Opus Dei : infiltration de la secte qui a infiltré le Vatican

Opus Dei
Par sa volonté d'extrême discrétion, son organisation particulière, ses pratiques strictes, l'organisation catholique Opus Dei semble emprunter toutes les caractéristiques d'une société secrète... Alors même qu'elle constitue une branche reconnue de l'Église de Rome. Explications.

Depuis sa création, à la fin des années 1920, l'Opus Dei déchaîne les passions : ses partisans revendiquent une institution très officiellement reconnue par le Vatican, ses détracteurs l'accusent, au mieux, d'être une église dans l'Église, au pire, une secte. Qu'en est-il réellement ? L'Opus Dei est-elle un membre respectable de la grande famille catholique ou bien une société secrète aux buts cachés et aux ramifications étendues dans les sphères politiques et économiques du monde entier ?

 

Le culte du secret

Josemaria Escriva de Balaguer
Josemaria Escriva de Balaguer
Une chose est sûre : l'« Œuvre de Dieu », littéralement en latin, possède la culture, pour ne pas dire le culte, du secret. Cela s'explique sans doute par les circonstances de sa fondation, à Madrid, et, surtout, par ses débuts.

C'est le 2 octobre 1928 qu'un jeune prêtre espagnol, Josemaria Escriva de Balaguer, a une révélation divine : il « voit » des milliers de personnes, hommes et femmes, honorer Dieu dans la vie de tous les jours. Il entreprend donc de créer une organisation de laïcs qui souhaitent vivre leur foi dans le travail et cheminer vers la sainteté dans leur vie quotidienne.

Pour la petite histoire, ce regroupement de fidèles devient « Opus Dei », en juillet 1930, lorsque le confesseur d'Escriva lui demande comment se porte cette « œuvre de Dieu ». Le nom est resté à la postérité.

L'ecclésiastique a du charisme, et son organisation s'étend. Mais elle se confronte rapidement à un contexte politique marqué par les mouvements anticléricaux et, bientôt, à la guerre civile. Josémaria Escriva doit se cacher pour ne pas être victime des massacres de religieux. Il trouvera refuge à Burgos, sous l'aile protectrice des troupes de Franco.
 

Le soutien du franquisme

Les liens entre le régime d'extrême droite de Franco et l'Opus Dei sont indéniables. Pendant la guerre civile, Josemaria Escriva a trouvé refuge à Burgos, base arrière des troupes franquistes. La lutte contre l'ennemi commun communiste forge les premiers liens.

Après la guerre, l'Œuvre se développe et ses membres appartiennent aux réseaux de pouvoir économique et politique. Dans le gouvernement de 1957, trois ministres sont de l'Opus Dei. Cinq ans plus tard, ils sont majoritaires. En 1969, la Phalange, autre soutien du Caudillo, fait éclater un scandale économico-financier majeur dans lequel sont mouillées plusieurs personnalités de l'Opus Dei. Malgré le discrédit qui frappe alors l'organisation, ses fidèles vont continuer à occuper des postes clés pendant des décennies, dans un secret à demi dissimulé.

Discipline de fer et obéissance totale

Cette culture du secret va perdurer alors que l'Œuvre prend toute son ampleur et s'installe confortablement en Espagne, puis en Italie et en Amérique latine. Encore aujourd'hui, elle veut être d'une extrême discrétion et fait tout pour qu'on ne sache pas bien ce qui se trame. Suivant en cela les commandements du fondateur :

« Les nôtres conduisent la vie qu'ils ont consacrée à Dieu avec une certaine discrétion. (...) Ils savent très bien qu'ils ont à observer un silence prudent concernant les noms des autres membres. Ils ne dévoilent à personne qu'ils appartiennent à l'Opus Dei sans que le directeur local ne les y autorise expressément, pas même si, éventuellement, ils quittent l'institut », peut-on lire en toutes lettres dans le code de droit de l'institution.

Cette obsession du secret va de pair avec un vocabulaire martial, caractéristique d'une organisation qui a identifié un ennemi à abattre – hier le communisme, aujourd'hui une modernité délétère. Une discipline de fer et l'obéissance totale aux directeurs sont de rigueur. Cette rigueur s'illustre par la pratique de mortifications, spectaculairement mise en scène par le film tiré du Da Vinci Code, mais qui n'est pas le propre de l'Opus Dei. La mortification modérée est aujourd'hui encore préconisée par le catéchisme officiel de l'Église. En référence à la Passion du Christ, la mortification par le cilice est pratiquée par certains membres de l'Opus Dei.

Un siège de 47 millions de dollars à New York

C'est l'organisation de l'Œuvre et l'implication totale demandée à ses membres qui va le plus souvent nourrir les accusations de dérives sectaires. En France, l'Opus Dei a été accusée d'emprise sectaire ou de manipulation mentale. Deux journalistes, Bénédicte et Patrice des Mazery, ont enquêté sur cette organisation et ont écrit un ouvrage sur elle. L'Opus Dei s'est toujours défendu de ces accusations en expliquant que chaque membre était libre de ses actes, de ses choix et libre de partir.

