Dionysos, le dieu du vin

Dionysos
Le « dieu errant » a entraîné Grecs et Romains dans une danse avec la vie et la mort, provoquant parfois la colère des autorités établies.

Les mystères de Dionysos sont les plus grands à Rome, même s'ils n'ont jamais été introduits officiellement. Il s'agit d'un culte aux nombreuses facettes, avec d'un côté une organisation et une hiérarchie, et de l'autre, des rites et des transes pouvant donner lieu à des débordements. Il ne pouvait en être autrement pour ce dieu aux multiples visages, policés ou... plus sauvages. Il faut dire que Dionysos, comme son nom l'indique, est né deux fois et sous d'étranges auspices. Fils de Zeus de Sémélé ou de Perséphone, il est victime de la jalousie de Héra et, selon les versions, se fait découper en morceaux puis renait grâce à son cœur sauvé du désastre, ou grandit dans la cuisse de Zeus après la mort prématurée de sa mère.

Dionysos le délirant, le bruyant, le frémissant est un dieu tardif qui n’apparaît que dans les textes récents. Les légendes attachées à sa personne sont diverses et contradictoires. Il serait originaire de Phrygie de Lydie ou de Piérie. Pour Hérodote, Dionysos est une divinité récente du panthéon hellénique et il lui voit des ressemblances avec l’Osiris Égyptien. Comme ce dernier Dionysos subit une passion et une résurrection.

 

Quoiqu’il en soit Dionysos pourrait-on dire à pris un créneau disponible, le mythe du sang, l’indispensable pendant du mythe de Déméter qui symbolise le corps. Avec Déméter la symbolique agraire est celle de la maitrise du processus de reproduction que cette déesse va enseigner aux hommes, l’agriculture. Chez Dionysos ce n’est pas tant la maitrise qui est en cause, mais l’énergie vitale qui va dans un lent parcours de transformation passer de la graine à de la plante, puis au fruit pour aboutir au vin.

Dieu du vin et du théâtre, c'est avant tout un dieu errant, qui entraîne nymphes et satyres dans des cortèges et des danses effrénés.
 

Des rites extatiques pour Dionysos

Le symbolisme de Déméter est celui du refoulement. Refoulement de la graine enfouie dans le sol, refoulement des saisons pour la maturation des cycles, refoulement de Coré maintenue dans les enfers. Avec Dionysos nous sommes dans une dynamique opposée, celle du défoulement, et en cela la nature même du vin, avec son alcaloïde qui abat les tabous, participe au mouvement.

On retrouve l'aspect festif dans les rituels de transe des fidèles à Dionysos. Les femmes quittaient leur métier à tisser, sortaient de leur maison et partaient dans les bois – symbolisant le côté non cultivé, l'ailleurs – et se livraient à des rites extatiques jusqu'à en perdre le sens. Ces transes ont pour objet la purification, comme des cures cathartiques. Un délire divin qui permet de sortir de soi et de se purger de ses maux. Les initiés ont aussi la promesse d'une béatitude après la mort. Lors de cérémonies funèbres, les membres se livraient à des rites dans lesquels deuil et transe se mêlaient.

Les associations pratiquant le culte – appelées thiases – étaient régies par une organisation calquée sur les mystères d'Eleusis, avec hiérophante, daduque, prêtre. Les pratiques pouvaient néanmoins différer d'une structure à une autre. On doit plutôt parler de cultes au pluriel, chaque microstructure était indépendante et composait son propre culte, sur un fond commun.

Il faut dire que Dionysos n’est pas n’importe qui, mais même né de la cuisse de Jupiter (Zeus) il ne peut échapper à la jalousie d’Héra qui, le retrouvant à l’âge adulte, le frappe de folie. Après diverses péripéties et un voyage en Inde, Dionysos revient en Béotie et fonde son culte à Thèbes, mais ses tantes s’opposent à lui. Après de nombreuses difficultés ce dieu finit par imposer son culte et gagne l’Olympe sans oublier avant de libérer sa mère Sémélé, détenue en enfer.

Les cultes connaissent un grand succès. A la différence d'Eleusis, ils n'ont aucun centre fixe ; ils semblent être apparus partout, de la mer Noire à l’Égypte et de l'Asie Mineure à l'Italie méridionale.

Comment se déroulent les cultes dionysiaques ?

Le culte dionysiaque est assuré par des prêtresses appelées « dusmainai ». Les célébrations se déroulent tout au long de l’année. En décembre, les Dionysies agraires, en janvier-février, les Lénéennes, en février-mars les Anthestéries, et en mars-avril, les Grandes Dionysies.

Les Dionysies agraires se situent à l’époque où le soleil est au plus bas, c'est-à-dire au moment où la crainte de le voir disparaître est la plus forte. Un bouc est offert au dieu et un phallus était promené lors de la procession.

Les Lénéennes durent trois jours. Une foule joyeuse et masquée se rend au sanctuaire où un banquet est donné.

