Le culte des eaux

Culte des eaux chez les celtes
A côté du culte des pierres, à côté du culte du soleil et du feu, existait en Gaule le culte des eaux, des sources, des fontaines, des lacs et des rivières.

Ce culte très répandu paraît même avoir été celui qui répondait le mieux aux instincts religieux de nos populations primitives, celui qui parlait le mieux à leur esprit et à leur cœur.

Ce culte a laissé sur le sol des traces nombreuses et profondes. Nous oserions le qualifier de culte national par excellence. On peut en reconstituer la physionomie. Nous le retrouvons au fond de nos campagnes, conservé sous la protection des saints locaux. La grande antiquité de ce culte n'est pas discutable. Cependant, on ne peut en attribuer l'origine au christianisme ; on sait que le christianisme a commencé par le combattre. Il n'a pas non plus été introduit par Rome en Gaule ; l'influence religieuse des Romains en Gaule, tout à fait superficielle, se fit à peine sentir aux couches profondes de la population. On ne peut l'attribuer aux Galates conquérants qui, sans clergé et d'ailleurs relativement peu nombreux, avaient abandonné aux druides le gouvernement des âmes. Mais alors d'où vient-il ?

Un culte pré-druidique

Ces superstitions, ces pratiques qui relèvent de la vieille croyance aux esprits, peuvent avoir été plus ou moins réglées, réglementées par les druides, comme cela paraît avoir également été pour les feux solsticiaux. Mais les druides n'en ont point été les premiers missionnaires.

 
D'autres sites décrivent l'importance de l'eau à l'aube de l'humanité.

Ce culte, comme celui des pierres, comme celui du feu, est pré-druidique, s'il n'est pas pré-celtique. Il est le produit de la race et de l'évolution. Les pratiques superstitieuses qui en constituent le fond étaient déjà des survivances des temps immémoriaux au temps des druides. Nous allons dans cet article nous efforcer d'évoquer l'esprit de ce vieux culte.

La persistance de superstitions

La nationalité celtique continua d'exister sous la couche superficielle de civilisation romaine. Elle commença à reparaître avec les formes du christianisme, lorsque l'invasion des barbares eut balayé l'ordre des choses impérial et l'on peut dire qu'elle se retrouve presque tout entière au moyen âge. Alors, en effet, ne vit-on pas les divisions du sol gaulois, si multipliées qu'on y comptait les peuples par centaines, se rétablir partout sous les chefs féodaux, qui, dans beaucoup de lieux, étaient les descendants des familles patriciennes gauloises, propriétaires du territoire avant la conquête romaine.

La première famille des ducs de Bourbon, sur laquelle fut fondée la branche des Capétiens qui porte ce nom, prétendait descendre du dieu topique Borbo. Ne voit-on pas les sources sacrées où les Celtes allaient boire la santé, continuer leurs miracles sous la protection de quelques saints. Là où était un collège de druides, s'éleva une abbaye de moines.

Il y aurait un gros volume, très intéressant et très instructif, à écrire sur le culte des eaux en Gaule. L'ancienneté, la vitalité, l'étendue de ces superstitions, dont les pratiques traditionnelles entourées de curieuses légendes se retrouvent encore dans un grand nombre de nos villages, ne manqueront pas de frapper vos esprits. Vous y reconnaîtrez un nouvel et très fort argument en faveur de la thèse qui veut que le fond de nos populations rurales ait peu changé, depuis une époque bien antérieure à la domination romaine.

Eviter la confusion entre eaux thermales et culte à une déité

Parlons d'abord des sources et fontaines dont la fréquentation à l'époque romaine est constatée par des inscriptions ou des ruines. Sans être parfaites, les études qui en ont été faites par l'abbé Greppo, Charles Robert, Boucher de Molandon et M. A. Ghabouillet, ne sont plus à refaire. Mais bien que Greppo, le plus complet de tous, soit arrivé, dans sa nomenclature des eaux thermales et minérales romanisées, au chiffre très respectable de quatre-vingt-cinq stations, ce n'est là qu'un tout petit coin du sujet. Au point de vue où nous nous plaçons, ces bains officiels qui relèvent plutôt de l'histoire de la médecine que de l'histoire des religions, nous intéressent médiocrement. L'eau thermale ou ferrugineuse y guérissait, non le dieu. Il s'y faisait des cures, non des miracles. L'étude de ces stations est l'affaire des médecins d'eaux. Les vieilles traditions celtiques s'y perdirent de bonne heure. Autour de ces bains se formèrent des centres de populations plus romaines que celtiques. Ces eaux étaient efficaces. Elles ont conservé depuis l'époque romaine une brillante clientèle devant laquelle auraient fui les modestes divinités celtiques si le christianisme ne les en avait pas chassées.