Le recrutement, en principe ouvert à tous, est en réalité assez élitiste. Dès les origines, il s'agissait d'étudiants en droit, en médecine, en finance... Devenus avocats, praticiens, banquiers ou autre, ils ont pu alimenter généreusement les caisses de l'organisation... De nombreux soupçons concernent aussi le pouvoir et l'influence de l'Œuvre dans les sphères politiques et économiques. Ce qui est sûr, c'est que l'Opus Dei n'est pas une branche pauvre de l'Église. Son siège de 47 millions de dollars à New York est là pour en témoigner. Des scandales de détournement de fonds ont régulièrement alimenté la chronique des journaux, tout au long de son existence, surtout en Espagne et en Italie, les deux pays où elle est le plus présente. A chaque fois, l'Œuvre a plaidé l'ignorance et s'est détournée de ces « brebis galeuses ».

Son influence politique, elle, varie selon les pays et les périodes. En France, elle n'a jamais réussi à s'imposer, même si les noms de Raymond Barre (UDF), Anne-Marie Idrac (UDF), Christine Boutin (sarkoziste) sont cités comme proches de l'Opus Dei. Finalement, elle ne regroupe que de 1500 à 2000 personnes, bien moins que sa réputation sulfureuse ne laisse présager. C'est peu comparé aux 90000 membres qu'elle compterait dans le monde. Pour le journaliste Marc Baudriller, auteur d'une enquête sur les réseaux cathos dans l'Hexagone, cette faible présence s'explique en partie par le nombre important de réfugiés républicains de ce côté des Pyrénées, farouches opposants à l'Œuvre qui était proche des réseaux franquistes. Le mode de fonctionnement propre à l'Opus Dei, œuvre spirituelle disposant grâce aux laïcs de biens matériels, a pu rencontrer aussi des résistances, estime-t-il.

Une fidélité sans faille au Vatican

Cercueil Josémaria Escriva
Prêtre allumant un cierge sur le cercueil de Josemaria Escrira ©Reuter/L'Espress

En Espagne ou en Italie, son influence est toute autre. L'institution est intégrée au même titre que d'autres émanations de l'Église sans être le moins du monde considérée comme une société secrète. «  L'Opus Dei dispose en Italie d'un immense hôpital, d'une université flambant neuve inaugurée par le président de la République », souligne Marc Baudriller. En Amérique latine, elle s'est fortement opposée aux théologiens de la « libération », qui prônaient une Église proche des plus pauvres, considérant qu'il s'agissait là d'un virage vers un gauchisme dangereux.

« Faire une société secrète, c'est très humain. La vraie question est de se demander à quoi elle sert », s'interroge l'historien Renaud Thomazo. L'Opus Dei affiche un objectif officiel spirituel : la sanctification par le travail. Mais, en sous-main, l'objectif est bien plus politique : lutter contre la déchristianisation et les mœurs « déliquescentes » de nos sociétés.

Cet objectif explique sans doute la façon dont l'Opus Dei a réussi à s'imposer dans les arcanes du Vatican. En 1982, elle obtient de Jean-Paul II le statut sur mesure de « prélature personnelle », qui la fait directement dépendre du Saint-Siège. Le même Jean-Paul II procède, vingt ans plus tard, à la canonisation de Josemaria Escriva, le « saint controversé ». Cette proximité avec le pape permet à l'Opus Dei de réfuter toute accusation d'intégrisme. Contrairement à d'autres organisations conservatrices, elle est d'une fidélité sans faille à Rome. Même si l'élection du pape François marque un certain revers pour l'organisation, puisqu'elle consacre un frère ennemi : un jésuite.

Les Trois Ordres

Les membres laïcs de l'organisation, qui forment l'écrasante majorité (98%) des troupes, se répartissent en « surnuméraires », des hommes et des femmes mariés qui mènent une vie ordinaire en adhérant aux préceptes de l'Opus Dei ; en « agrégés », qui s'astreignent au célibat et participent plus activement à l'Œuvre ; et enfin en « numéraires », qui ont fait vœu de chasteté, de pauvreté, vivent en communauté et reversent leurs revenus à l'organisation.

Une demande d'admission est faite sous forme d'une lettre type d'engagement. L'accord est donné six mois plus tard, après sans doute une enquête. L'oblation a lieu un an plus tard. Ensuite, chaque année durant cinq ans, à l'occasion de la Saint-Joseph, le membre renouvelle son engagement. L'engagement est définitif au bout de cinq ans. Seule la demande d'admission initiale est écrite. Le reste se fait sous la forme d'un « contrat oral » en latin. Un « contrat » ou un « pacte » ? On peut se le demander.



Sources : D'après une enquête de Claire Aubé pour l'Express. Claire Aubé est journaliste diplômée de l'École Normale Supérieure, titulaire d'un DEA de sociologie, elle a suivi des formations de Psychologie Positive (VIA Institute) et d'Approche centrée sur la Personne (ACP Formations).

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