La caste des Intouchables en Inde

Intouchable en Inde
Les rudes marins portugais qui ont abordé l'Inde au XVIe siècle avaient remarqué que la division sociale indienne dépendait de la casta, c'est-à-dire, en portugais, de la pureté. Mais ils y voyaient la pureté du sang, de la race. D'ailleurs, le terme sanskrit jâti, qui désigne ce que nous appelons les castes, signifie, ni plus, ni moins, « race ». C'est clair, c'est net.

Le système repose sur le dharma, le devoir d'état, la profession. Il n’y a rien de raciste là dedans. C’est comme une auto qui possède des roues, un moteur, un volant, des freins, etc. et, dans la société indienne, chacun doit accomplir son dharma et tenir son rôle à sa place pour que tout aille bien. Cette idée se défend et c’est un peu ce que prônent Wauquiez et Macron en France. Grâce à cela, dès l'enfance, chacun est préparé au rôle qu'il tiendra plus tard dans la vie. Le système marche depuis des millénaires, il a donc fait ses preuves, et s’il perdure c’est donc qu'il est bon. Mais en réalité ce système ne tient que par la coercition.

Des guildes de compagnons

A propos de cette division sociale selon la profession, cela ressemble à nos guildes qui protégeaient les intérêts de leurs membres, leur assuraient une formation solide, garantie d'un travail de qualité. Il en existe encore aujourd’hui en Europe avec le Compagnonnage. Pour transmettre les secrets et les tours de main d'un métier, il n'y a rien de tel que la transmission de père en fils. Ceci justifie le caractère héréditaire des castes.

En 1954, le nouveau Code Civil de l'Inde a cependant supprimées ces castes. C'est vrai, mais, en pratique, très peu de choses ont changé.

Grâce à Gandhi, nous savons que le problème des Intouchables, qu'il appelait les Harijans, les enfants de Dieu, existe et nous supposons, à tort, qu'il voulait éliminer les castes. En fait, il visait seulement à réhabiliter ces damnés de la terre, ce qui est, bien sûr, louable.

Parmi les raisons de se pencher sur cette question, outre son aspect humanitaire, à cause du système des castes et de ses abus, il se développe peu à peu, sourdement, une situation explosive en Inde dont la déstabilisation aurait des conséquences imprévisibles à l'échelle mondiale car l’Inde représente un cinquième de la population mondiale pour seulement une superficie de 2,5% des terres habitables.

Le système des castes en détail

En fait, le système dit « des castes » résulte de deux modes de division, de nature si différente qu'il vaudrait mieux renoncer au mot caste car, en fourrant tout dans le même sac, on embrouille tout, ce qui n'est pas fait pour déplaire à tous ceux qui préfèrent noyer le poisson.

Le premier critère de discrimination, purement racial, est ainsi varna, mot sanskrit signifiant couleur (de la peau évidemment). Il en résulte quatre jâtis.

Il y a, d'une part, les Aryens, les « visages pâles », répartis d'abord en deux classes principales, dominantes par l'influence, mais largement minoritaires en nombre : les brahmanes (prêtres) et les kshattriyas (guerriers, princes et nobles).

Puis viennent les vaishyas, les cultivateurs, les artisans, les commerçants, les usuriers, etc. qui forment le gros de la troisième classe des « deux fois nés » du système védique, admis au port du « cordon sacré » et à la religion védique dont tous les autres sont exclus.

Puis viennent les non-Aryens, les soudras, les serfs descendants des vaincus, incorporés de force dans le système aryen en tant que quatrième classe, et qui forment une masse de main-d’œuvre servile, taillable et corvéable à merci.

Enfin, derniers parmi les derniers, les hors-caste, exclus du système, indignes même d'être esclaves, les intouchables, descendants des tribus aborigènes insoumises. Voilà donc la quintuple division du système, basée sur la race, où l'on n'entre que par la naissance.

Une division de la société par les métiers

Castes en Inde
Le second « commun diviseur » est professionnel comme on l'a vu plus haut. Alors que les jâtis sont intangibles, chacune se subdivise en autant de compartiments qu'il y a de métiers, de professions. De ce fait, elles sont innombrables et il s'en crée toujours de nouvelles alors que les jâtis sont et resteront quatre, pas une de plus. A défaut de distinguer ces deux modes de division, on mélange tout.

Quant à l'origine du système, il est fort probable que ce sont justement ses victimes, les non-aryens, qui les auraient inventées avant même l'irruption des envahisseurs. Après la conquête, les Aryens ont sans doute trouvé une société dravidienne organisée en guildes professionnelles, peut-être même déjà héréditaires, structure qu'ils auront adoptée et puis adaptée à leur profit en y surajoutant le critère varna, couleur de la peau, race.

