L'Ogygie et la Méropide

Ile d'Ogygie
Homère est le 1er à mentionner l'île d'Ogygie : Il en fait la résidence de la Déesse Calypso.

C'est une île située très loin dans la mer  
(Odyssée, XV)


Vers 80 ap. J.-C., dans son livre « La Face cachée de la Lune  », Plutarque écrit un long passage sur l'ile d'Ogygie :

Loin de nous, dans la mer, est l`île d'Ogygie, distante de la Grande-Bretagne, du côté de l'occident, de cinq journées de navigation. Il y a trois autres îles situées vers le couchant d'été, aussi éloignées de la première qu'elles le sont les unes des autres.

C'est dans une de ces îles que, suivant la tradition des Barbares du pays, Cronos (Saturne) est détenu prisonnier par ordre de Zeus, qui, ayant reçu de son père la garde, tant des îles que de la mer adjacente qu'on appelle Cronienne, s'était établi un peu au-dessous. Ils ajoutent que le grand continent (Amérique ?) qui environne l'Océan est éloigné de l'île d'Ogygie d'environ cinq mille stades, et un peu moins des autres îles; qu'on n'y aborde que sur des vaisseaux à rames. Les eaux, en effet, ne permettent qu'une lente navigation, et sont rendues bourbeuses par la quantité de vase qu'y déposent de nombreux affluents venus de la terre ferme. Il en résulte de tels atterrissements que la mer en est épaisse: elle prend une sorte de consistance, à ce point qu'on l'a crue glacée (mer des sargasse ? - A noter que Platon décrit de la même façon la mer ou avait sombré l'Atlantide).


La partie de ce continent qui longe la mer est occupée par des Grecs. Ils s'étendent sur un golfe (golfe du Mexique ?) qui n'a pas moins de surface que les palus Méotides (la Mer d'Azov) et dont l'embouchure répond précisément, en ligne droite, à celle de la mer Caspienne. Ils s'appellent et s'estiment continentaux, et ils donnent le nom d'insulaires à ceux qui habitent notre sol, attendu qu'il est entouré par la mer de tous les côtés.

D'après eux, aux peuples de Saturne se mêlèrent, plus tard, ceux qui, venus avec Hercule, furent laissés dans cette contrée; et l'élément grec, déjà éteint et dominé par l'influence de la langue, des lois et du régime barbares, se trouva comme ranimé, grâce à cette adjonction qui lui donna une nouvelle puissance et un nouveau développement. Voilà pourquoi, chez eux, les premiers honneurs sont pour Hercule et les seconds pour Saturne.

Quand l'étoile de Saturne, par nous appelée Phénon et par eux – me fut-il dit – Nycturus, est arrivée au signe du Taureau, ce qui exige une révolution de trente ans, ils procèdent à un sacrifice préparé longtemps à l'avance. On organise aussi une expédition maritime dans les conditions suivantes. Des habitants désignés par le sort montent chacun sur un nombre égal d'esquifs; là ils ont soigneusement ménagé tout ce qui est nécessaire pour un voyage à rame sur une mer aussi considérable, et pour un aussi long séjour en pays étranger. Une fois partis, nos navigateurs éprouvent, comme on le conçoit bien, des fortunes diverses. Ceux qui ont échappé aux hasards de la mer commencent par aborder dans les îles opposées, où habitent des Grecs. Là, durant trente jours, ils voient le soleil se dérober moins d'une heure. C'est là ce qui constitue la nuit: une espèce de crépuscule léger, entre chien et loup comme on dit, et qui règne après le coucher du soleil. Ils restent là durant quatre-vingt-dix jours, au milieu d'hommages, de soins affectueux, et estimés, proclamés personnages saints; après quoi les vents les remportent de nouveau au-delà de la mer.

Personne d'autre n'habite leurs îles, à l'exception d'eux-mêmes et de ceux qui y furent envoyés avant eux. Il leur est permis de retourner dans leur patrie quand ils ont été voués treize ans au culte du dieu; mais ils préfèrent, pour la plupart, prolonger là leur séjour: les uns par habitude, les autres parce que, sans travail et sans embarras, ils se trouvent libres de consacrer tout leur temps à l'étude et à la philosophie. Rien n'est plus merveilleux que la nature de cette île. L'air y est d'une douceur charmante. Quant à ceux qui pensaient à la quitter, le dieu les en empêcha en venant se présenter à eux comme on ferait à des familiers et des amis: car ce n'est pas seulement en songe ou par des visions symboliques, c'est face à face que beaucoup de ces insulaires voient des génies et conversent avec eux.

Pour ce qui est de Saturne lui-même, il réside dans une grotte profonde, endormi sur un rocher étincelant comme de l'or; c'est le sommeil que Jupiter a imaginé de lui donner pour lien. Au-dessus du rocher on voit voltiger des oiseaux qui lui apportent de l'ambroisie, dont l'odeur, qui semble sortir de ce rocher comme d'une source, remplit toute l'île d'un parfum admirable. Les génies dont nous avons parlé entourent Saturne et lui prodiguent leurs soins. C'étaient eux qui composaient sa cour quand il régnait sur les dieux et les hommes. Ayant par eux-mêmes le don de prophétie, ils rendent beaucoup d'oracles et, sur les événements de la plus grande importance, ils formulent des révélations précieuses qu'ils présentent comme les songes de Saturne. En effet, tout ce que Jupiter médite à l'avance, Saturne le voit en dormant et son réveil est marqué par des passions tyranniques et par des troubles violents que son âme éprouve; mais son sommeil est doux et tranquille, et c'est dans cet état que sa nature divine et sa souveraineté agissent selon toute leur puissance.