Greppo cite vingt stations qu'il nous est possible d'identifier :
Ax (Ariège) ;
Aix-les-Bains (Savoie) ;
Baden (Suisse);
Aquae Bormonis, Bourbon-L'Archambault (Allier);
Aquae Borvonis, Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) ;
Aquae Calidae, Vichy (Allier);
Aquae Gonvenarum, Capvern (Hautes-Pyrénées) ;
Aquae Granni, Aix-la-Chapelle (Belgique);
Aquae Neriomagienses, Neris (Allier);
Aquae Nisinei, Bourbon-Lancy (Saône-el-Loire);
Aquae Onesiae, Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne);
Aquae Segete, Saint-Galmier, (Loire) ;
Aquae Segeste, Feirières (Loiret),
Aquae Sextiae, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) ;
Aquae Siccae, Seysses-Tolosanes (Haute-Garonne);
Aquae Tarbollicae, Dax (Landes);
Calentes Aquae, Chaudes-Aygues (Cantal) ;
Fons Tungrorum, Spa (Belgique);
Luxovium, Luxeuil (Haute-Saône) ;
Vicus Aquensis, Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées).

En dehors des sources thermales et minérales, de simples fontaines eurent également de véritables dévots à l'époque gallo-romaine. Les ex-voto recueillis autour des sources ou dans leurs eaux mêmes prouvent l'affluence des pèlerins. Le nom de quelques-unes des divinités auxquelles les vœux s'adressaient nous a été transmis par la reconnaissance de ceux qui avaient été exaucés. Nous connaissons ainsi les déesses ou nymphes Acionna, Aventia, Carpunda, Clulonda, Divona, Sirona, Ura. On invoquait aussi les divinités des fleuves : Icaunis (l'Yonne), Matrona (la Marne), Sequana (la Seine).

Ces divinités sont gallo-romaines, assimilées ou assimilables à des divinités du panthéon grec et latin. Elles appartiennent à la dernière couche mythologique gauloise, alors que déjà s'était introduit l'usage de donner aux dieux une forme humaine. Nous possédons des représentations de Sirona et les fragments d'une statue de la déesse Sequana.

Des bains romains existaient en Gaule avant les romains

Les médecins gallo-romains avaient aménagé bien d'autres sources. On sait que les bains étaient à la mode à Rome. Mais il faut que l'usage en fût déjà répandu en Gaule pour que leur nombre soit aussi grand. Or, la très grande majorité des Romains de Gaule ne l'étaient que par adoption. En dehors des localités déjà citées, cinquante autres stations existent en Gaule portant les traces de l'occupation romaine. Ce n'est cependant que la très minime partie des sources sacrées de l'époque celtique. Nous pouvons en effet pénétrer plus profondément, bien au-dessous de la couche romaine. Ces sources sacrées sont alors légion.

C'est par milliers qu'il faut compter dans la mythologie gauloise les divinités tantôt mâles, tantôt femelles, des fontaines, des lacs et des rivières. Le clergé a eu soin de nous en conserver le souvenir. Ces sources faisaient des miracles. Les abbés, les évêques, dont ces localités dépendaient, n'ont pas voulu en interrompre le cours. Ces miracles se faisant au nom du démon, ils décidèrent qu'ils se feraient au nom des saints, et, en effet, il s'agit bien de miracles, puisque les eaux de ces fontaines, de ces sources, de ces rivières, n'avaient et n'ont aucune vertu réelle que la vertu mystérieuse que leur prêtaient les génies et les nymphes.

Les pèlerinages et les neuvaines continuèrent et n'ont cessé qu'en partie. Les conciles cherchèrent à les arrêter, ils n'y réussirent pas. Il fallut alors céder aux préjugés populaires, tant ces pratiques étaient enracinées dans le cœur de nos vieux Celtes.

Nous sommes pourtant loin de connaître le nombre exact de ces sources sacrées.


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