 

Les intouchables sont les parias de la société

Perdre une guerre est toujours une erreur : depuis plus de 3 500 ans les Dravidiens et autres peuples non-aryens de l'Inde payent très cher leur défaite dans une guerre d'invasion qu'ils n'ont évidemment pas voulue, et ce n'est pas fini. Mais, de tous, ce sont les intouchables qui paient le tribut le plus lourd.

Intouchable, quel mot affreux : comment peut-on concevoir que Dieu, ou même tout simplement la nature, ait créé des humains si abjects et impurs au point que leur ombre « pollue » tout ce qu'elle touche ? Et le plus affreux est qu'à force de l'avoir lu et entendu, il ne fasse guère bondir alors que leur sort est bien pire que le mot ! Cette classe d'êtres humains regroupe tout ce que les Aryens ont rejeté de leur système, tous les insoumis (rien à voir avec Mélenchon), tous ceux qui habitaient des jungles trop impénétrables, donc surtout les autochtones pré-dravidiens. De tous les parias, les plus à plaindre sont encore les bâtards d'Aryens, nés d'une union « impure » d'une mère aryenne et d'un père soudra, par exemple. Ils sont excommuniés, rejetés à jamais au ban de la société aryenne, ainsi que leur descendance : un rejet aussi draconien se veut dissuasif à l'égard de telles unions.

 
Il y a quelques années un article du Figaro nous en apprenait plus sur les intouchables.

Les intouchables, combien sont-ils dans l'Inde d'aujourd'hui ? Cent, cent cinquante millions ? Qui le sait. Mais sont également intouchables tout le reste du monde ! Nous, Occidentaux, sommes des hors-castes et le resterons, quoi que nous fassions. Si nous ne sommes pas traités de la même façon que les intouchables autochtones, c'est grâce à la couleur de notre peau, plus blanche que celle du brahmane le plus clair et à notre puissance économique ou militaire.

Les Chandâlas

Parmi les intouchables, les Chandâlas (« mangeurs de chiens ») sont considérés par les Aryens comme étant les plus abominables, les plus inapprochables. Leur crime ? Descendre d'une tribu si farouche dans sa lutte contre les envahisseurs qu'après le combat, les Aryens arrachaient les dents des Chandâlas massacrés pour s'en faire des colliers ! Plus tard, par extension, ce nom désigna tous les hors-castes.

Alors qu'au fil des siècles certaines lois de Manu concernant les soudras se sont assouplies, celles regardant les Chandâlas ont toujours été appliquées avec rigueur. Ainsi, le livre X.50 promulgue :

Que ces hommes établissent leur séjour au pied des grands arbres consacrés, près des lieux de crémation, dans la montagne et dans les bois, qu'ils soient connus de tous et vivent de leur travail (honte suprême).

La demeure des Chandâlas et des Swapâkas doit être hors du village ; ils ne peuvent pas avoir de vases entiers, et ne doivent posséder pour tout bien que des chiens et des ânes.

Qu'ils aient pour vêtements les habits des morts ; pour plats, des pots brisés ; pour parure, du fer ; qu'ils aillent sans cesse d'une place à une autre.

Qu'aucun homme, fidèle à ses devoirs, n'ait de rapport avec eux ; ils doivent n'avoir d'affaires qu'entre eux, et ne se marier qu'avec leurs semblables.

Que la nourriture qu'ils reçoivent des autres ne leur soit donnée que dans des tessons et par l'intermédiaire d'un serf, et qu'ils ne circulent pas la nuit dans les villages et dans les villes.

Qu'ils y viennent durant le jour pour leur besogne, distingués au moyen des signes prescrits par le roi, et qu'ils soient chargés de transporter le corps d'un homme qui meurt sans laisser de parents : tel est le règlement.

Qu'ils exécutent, d'après l'ordre du roi, les criminels condamnés à mort par un arrêt légal, et qu'ils prennent pour eux les habits, les lits et les parures de ceux qu'ils mettent à mort. » (Manu, V. 51 à 56)

N’est-il pas honteux de promulguer et d'appliquer de telles « lois » ? N’est-il pas scandaleux que, depuis trente-cinq siècles, des humains subissent une répression aussi systématique et féroce, destinée à les ravaler à un rang inférieur aux animaux ? Et les lois modernes n'ont guère changé leur sort, sauf peut-être dans les villes et dans une faible mesure.

Les panchâmas

Les panchâmas (la cinquième classe, donc tous les intouchables), comme on les appelle aussi, sont interdits de séjour dans les villages des autres castes. Ils ne peuvent s'approcher des puits, des temples et de certaines routes empruntées par les brahmanes. Il leur est défendu de bâtir des maisons en bois ou en pierre. L'entrée de leurs cases en terre doit être si basse qu'ils sont forcés de se baisser pour y entrer... Il leur est interdit de porter des vêtements propres ou de posséder le moindre lopin de terre, afin qu'ils dépendent totalement des autres castes.