Transporté dans cette île, l'étranger qui m'a raconté ces détails y rendit à loisir ses hommages au dieu. Il amassa en astronomie autant de connaissances que l'on peut en acquérir lorsqu'on est géomètre consommé et, pour les études philosophiques, il approfondit celles qui se rattachent à la nature. Il se sentait en outre le désir – comme le besoin – de connaître la grande île: ainsi appelle-t-on là-bas, à ce qu'il parait, le séjour que nous habitons.

Quand ses trente ans furent expirés et que, de son pays, d'autres furent venus prendre sa place, il dit adieu à ses amis et se mit en mer. Mais il avait, dans des vases d'or, d'abondantes provisions de voyage. Pour vous dire toutes les aventures qu'il eut, toutes les nations qu'il parcourut, les hiéroglyphes qu'il rencontra et les mystères auxquels il fut initié, un jour entier ne suffirait pas si je voulais tout vous raconter en détail comme il le faisait lui-même ; car il n'avait rien oublié.

Le continent Méropide

A propos de ce grand continent, Théopompe de Chio l'appelait « Méropide ». Et voila ce qu'en dit Elien dans ses « Histoires diverses  », Livre III.18 :

Si l'on en croit Théopompe, Midas, roi de Phrygie, s'entretint un jour avec Silène. Après s'être entretenu de différentes choses, Silène dit à Midas :

L'Europe, l'Asie et la Libye sont des îles que les flots de l'Océan baignent de tous côtés : hors de l'enceinte de ce monde il n'existe qu'un seul continent, la Méropide, dont l'étendue est immense. Il produit de très grands animaux et des hommes d'une taille deux fois plus haute que ne sont ceux de nos climats : aussi leur vie n'est-elle pas bornée au même espace de temps que la nôtre; ils vivent deux fois plus longtemps. Ils ont plusieurs grandes villes, gouvernées suivant des usages qui leur sont propres; leurs lois forment un contraste parfait avec les nôtres.

Entre ces villes, il y en a deux d'une prodigieuse étendue, et qui ne se ressemblent en rien. L'une se nomme Machimos (la Guerrière), et l'autre Eusébie (la Pieuse). Les habitants d'Eusébie passent leurs jours dans la paix et dans l'abondance : la terre leur prodigue ses fruits, sans qu'ils aient besoin de charrues ni de bœufs; il serait superflu de labourer et de semer. Après une vie qui a été constamment exempte de maladies, ils meurent gaiement et en riant. Au reste, leur vie est si pure, que souvent les dieux ne dédaignent pas de les visiter.

À l'égard des habitants de Machimos, ils sont très belliqueux : toujours armés, toujours en guerre, ils travaillent sans cesse à étendre leurs limites. C'est par là que leur ville est parvenue à commander à plusieurs nations; on n'y compte pas moins de deux millions de citoyens. Les exemples de gens morts de maladie y sont très rares. Tous meurent à la guerre, non par le fer (le fer ne peut rien sur eux), mais assommés à coups de pierres ou à coups de bâton. Ils ont une si grande quantité d'or et d'argent, qu'ils en font moins de cas que nous n'en faisons du fer. Autrefois, continua Silène, ils voulurent pénétrer dans nos îles; et après avoir traversé l'Océan avec dix millions d'hommes, ils arrivèrent chez les Hyperboréens : mais ce peuple parut à leurs yeux si vil et si méprisable, qu'ayant appris que c'était néanmoins la plus heureuse nation de nos climats, ils dédaignèrent de passer outre.

Ce que Silène ajouta est beaucoup plus étonnant encore :

Dans ce pays, dit-il, les hommes qu'on distingue par le nom de Méropes, sont maîtres de plusieurs grandes villes : sur les confins du territoire qu'ils habitent est un lieu appelé Anoste (sans retour), qui ressemble à un gouffre, et n'est ni éclairé, ni ténébreux; l'air qui forme son atmosphère, est mêlé d'un rouge obscur. Deux fleuves coulent aux environs; le fleuve Plaisir, et le fleuve Chagrin, c'est ainsi qu'on les nomme : leurs bords sont couverts d'arbres, de la hauteur d'un grand platane. Ceux qui croissent sur les bords du fleuve Chagrin, produisent des fruits d'une telle qualité, que quiconque en a goûté, verse tant de larmes qu'il s'épuise, et meurt enfin, après avoir passé ses jours dans la douleur. Les arbres qui ombragent l'autre fleuve, portent des fruits d'une qualité toute différente : celui qui en mange, sent tout à coup son âme débarrassée des passions qui l'agitaient; s'il a aimé, il en perd le souvenir. Il rajeunit par degrés, en repassant par tous les âges de la vie, qu'il avait laissés derrière lui : de la vieillesse il revient à l'âge mur, de celui-ci à l'adolescence, ensuite à la puberté; il finit par devenir enfant; puis il meurt.

Le moins qu'on puisse dire c'est que cette description d'iles occidentales habitées par des Grecs ou contenant une fontaine de jouvence est bien surprenante.


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