L’Abakuá

Les nanigos
Crédit photo : Elio Delgado Valdes
L’Abakuá est un culte initiatique afro-cubain considéré comme une fraternité ou une société secrète. Il est issu d'associations fraternelles provenant de la région du Delta du Niger, au sud du Nigéria et au sud-ouest du Cameroun. C’est la région des peuples Calabari et plus exactement les Efik, une branche des Ibo.

L’Abakuá est également appelé Ekpe, Egbo, Ngbe ou encore Ugbe. Les adeptes s’appellent les Ñañigos. Ils pensent qu’ils pourraient se transformer en léopards pour traquer leurs ennemis. Le léopard est leur emblème. Parmi les pouvoirs les moins mystiques des Nanigos existait la capacité de transformer les personnes pour ne plus qu’elles soient des esclaves. En Afrique, ils étaient des opérateurs notoires qui faisaient affaire avec les esclavagistes.

La religion la plus populaire à Cuba est la Santeria. C'est une religion yoruba déguisée en une sorte de christianisme. L'Abakuá est une religion beaucoup plus petite. Elle compte environ 20 000 à 30 000 membres. Les ñañigos sont des hommes qu'il ne faut pas salir, associés à une culture machiste, à la violence et à la criminalité, mais également aux tambours et à la danse.

L’Abakuá est considérée comme une version afro-cubaine de la franc-maçonnerie.

 

L’origine

Le terme cubain créolisée Abakuá se réfère à la région Abakpa dans le sud du Nigeria, où la société était active à l’origine. Parmi les esclaves déportés vers Cuba au XVIIIe siècle se trouvaient des chefs locaux détenteurs de savoirs traditionnels et surtout connaissant certainement l’anglais ou l’espagnol. C’est ainsi que les premières sociétés ont été créées par des Africains dans la ville de Regla et à La Havane le 6 janvier 1836. Cela reste les principales zones d’implantation de l’Abakuá, en particulier le district de Guanabacoa dans l'est de La Havane, et Matanzas, où la culture afro-cubaine est dynamique.

Dès le départ les associations ont pour objectif d’apporter aide et assistance à leurs adeptes, et bien entendu, sous le sceau exclusif du secret, de transmettre la tradition. Pour les esclaves amenés à Cuba pour travailler dans des plantations de canne à sucre, les sociétés secrètes leur procuraient un sentiment de contrôle et de pouvoir qui leur permettait d’échapper à la misère de l'esclavage. Et encore aujourd'hui ces sous-cultures sont des sanctuaires de l'expression de soi. Ils ouvrent une porte par ailleurs fermement fermée à l'individualité. Dans ces sociétés, les jeunes Cubains vivent une liberté unique, à la fois personnelle et partagée, loin des regards indiscrets de l'État.

Ces sociétés secrètes sont autorisées seulement aux hommes. Pour y être accepté on doit être de mœurs irréprochables.

Les membres de l’Abakuá tirent leurs systèmes de croyances et leurs pratiques traditionnelles des esprits Igbo, Efik, Efut et Ibibio qui vivaient dans la forêt. Ekpe et d’autres termes synonymes étaient des noms d’esprits de la forêt et ceux d’une société secrète des léopards qui leur était associée.

Ce type de société est unique sur le continent américain.

Les Ñañigos

Ñañigo dans la rue
Crédit photo : Nicola Lo Calzo
Les membres de cette société sont connus sous le nom de Ñañigos, un mot utilisé pour désigner les danseurs de rue. Les Ñañigos, qui sont également appelés diablitos, étaient bien connus par la population à Cuba par le biais de leur participation au Carnaval de la Journée des Trois Rois. Quand ils dansaient dans les rues ils portaient leur tenue de cérémonie, une robe en damier multicolore avec une têtière conique garnie de glands.

Les membres de la société Abakuá font des serments de fidélité à des objets sacrés et les connaissances secrètes apprises par les initiés sont comme un pacte permanent qui crée une parenté sacrée parmi les membres. Les fonctions d'un membre Abakuá envers ses frères de rituels surpassent même parfois les responsabilités de l'amitié, et l'expression « amitié est une chose, et l'Abakuá en est une autre » est souvent entendue. Un des serments faits lors de l'initiation est que l'on ne doit pas révéler les secrets de l'Abakuá aux non-initiés, ce qui explique pourquoi les Abakuá sont restés hermétiques depuis plus de 160 ans. Mais à Cuba, au XIXe siècle, leurs secrets ont été vendus aux blancs et un Abakuá blanc parallèle a été établi.
 