L'application impitoyable de ces lois a efficacement et effectivement transformé, au fil des millénaires, ces hommes et ces femmes en un peuple dégradé, dépourvu du moindre respect pour soi-même et sans aucune chance d'améliorer leur position. Délibérément voués à la misère, privés même du droit et des moyens de protester, leur déchéance est totale. Ils se nourrissent de charogne et des nourritures les plus répugnantes, ils boivent les eaux les plus polluées. S'ils deviennent malades, aucun médecin n'acceptera de les soigner. Des brahmanes ont créé des hôpitaux pour animaux et oiseaux, mais aucun médecin aryen ne soignera ses frères humains hors-castes. Pour eux, la mort d'un panchâma est sans importance, moins que celle d'un chien ou d'un chat. Des panchâmas ont été tués pour avoir commis le crime d'entrer dans des rues qui leur étaient interdites ou pour s'être approchés, par inadvertance, de puits publics. La moindre infraction est punie par la flagellation ou la mutilation. (D’après C. Thomas, Dans Hindu Religion, Customs miti Manners, p. 20)

A Poona, une loi interdisait l'accès de la ville aux parias après trois heures de l'après-midi. La raison est simple : plus tard, le soleil couchant allongerait leur ombre qui polluerait tout sur son passage ! Si ce n'était pas aussi scandaleux, on en rirait.

Le rite de shrâddha

Un autre exemple : parmi les innombrables rites et cérémonies qui ponctuent chaque instant de la vie d'un Aryen, il y a la shrâddha, le rite funéraire accompli pour un parent défunt, destiné à maintenir le lien entre les vivants et le mort, ce qui est louable en soi. A cette occasion, on offre un gâteau funéraire, le pinda, aux personnes des trois générations descendant du défunt et le partage a lieu en secret, à l'abri de tous les regards, pour éviter qu'il ne soit vu par un eunuque, un hors-caste, un hérétique ou... une femme enceinte, même aryenne, sinon l'offrande ainsi souillée serait refusée par le défunt !

Victimes des lois de Manu, des panchâmas  vivent, ou plutôt survivent, à la lisière de la forêt, se nourrissant de lézards et de racines qu'ils déterrent en grattant le sol. Une absence aussi totale de pitié semble incroyable et pourtant elle est vraie, et ne croyez pas que cette époque soit révolue.

Des pratiques qui peuvent aller au meurtre

Néanmoins, des Indiens cultivés vous diront que, de nos jours, des places leur sont réservées dans les universités indiennes et qu'ils peuvent même devenir riches. C'est vrai, mais une hirondelle ne fait pas le printemps et, en tout cas, un brahmane même peu fortuné méprisera toujours un intouchable, fut-il multi-milliardaire.

Dans le journal L'Express du 15 avril 1988 on pouvait lire :

Au milieu d'un champ de blé en herbe, un cercle d'une dizaine de mètres de diamètre, sans culture. C'est là que huit intouchables et trois autres membres de basses castes ont été tués de sang-froid, le 27 mai 1977, par les kurmis, une communauté de petits propriétaires terriens. Pourquoi ce massacre ? Onze ans plus tard, on ne le sait pas encore. 

Cela se passait à Belchi, un village de 400 habitants et, bien que situé à seulement soixante kilomètres de Patna, la capitale de l'Est du Bihar, on y vit encore comme voici deux mille ans.

Les policiers ? Tout d'abord, ils sont corrompus et font partie du « système », ensuite, ils sont impuissants : à une vingtaine, sans voiture, sans téléphone, comment peuvent-ils couvrir un rayon de vingt kilomètres ? On pourrait minimiser l'affaire et dire qu'une telle tuerie est exceptionnelle. En fait, ce qui est exceptionnel, c'est qu'elle soit connue : la violence est permanente et, par rapport aux deux cents tués « officiels », combien y a-t-il de cas non répertoriés ?

Les kurmis

Les kurmis sont une classe défavorisée de petits propriétaires. Le kurmi possède au maximum 2 hectares et récolte, bon an, mal an, une tonne de céréales, blé et maïs, quelques légumes, plus un peu de fourrage pour son buffle. Il dépend lui-même des gros propriétaires, contre lesquels il doit se défendre. Néanmoins, il pourra nourrir sa femme et ses six enfants, économiser quelques roupies pour envoyer l'aîné à l'école, s'acheter une bicyclette et doter sa fille.

Les kurmis exploitent les intouchables, sans pitié ni vergogne. Les intouchables louent leurs services pour un kilo de grain par jour, arraché à la terre sur laquelle ils travaillent. On ne leur donne jamais d’argent liquide. Quand, malgré tout, ils ont besoin d'un prêt, – de 100 roupies, par exemple –, pour le médecin et des médicaments, l'empreinte du pouce sur un bout de papier faisant foi, ils ne peuvent pas rembourser et deviennent ainsi esclave à vie.


D’après un texte d’André Van Lysebeth

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