Les Anthestéries ou « fête des fleurs » durent trois jours et honorent les morts. Le premier jour est celui de « l’ouverture des jarres » qui correspond en gros à la mise en bouteille du vin nouveau. Au deuxième jour ou « jour des cruches » est organisé un concours de buveurs présidé par l’archonte-roi, et en fin de journée l’archonte-roi et sa femme, la reine, s’unissent pour symboliser la fécondité animale et végétale. Le troisième jour les athéniens honorent leurs morts en les conviant à des libations puis ils leur demandent de retourner dans leur royaume, autrement dit chez Hadès.

En dernier venaient les fêtes des Grandes Dionysies qui duraient six jours. Le premier jour, dirigée par l’archonte-éponyme (magistrat qui donne son nom à l’année) avait lieu la procession du « xoanon » (statue en bois de la divinité) de Dionysos d’Éleuthère (localité de Béotie). Le dieu était suivi par mille éphèbes armés, puis par les chorèges (citoyens qui payaient l’organisation des manifestations et concours) puis des choreutes (danseurs d’un chœur de tragédie), et pour finir venait une file de taureaux sacrifiés ultérieurement.

Le deuxième et troisième jour se tenaient les concours de dithyrambes, et les trois derniers jours les concours de pièces de théâtre. Au soir du troisième jour avait lieu une procession (cômos) où l’essentiel reposait sur la phallophorie. On chantait des obscénités, on s’insultait, on se badigeonnait de lie de vin.

Le culte de Dionysos serait-il l'ancêtre du Carnaval ?

Les chanteurs de dithyrambe étaient déguisés en satyres et leurs drames mettaient en scène des satyres et des silènes. Le culte dionysiaque est celui du désordre, du lâcher prise que symbolise ou plus exactement représente le végétal qui en est le catalyseur, le vin. Plus généralement il nous fait penser au carnaval qui marque de façon générale la victoire de la vie sur la mort avec le retour de la végétation.

Avec ses attributs du bouc et du taureau, Dionysos impulse la force créatrice de l’équinoxe de printemps, les forces déchaînées qui vont peu à peu se canaliser, s’ordonnancer, pour aboutir avec Déméter, à la récolte, à l’épi, à Coré cette graine vierge, qui à nouveau rejetée dans les enfers, corrompue et violée, renaîtra au printemps suivant.

Dionysos est le dieu du temps devant soi, de l’exubérance d’une jeunesse pleine de projets, Déméter est la déesse des récoltes, des passions assagies, des bilans, et des nécessaires équilibres qui obligent contrairement à Dionysos à peser le pour et le contre. Mais laissons la symbolique pour revenir à la réalité. Le culte dionysiaque comme n’importe quel autre culte ne peut exister que s’il est adopté par les citoyens. En devenant religion d’état, le mythe dionysiaque s’est édulcoré en perdant des aspérités d’origine qui l’auraient autrement disqualifié.

Orgies délirantes, omophagie,(consommation de viande crue obtenue à partir de victimes dépecées vivantes) et même anthropophagie font partie de la litanie des reproches adressés aux pratiques des adeptes. Dionysos lui-même se faisait appeler « Omadios » (qui aime la chair crue).

Nous voyons que si les rituels dionysiaques se sont faits une virginité en devenant culte d’état, ils contenaient en eux les germes déviants dont sont friands les sectateurs de toutes natures. Ainsi à côté de ces mystères bons teints, vont se développer des adaptations qu’en d’autres temps on appellerait hérésies.

Les Bacchanales

Plus tard, à Rome, Dionysos s'appelle Bacchus. Les Bacchanales qui se tiennent en son honneur provoquent l'ire de certains. Le fait est que pendant un temps, les interdits moraux sont mis de côté. L'ivresse, l'euphorie, la sexualité débridée, sont des moyens d'atteindre la transe... mais les Bacchanales dérivent parfois en fêtes orgiaques.

Les bacchanales, c'est-à-dire les fêtes bacchiques constituaient des thiases du type qui existait en Grèce. A Rome la secte était constituée de personnes des deux sexes, contrairement aux thiases dionysiaques qui étaient pour les femmes seulement. L’association était implanté au bois de stimula sur l’Aventin, une des sept collines de Rome. Avant qu’éclate « l’affaire des bacchantes » les initiés ne dépassaient plus les vingt ans. Le néophyte devait observer une période d’abstinence sexuelle de dix jours avant la cérémonie. Une véritable menace pesait sur les adeptes qui ne devaient en aucun cas trahir les secrets qui leur étaient confiés, ce qui est une constante dans pareils cultes. Le culte justement consistait à obtenir par la consommation du vin une baisse du niveau des interdits pour parvenir à une sorte état extatique sensé donné un aperçu de la vie libérée des soucis de ce monde.

Il nous semble tout naturel et même indispensable que les cultes à mystères, et particulièrement ceux qui de façon évidente pratiquaient des rituels orgiaques, insistent sur l’absolue nécessité du secret. S’ils ne le faisaient pas, comme dirait notre de La Palisse, ils ne seraient pas à mystère ! Nous le voyons avec l’affaire des bacchantes.