L'Abakuá est une véritable franc-maçonnerie

Les informations des sociétés secrètes sont toujours fragmentaires, car de telles organisations essaient de garder leurs secrets cachés. Au début du XXe siècle, la franc-maçonnerie était encore un mouvement subversif. L'Abakuá a des liens très étroits avec la franc-maçonnerie et à l'origine elle s'opposait à l'esclavage et au pouvoir colonial espagnol. Certains ñañigos ont combattu les Espagnols aux côtés de José Martí lors de la guerre d'indépendance de Cuba de 1895-1898. Ces ñañigos semblent avoir été des blancs (c'est-à-dire des créoles) : Roman Quirino Valdés et Felipe Espinola Travieso. Il y a eu deux guerres antérieures contre l'Espagne en 1868-1878 et 1879-1880, et l'Abakuá semble avoir rejoint le mouvement indépendantiste seulement au stade final.

 
Les francs-maçons noirs à Cuba sont pointés du doigts par cet article de libération paru dès 1997.

À l'origine, Abakuá n'acceptait ni les métis ni les Blancs, mais uniquement les hommes noirs. Les hommes blancs ont été acceptés dans l'Abakuá en 1863 après que le métis Andrés Petit (Andrés Facundo de los Dolores Petit) eut soutenu qu'accepter les Blancs améliorerait la position des Noirs et aiderait la société des Abakuá à survivre. Petit était une figure intéressante, qui était non seulement un dirigeant de l'Abakuá, mais faisait également partie de l'ordre catholique de la Kimbisa, appartenant à la regla de Palo Monte. C'était des Santerio et des francs-maçons. Plusieurs francs-maçons ont rejoint l'Abakuá et il semble que l'organisation de l'Abakuá en tant que société secrète relève de la franc-maçonnerie et que ce sont les francs-maçons qui l'ont conduite à la participation au mouvement pour l'indépendance.

Culture et pratiques

Costumes de l'Abakua
En dehors de ses activités en tant que société de secours mutuel, l'Abakuá effectue des rituels et des cérémonies qui sont sous le couvert du secret. La soumission au secret n’est cependant valable que pour l’accès aux cérémonies privées accessibles aux seuls initiés. En revanche d’autres cérémonies publiques ayant commencé dans l’espace sacré, continuent à l’extérieur et sont ouvertes à tous. Ces cérémonies sont appelées plantes. Elles sont pleines de théâtralité et de tragédie et se composent de tambours, de danse, et de chants dans le langage Abakuá secret. La connaissance des chants est limitée aux membres des Abakuá mais les chercheurs cubains ont longtemps pensé que le langage Abakuá exprime leur histoire culturelle à travers leurs cérémonies. D'autres cérémonies telles que les initiations et les funérailles sont secrètes et se déroulent dans la salle sacrée du temple Abakuá, appelé le Famba.

La musique

La musique de danse rythmique de l’Abakuá combine les traditions bantoues du Congo et a contribué à la tradition musicale de la rumba.

Bien hermétique et peu connue, même à l'intérieur de Cuba, une analyse de la musique populaire cubaine enregistrée à partir des années 1920 jusqu'à nos jours révèle l'influence de l’Abakuá dans presque tous les genres de musique populaire cubaine. Les musiciens cubains qui sont membres des Abakuá ont continuellement documenté les principaux aspects de l'histoire de leur société dans les enregistrements commerciaux, généralement dans leur langue secrète Abakuá. Sachant que leur langue était réservée aux membres, les Abakuá ont commercialement enregistrés des chants réels de leur société, croyant que les étrangers ne seraient pas en mesure de les interpréter. Ces enregistrements secrets ont été très populaires car les Abakuá représentent un anti-colonialisme rebelle qui est un des aspects de la culture populaire cubaine.

Les pratiques

Cérémonie d'Abakua
Ireme est le terme cubain pour désigner le danseur Abakuá masqué, également connu sous le nom de Idem ou Ndem dans la région de Cross River. Le danseur de mascarade est soigneusement recouvert d'un costume et d’une capuche moulante en pointe, sorte de linceul sans ouverture pour la bouche, et avec deux yeux brodés, et danse à la fois avec un balai ou un bâton dans la main droite et un bouquet de plantes dans la main gauche. Le balai sert à nettoyer les membres fidèles de la fraternité, alors que le bâton châtie les ennemis et des traîtres aux traditions Abakuá.

Les mascarades se déroulent sur un fond rythmé par les tambours et les sonnailles.

