Croix Koma

Victor Malanda
Victor Malanda, le fondateur de la Croix Koma
Le mouvement de la « Croix Koma » n’est à proprement parler ni sectaire ni messianique. Il ne s’inscrit pas dans un processus politique, ne cherche pas à rendre la grandeur passée à un peuple ni à une ethnie et ne se dissocie même pas de l’église catholique. Sa spécificité est, comme la plupart des mouvements sectaires, la lute obsessionnelle menée contre la sorcellerie. Son originalité est justement que cette lutte est son seul objet contrairement à d’autres sectes qui font de l’élimination de la sorcellerie un argument périphérique à leur idéologie. Cette absence de parasitage doit nous permettre d’observer ce phénomène du rejet de ce type de traditions pour ce qu’il est et non ce qu’il sert.

Victor Malanda est né vers 1910 dans le village de Kankata à une centaine de kilomètres de Brazzaville. Catholique baptisé à l’âge de 10 ans il est attiré par la sculpture, mais il travaillera comme jardinier. Catholique fervent il fera partie de la Légion de Marie, et participera en 1952 au mouvement Mukunguna. En 1956 il abandonne le jardinage pour suivre sa vocation, enseigner et guérir. En 1957 Saint Antoine lui apparaît et lui annonce la venue d’épreuves. Tornades, invasion d’insectes, ravages de récoltes par les oiseaux, autrement dit rien de statistiquement anormal, finissent par le convaincre de sa mission. En 1959 il quitte Léopoldville pour revenir chez lui et accomplir son destin.


Devenu Ta Malanda (Ta = père), sa vocation, pour ne pas dire son obsession, est de se débarrasser des cultes ancestraux bakongo et en particulier de tous les rituels de magie et de sorcellerie coutumiers. En 1964 il décide de s’attaquer à l’objet qui pour lui se situe au centre du phénomène en recevant toute la charge magique, le Knisi). Il fait construire dans son village de Kankata un hangar dans lequel seront déposés tous les minkisi (pluriel de knisi) apportés par ses nouveaux adeptes lors de leur participation aux séminaires de « renonciation » à la magie/sorcellerie. Ces minkisi ne seront ni détruits ni brulés afin de porter témoignage.

En effet chaque nouveau « renonçant » pourra lors de sa visite constater qu’il n’est pas le seul à avoir rejeté les fétiches, ce qui en filigrane insinuera que d’autres personnes ont déjà sacrifié leurs objets fétiches sans avoir eu à subir les conséquences néfastes de chocs en retour. Cette remise des matériaux servant à la magie s’inscrit dans un parcours organisé et ritualisé. La cérémonie de renonciation dure une semaine. Elle commence le vendredi avec la remise des fétiches et leur inscription sur un registre, et se termine le jeudi suivant jour de la « bangisa » ou renoncement. Une description détaillée du rituel a été faite par Jeanne-Françoise Vincent et reste consultable sur le site www.Persee.fr

L’acte de renoncement est le cœur du rituel

Cette ritualisation de l’acte de renoncement s’accompagne d’un véritable encadrement administratif. Tous les participants sont non seulement inscrits sur des registres spécifiques mais reçoivent à l’échéance de leur séminaire un « degré » ou certificat attestant de leur renonciation à toute pratique magique. Ces inscriptions ne se limitent pas au nom du participant, mais indiquent également le nom de clan, du village, ainsi que la mention « païen » ou « chrétien ». Avec ce registre tout individu d’un clan déjà enregistré mais venant ultérieurement n’aura de ce fait plus à payer la cotisation de 500F par clan exigée pour l’amortissement du matériel (la nourriture étant apportée par les participants). Cette méthode loin d’être anodine doit être replacée dans le contexte. En effet dans la culture bakongo, la sorcellerie n’est pas l’apanage du sorcier connu et déclaré et chaque individu peu être sorcier même sans le savoir. La cérémonie collective à laquelle va participer tout un clan permet donc d’éliminer de fait les sorciers qui s’ignorent, mais encore plus de détecter ceux qui tentant d’échapper à la renonciation apporteraient la preuve implicite de leur appartenance. Mais ce n’est pas tout. D’abord le knisi est en principe réservé à la magie blanche même si l’utilisation en magie noire n’est jamais exclue, mais quoi qu’il en soit en temps que fétiche, et donc objet, il est facile d’en vérifier l’élimination. Il n’en va pas de même avec la magie noire où le sorcier passe un véritable contact avec un fantômes errant (nkuyu) pour assurer la réussite de son art. De ce fait en renonçant sous serment de renoncer à toute pratique de sorcellerie, le magicien noir s’interdit tout nouveau contrat avec un nkuyu. En cas de parjure il s’expose à des représailles mortelles qui lui seront apportées par une magie encore plus puissante, celle de Jésus et son église.

On constate ici ce qui sera quasiment une constante du phénomène messianique, la volonté d’éliminer magie et sorcellerie en utilisant les mêmes armes, mais en transférant dans les mains du Dieu des blancs le pouvoir de détecter et punir les faussaires, fut-ce même à leur régler leur compte au jour du jugement dernier.

Cloué sur la croix en cas de parjure

Ce transfert des pouvoirs et représentations magiques apparaît encore dans le sens et l’utilisation donnés au nom même du mouvement à savoir « Croix Koma ». Malanda rêva une nuit d’une croix en cuivre. Le lendemain quelqu’un vint lui porter une croix trouvée ressemblant à celle de son rêve. Il garda cette croix et en fit son symbole auquel il donna le nom de Croix Koma. Koma signifiant cloué, enfoncé. La signification première en est que toute personne ayant juré de renoncer à la magie serait clouée sur la croix en cas de parjure. Le deuxième lien est plus évident, et pourrait se satisfaire d’une allusion à crucifixion de Jésus. Ce serait cependant oublier que planter des clous dans une statuette est l’une des méthodes employée pour lui transmettre sa charge magique (bilongo) et en faire un knisi nkonde. De ce fait la croix clouée devient un knisi nkonde surpuissant remplaçant encore une fois la magie des sorciers et magiciens par celle de Jésus. Le mouvement Mukanguna connu de Malanda allait d’ailleurs jusqu’à exiger que trois clous soient plantés dans la croix par les adeptes au cours des cérémonies de renonciation. De ce fait Malanda bien qu’ attaché au catholicisme s’est délibérément ou machinalement intronisé nganga ngombo, ce voyant qui seul étaient capable de détecter les sorciers au sein du clan et qui pratiquaient sur eux le jugement par le poison.

Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Supprimer la sorcellerie est une chose mais éliminer le nganga (magicien) c’est aussi se priver du guérisseur. Pour cela il faut entrer dans la modernité et changer de registre. En effet toucher à l’organisation magique de la société, c’est aussi s’attaquer au lien ancestral qui unit vivant et morts, interrompre les lignages, éliminer l’expérience personnelle de la transe et du contact avec les esprits et laisser à cette nouvelle caste des médecins et prêtres le soin de remplacer le magicien-guérisseur. Mais c’est une autre histoire.



Source : http://avatarpage.net
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