Les dérives de la Loge P2

Loge P2
La révélation, dans les années 1980, des activités mafieuses de ces francs-maçons dissidents, hommes de pouvoir farouchement anticommunistes, a scandalisé l'Italie.

En mars 1981, une loge maçonnique fait les gros titres de la presse italienne. Au cours d'une enquête sur un scandale financier, la police effectue une descente dans la villa toscane de Licio Gelli, personnalité trouble et « maître vénérable » de la Propaganda Due – alias la « P2 ». Outre deux millions de dollars en lingots d'or, la perquisition révèle un document qui intrigue les enquêteurs : la liste des 962 adhérents de la loge, recensant un nombre incroyable de personnalités de premier plan. Parmi elles, on trouve notamment tous les chefs des services secrets italiens, près de 200 officiers de haut rang, 44 sénateurs ou députés, trois ministres, des hauts fonctionnaires, des hommes d'affaires, ou encore de nombreux dirigeants de journaux... Aussitôt, la presse annonce la mise au jour d'un véritable État dans l’État. Le feuilleton de la P2 ne fait que commencer.

 

La naissance de la loge P2

Licio Gelli
Ses origines remontent à 1877, quand le Grand Orient d’Italie crée la loge Propaganda Massonica, destinée à accueillir des personnalités qui ne peuvent pas fréquenter les « ateliers » avec assiduité. Censés promouvoir les valeurs des fils de la Veuve dans la société italienne, hommes politiques et aristocrates intègrent cette loge qui, au sein de la société « discrète » qu'est la franc-maçonnerie, se veut d'emblée particulièrement secrète.

Au début des années 1920, ses efforts sont ruinés lorsque Mussolini interdit la franc-maçonnerie. Après la guerre, elle doit servir de colonne vertébrale à la reconstruction du Grand Orient d'Italie – qui numérote alors ses loges, attribuant le numéro deux à celle qui se nomme désormais « Propaganda Due ». Mais elle ne retrouvera pas son élan originel avant 1971. Cette année-là, Licio Gelli, homme d'affaires toscan né en 1919, qui fréquente la P2 depuis 1967, parvient à se faire nommer au grade – inédit dans la tradition maçonnique – de « secrétaire de l'organisation » de la loge.
 

La personnalité de Licio Gelli et la « Loge Noire »

Adhérent de plusieurs groupes néofascistes, enrichi dans la vente d'armes et de pétrole, Licio Gelli recrute de nouveaux frères à son image : des hommes d'influence partageant un anticommunisme viscéral gonflent vite les rangs de la P2.

Cette nouvelle orientation déplaît fortement au Grand Orient d'Italie. En 1974, la Grande Loge extraordinaire de Naples dissout la P2. Mais Gelli ne s'en laisse pas compter. Dès l'année suivante, il la recrée en toute indépendance : la Propaganda est dorénavant ce qu'on appelle une « loge pseudo-maçonnique » ou « loge noire ». C'est devenu une loge dissidente qui n'a plus aucun lien avec le Grand Orient d'Italie.

Roberto Calvi
Noires sont en effet ses activités, comme l'opinion le découvrira au cours de la décennie suivante. La P2 se spécialise d'abord dans les affaires véreuses. Puis, le 9 mai 1978, Aldo Moro est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture à Rome. Le nom de Gelli est déjà mis en avant. La P2 est aussi impliquée dans le scandale de la faillite de Banco Ambrosiano, l'une des principales banques milanaises, et attire sur elle l'attention de la justice. Roberto Calvi, le directeur de cet établissement, lui-même membre de la P2, pratique une gestion pour le moins occulte. Nouant des liens avec la Mafia, arrosant les partis politiques, il creuse, avec l'aide active de ses « frères », un déficit de plus d'un milliard de dollars. Il est surnommé le « banquier du Pape ». C'est en enquêtant sur lui que la justice remonte, en 1981, à Gelli, et commence à cerner, grâce à la liste de ses membres, l'influence occulte de la P2.
 

Un gouvernement de I'ombre qui préparait un coup d’État

En 1982, les enquêteurs font une nouvelle découverte de choix : dans le double-fond d'une mallette appartenant à Gelli, ils trouvent un document intitulé Plan de la renaissance démocratique. Les chefs de la P2 y exposent un projet politique pour l'Italie. Désignant comme principaux ennemis le Parti communiste italien (PCI) et les syndicats, ils appellent de leurs vœux une « démocratie autoritaire », fortement marquée à droite. La presse s'emballe aussitôt : la loge serait donc un « gouvernement de l'ombre » réactionnaire, préparant un coup d’État en cas de victoire du PCI.

Les révélations qui vont s'enchainer au fil des années 1980, toujours plus scandaleuses, ont de quoi alimenter les soupçons. La justice découvre tout d'abord que la P2 arrosait les partis conservateurs à coup de milliards de lires ; puis on apprend que le changement de ligne éditoriale du Corriere della Sera, le grand quotidien italien, qui avait subitement viré à droite en 1977, était en fait dû à la prise de contrôle du journal par Gelli et ses amis.

L'attentat de la gare de Bologne

La stupéfaction culmine lorsqu'une enquête judiciaire révèle l'implication de la P2 dans le sanglant attentat de la gare de Bologne, qui avait fait 85 morts et plus de 200 blessés, en août 1980. Les recherches démontrent aussi comment les services secrets – dont les chefs appartenaient tous à la P2 – avaient effacé toutes traces du rôle de Gelli et de ses frères dans l'attentat qu'ils avaient sans doute eux même organisé, dans l'espoir de faire accuser la gauche pour la décrédibiliser.

Licio Gelli
Licio Gelli
Jugés à plusieurs reprises, Gelli et les principaux responsables de la P2 sont condamnés pour malversations financières, entrave à la justice et divulgation de secrets d’État. Les juges écartent en revanche toutes les accusations de terrorisme et de complot contre l’État, alimentant dans l'opinion l'idée que les accusés conservent de nombreuses protections.

Licio Gelli a vécu de nombreuses années dans sa villa d'Arezzo, dans laquelle il était assigné à résidence. Il est mort le 15 décembre 2015 à l'âge de 96 ans. En 2003, dans une interview à La Repubblica, il s'est déclaré ravi que Silvio Berlusconi – qui figurait sur la fameuse liste des 962 membres de la P2 –, en renforçant le contrôle du gouvernement sur la justice et les médias, ait pu réaliser une partie du fameux Plan de la renaissance démocratique...

Pour en savoir plus : un très bon article dans la Tribune de Genève, https://www.tdg.ch/monde/Le-Venerable-s-est-tu/story/10493666



Auteur : Texte de Charles Giol, agrégé d'histoire et diplômé du Centre de formation des journalistes, auteur entre autre de : De Jaurès à Hollande. Histoire de France de 1914 à nos jours
Il collabore à différents journaux tels que l'Express, Sciences et Avenir et le Nouvel Obs.
On le voit souvent en compagnie de Caroline Brun, la Présidente de l'Agence Forum News.
Forum News est une agence de presse qui fournit du contenu journalistique clé en mains à la presse écrite, audiovisuelle ou numérique.

 
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