Les danses ont une signification, des messages d'esprits ancestraux, mais pour comprendre le message, il faut savoir ce que chacun des quatre tambours raconte et ce que signifient les mouvements de l'íreme. C'est une sorte de langage.

La langue secrète

L'Abakuá a une langue secrète, qui provient du Nigéria, mais n’est que partiellement préservée et très mal connue en dehors de la société secrète. La langue est utilisée dans des phrases rituelles et manque de mots et de grammaire pour être utilisée dans une communication normale, ce que font les ñañigos en espagnol cubain. L'Abakuá a aussi un langage graphique : des symboles et des sceaux sont dessinés et présentent certains aspects des hiéroglyphes et des symboles vaudou, mais ils ne sont pas assez développés pour écrire des phrases complètes. Leur utilisation est magique.

Les secrets

Les Ñañigos posséderaient le secret de la recette de la potion aux sept herbes, « le chivo », qui serait capable de ressusciter les morts. Ce serait même l’origine du culte secret dont toute divulgation entraine une sanction de mort.

Nasako, puissant sorcier chez les peuplades Efo et Efik, aurait fabriqué le premier tambour sacré : l’Ekue. Il ne devra jamais être utilisé de bois provenant d’un arbre de genre féminin pour construire le tambour. Le tambour ne devra jamais être utilisé en public, c’est la règle. Le musicien Luciano Gonzalez Pozo, dit « Chano », aurait utilisé le tambour en public. On le retrouve assassiné l’année suivante. On a pu remarquer que lors d’un spectacle des Ñañigos donné au quai Branly certains tambours restaient dissimulés au public.

Dans l'Abakuá il existe d'autres rites secrets tels qu'adorer un arbre sacré, ceiba, les sacrifices de chèvre et de coq, le mythe du Sikón, les tatouages, les traditions familiales, la magie, etc. C’est une société secrète d’hommes appartenant à une tradition commune : les hommes protègent leur magie des femmes en la gardant secrète et les femmes ont leur propre société secrète et leur magie féminine. Cela fait partie de la division du travail entre les sexes.


 

L'initiation et la séparation des tâches entre hommes et femmes

L'Abakuá, à Cuba, ne possède pas de sociétés secrètes féminines, car les esclaves amenés à Cuba pour travailler dans les plantations étaient pour la plupart des hommes. Les traditions d'Abakuá viennent de la région de Cross River au Niger, où les femmes ont aussi leurs sociétés et leur magie. L’objectif principal de ces sociétés, composées d'hommes et de femmes, est d’initier les garçons et les filles à leur rôle d’adulte. L'initiation implique toujours des rites et des secrets spéciaux. A l'origine, ces secrets étaient les secrets des tâches de chaque sexe : au Nigeria, les femmes pêchaient, préparaient à manger et élevaient les enfants, tandis que les hommes étaient chasseurs, éleveurs, guerriers et marchands d'esclaves.

Généralement, dans de nombreuses cultures, la magie féminine inclut la médecine, en particulier pour les problèmes féminins et la fertilité, les poisons, les malédictions, les sorts pour se marier, les secrets de beauté et autres « trucs de femmes », tandis que la magie masculine inclut les pratiques sacerdotales et cérémoniales, les sacrifices d'animaux et d'humains, faire des miracles, chasser la magie, préparer des outils, des armes, des masques et des instruments de jeu et leur donner des pouvoirs magiques, des mythes sur la création, des légendes de tribu et autres choses « plus importantes ». Il y a toujours un préjugé qui considère que le travail des hommes est plus important.

La société fermée des hommes crée la solidarité des hommes et devient facilement un groupe d’entraide. Il est absolument essentiel d’exclure les femmes afin d’avoir la fraternité proche d’un guerrier ou d’un groupe de chasseurs. L'Abakuá est très opposé à l'homosexualité, ce n'est pas ce genre de fraternité créé par les sociétés d'hommes. Les sociétés d'hommes donnent des modèles aux garçons. Les garçons sont initiés à ces sociétés d'hommes en tant que garçon devenant un homme.

Si vous demandez à ses membres quel est le concept de l’Homme, ils répondront :

Il ne s’agit pas de ceux qui ne sont pas homosexuels mais de ceux qui reflètent la plus pure dignité des êtres humains, la misère, la fraternité, la joie, la rébellion contre l’injustice et les disciples des codes moraux établis par les ancêtres, les pionniers de l’Abakua. C’est le bon père, le bon fils, le bon frère, le bon ami.  

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