ou certaines connaissances. Les bons talebs sont un peu comme des guérisseurs ou les panseurs de secrets ou autres coupeurs de feu de nos campagnes. Il ne faut pas leur jeter la pierre aveuglément.

Comment les talebs agissent-ils ?

Nous avons dit précédemment que les talebs vont agir un peu plus physiquement qu'un simple prédicateur. En effet, le taleb possède en général une connaissance en herboristerie et il peut ainsi préparer des médicaments ou des potions comme le ferait le druide panoramix. Ces mélanges d'herbes et ces philtres ont une action sur le corps et sur l'esprit comme n'importe quelle drogue. Le prophète, à l'inverse, n'a aucune action physique sur un mal car ce sont uniquement ses prières envers dieu qui font disparaître le mal. C'est donc dieu lui-même qui agit en réponse aux prières et non celui qui effectue les prières.

Le fqīh a une action directe sur le mal ou la cause du mal. Ça ne signifie pas qu'il se prend pour dieu ou qu'il demande l'assistance d'entités qu'il met au même niveau que dieu. C'est seulement une sorte de médecin, un docteur, un rebouteux, un magnétiseur, un guérisseur...

Quand quelqu'un à besoin d'un roquya il ne va pas consulter un sorcier mais un taleb. Il ne va pas non plus voir son médecin car la roquya (médecine prophétique) n'est pas pratiquée par la médecine traditionnelle (moderne).

Une sorte de magicien blanc ou un sorcier ?

De part ses connaissances nombreuses et ses multiples aptitudes un taleb pourrait être facilement confondu, pour nous européens, avec un magicien blanc. Mais dans la culture arabe il n'existe pas de magie blanche ni de magie noire (il existe la magie défensive et la magie offensive). La même personne peut pratiquer les deux à la fois et ça va même plus loin : lors d'un même « rituel » on peut rencontrer différentes formes de magie mélangées avec des pratiques médicales traditionnelles ou même des connaissances scientifiques. On ne peut donc pas qualifier le taleb de magicien blanc ni de magicien noir. C'est juste un taleb.

Si on cherche à le comparer à quelque chose de connu de notre culture, ce qui s'approcherait le plus de lui est le sorcier d'un village d'Afrique noire. Dans les villages d'Afrique les deux personnes les plus importantes sont le chef du village et le sorcier. Ce dernier n'est pas un sorcier qui pratique de la sorcellerie comme au Moyen-Âge en Europe : c'est le guérisseur.

Beaucoup préfèrent ne pas aller voir le taleb directement

Certaines personnes, des femmes en majorité, ne peuvent pas aller chez la voyante ni chez le fqīh parce que tout le monde les connaît et quelqu’un risquerait de le dire à leur mari. Alors elles vont voir une Shawafa. Les shawafa sont légion dans les grandes villes du Maroc. Ce sont des genres de diseuses de bonne aventure. On va les voir pour leur demander de l'aide. Parfois les personnes qui les consultent leur demandent d'aller voir un fqīh, un taleb ou une voyante à leur place, pour rester incognito ; parfois elles lui demandent si elle connait une bonne voyante ou un bon fqīh, et c’est la shawafa qui les choisis à leur place car elle connais les meilleurs. Parfois c'est elles qui s'occupent directement du problème. L'avantage des shawafas est que ce n'est pas leur occupation à plein temps et ça permet ainsi de conserver l'anonymat car on peut très bien aller leur rendre visite pour autre chose (on cherche une femme de ménage ou autre) alors que si on va chez un taleb c'est pour une bonne raison.


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