L'affaire des bacchantes

En 186 éclate à Rome l’affaire des Bacchantes. Victime d’une machination ourdie par sa mère et son beau-père, un individu est alerté par sa maitresse du risque grave qu’il encourt en à recevoir l’initiation aux « mystères orgiaques nocturnes ». La victime porte plainte et une enquête est diligentée par le consul. Les résultats des investigations font apparaître qu’il existe bien un culte à caractère orgiaque comportant environ 7000 membres pratiquant la pédérastie et organisant des assassinats en vue de s’accaparer des fortunes. Le culte bacchique ne fut pas totalement interdit, mais les citoyens romains ne devaient pas y participer. En outre toute cérémonie bacchique devait se limiter à cinq personnes et être autorisée par décision du Sénat.

Sans doute en partie justifiée par la réalité présumée des faits, les autorités ont profité de l’occasion pour transmettre un avertissement envers tous les cultes « discrets » qui, fondamentalement, représentaient un risque politique pour la cité. Cette affaire des bacchantes laissera pour longtemps sa marque dans la société romaine et expliquera trois siècles plus tard, les persécutions envers les chrétiens.

Si en dehors de tout opportunisme politique susceptibles d'avoir forcé le traitement, les dérèglements constatés ont bien eu lieu, rien ne permet d’affirmer qu’ils constituaient la généralité. Simple trouble à l'ordre public ou peur du complot, quoi qu'il en soit, en 186 av. J.-C., la répression fait 7000 morts parmi les membres du culte et celui-ci est interdit pendant un siècle et demi.

La nature orgiaque de certains rituels, est destinée à bousculer notre perception de la réalité, et de son valet de chambre, la morale. Ces rituels sont initiatiques au sens propre du mot, car ils tentent de nous mettre sur le chemin d’une nouvelle perception. Mais nous voyons que la ligne rouge peut être franchie facilement, car d’une part certaines pratiques peuvent facilement être détournées de leur but par des adeptes malveillants, et d’autre part ces pratiques se confrontant à notre norme, ses adversaires n’ont pas de difficulté à alimenter une propagande sensée rétablir la norme moralisatrice.

Les divinités apparantées à Dionysos

Zagreus

Zagreus, fils de Zeus et Perséphone, fut caché chez les curètes pour être soustrait à la jalousie d’Héra. Mais celle-ci le retrouva et le fit déchiqueter par les Titans, qui le dévorèrent après l’avoir fait cuire dans une marmite. Pour punir ces derniers Zeus les précipita dans le tartare et les hommes nés de leurs cendres doivent expier la faute.

Nous avons là dans un mythe ancien l’origine de l’omophagie pratiqué dans les rituels dionysiaques. Dans le rite rendu à Zagreus les officiants lui présentent des jouets rappelant ainsi la ruse utilisée par les Titans lorsqu’ils ont voulu s’emparer de leur victime. Quoiqu’il en soit Zagreus semble être une ancienne divinité égéenne dont l’emblème, le serpent, se retrouve dans le mythe dionysiaque avec les Bacchantes dont les serpents s’enroulent dans leurs cheveux.

Isodaitès

Autre divinité ou qualificatif de Dionysos, Isodaitès est un dieu introduit à Athènes auprès d’une thiase particulière, par une courtisane Phryné de Thespie, ce qui lui valut un procès pour avoir introduit un dieu étranger auquel se faisait initier des femmes de petite vertu.

Durant ses fêtes étaient célébrées la mort et la résurrection du dieu. Appelé parfois Pluton, ou fils de Pluton, ou encore assimilé au soleil, il ressemble aux dieux d’Asie mineure comme Attis et Adonis qui mouraient et ressuscitaient périodiquement. Phryné échappa à la mort, et le culte semble encore présent à l’époque romaine.

Sabazios

Après le blé de Déméter, le vin de Dionysos nous voyons apparaître une divinité qui se revendique dieu de la bière, il s’agit de Sabazios. On lui doit la domestication des bœufs et l’invention de l’attelage. Représenté lui aussi cornu, il prend parfois l’apparence d’un serpent. Comme pour Isodaités les cultes sont parfois rendu la nuit et en secret « par pudeur pour voiler le commerce entre les deux sexes ».

Zagreus, Isodaitès, Sabazios, avec leur rituels de mort et de résurrection par lesquels se joue la purification des âmes par une traversée des mondes inférieurs, préparent le terrain à un christianisme qui aura de fait moins de mal chasser un paganisme qui contient déjà une religion de salut.



Sources : D'après un texte de Claire Aubé, journaliste diplômée de l'École Normale Supérieure, titulaire d'un DEA de sociologie, ayant suivi des formations de Psychologie Positive (VIA Institute) et d'Approche centrée sur la Personne (ACP Formations).
Également repris des éléments du site http://avatarpage.net

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