Les deux conciles de Mâcon

Le Pont de Saint-Laurent à Mâcon
Le Pont de saint-Laurent à Mâcon


Très récemment, j’ai envoyé un post très misogyne à quelques amis sur Messenger, une citation du regretté Pierre Desproges. Un ami m’a renvoyé un commentaire où il précisait se souvenir qu’au concile de Mâcon, les femmes n’avaient une âme qu’à deux voix près. Il semblait me souvenir que ceci était faux mais j’ai pris la peine de vérifier.

Je dois quand même faire un « mea culpa », j’ai aussi (il y a fort longtemps) laissé entendre qu‘en l’an 1000, le Pape avait réuni un concile où il avait été décidé que la femme avait une âme parce l’on avait comparé le poids du cerveau d’une femme avec celui d’un chien et que le cerveau de la femme était plus lourd et donc que ce différentiel de poids était celui de son âme. Comme je n’étais pas en reste d’une exagération supplémentaire, je rajoutais qu’heureusement que l’on n’avait pas pris le cerveau d’un Saint Bernard, sinon c’est la femme qui aurait été considérée comme le meilleur ami de l’homme… J’espère que vous me pardonnerez un jour (même si je n’éprouve aucun regret de ma bêtise).

Mais nous en étions au second concile de Mâcon

S’il y a un second concile, c’est qu’il y en a eu un premier. Mais avant de disserter sur les conciles de Mâcon, il conviendrait de s’intéresser à ce qu’est un concile… Un article a été spécialement préparé à votre intention pour vous expliquer :



Mais revenons à Mâcon.

Il y a bien eu deux conciles dans la ville de Mâcon. Le premier s’est déroulé en 581 et le second en 583.

Ces deux conciles ont un caractère régional, donc ils ne concernent que les diocèses d’une seule région.

Le premier concile de Mâcon en 581

Ce premier concile a été convoqué à la demande du roi Gontran de Bourgogne qui régnait sur la Bourgogne (comme son titre l’indiquait).

Ce concile comme le suivant a été présidé par Priscus qui était évêque de Lyon depuis 573. On ne connait pas grand-chose sur ce personnage à part sa participation aux deux conciles régionaux de Mâcon et à un autre concile provincial à Lyon en 583. Nous savons que son prédécesseur à l’évêché de Lyon, Nizier ou Nicetius, avait désigné Aetherius comme son successeur mais le roi Gontran préféra nommer Priscus. Aetherius deviendra évêque de Lyon en 589.

L’épitaphe de Priscus nous a appris qu’il était issu de l’aristocratie et qu’il avait exercé certaines charges politiques avant de devenir évêque. Le roi Gontran avait dû préférer nommer évêque un de ses alliés politiques plutôt que de se séparer d’un de ses officiers, Aetherius (en cette lointaine époque, la charge d’évêque était une charge comme une autre…).

Priscus ou Prisque avait été un opposant de Nizier quand il devint évêque de Lyon, il maintint sa femme Suzanne à ses côtés et persécuta les anciens proches de Nizier.

Les participants au premier concile de Mâcon

A ce concile participèrent :
Priscus, évêque de l'Église de Lyon,
Evantius, pécheur, de l'Église de Vienne,
Artemius, évêque de l'Église de Sens,
Remedius, évêque de l'Église de Bourges,
Gallomagnus, évêque de l'Église de Troyes,
Silvestre, évêque de l'Église de Besançon,
Syagrius, évêque de l'Église d’Autun,
Aunacharius, évêque de l'Église d'Auxerre,
Usicius, évêque de l'Église de Grenoble,
Victor, évêque de l'Église de Saint-Paul-Trois-Châteaux,
Heraclius, évêque de l'Église de Digne,
Ragnoaldus, évêque de l'Église de Valence,
Namatius, évêque de l'Église d'Orléans,
Eusèbe, évêque de l'Église de Mâcon,
Agricola, évêque de l'Église de Nevers,
Mummolus, évêque de l'Église de Langres,
Flavius, évêque de l'Église de Chalon,
Hiconius, évêque de l'Église de Maurienne,
Pappus, évêque de l'Église d'Apt,
Artemius, évêque de l'Église de Vaison,
Martianus, évêque de l'Église de Tarentaise.

Certains auteurs ont prétendu que Marius d’Avenches avait participé à ce premier concile. Cette méprise peut s’expliquer par le fait que Marius a rédigé une chronique universelle qui couvre les années 435 à 581 dans laquelle il fait référence au premier concile mais sans écrire qu’il y avait assisté…

Les canons du premier concile de Mâcon

1. Ainsi, il a été fixé que les évêques, les prêtres et les diacres doivent resplendir si bien de l'éclat de la sainteté intérieure qu'ils puissent échapper par l'honnêteté de leurs actions aux accusations des médisants et s’efforcer de réaliser en eux-mêmes l'attestation divine : « Que votre lumière reluise si bien devant les hommes qu'ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est aux cieux. » Aussi, par l'autorité canonique et une constitution qui demeurera à jamais, nous décrétons que tous fuient la liberté coupable vis-à-vis des femmes du dehors, et qu'ils habitent seulement avec une grand-mère, une mère, une sœur ou une nièce s'il y a nécessité.

2. Qu'aucun évêque, prêtre, diacre, clerc, ni aucun séculier, s'il n'est d'une moralité éprouvée et d’âge avancé, et sauf raison d'utilité ou de réparation du monastère, ne se permette de séjourner ou d'avoir des entretiens privés dans des monastères de filles, en vue de quelque service à leur rendre, et qu'il ne leur soit pas permis d'entrer plus avant que le parloir ou l’oratoire. Surtout, que des juifs ne se permettent pas, à l’occasion d'aucune affaire, d'avoir des entretiens particuliers ou des relations familières, à l'intérieur d'un monastère, avec des vierges consacrées à Dieu ou de séjourner là.

3. Qu'aucune femme n'ait la permission d'entrer dans la chambre d'un évêque sans la présence de deux prêtres.

4. Que ceux qui retiennent les offrandes des défunts attribuées aux églises soient écartés du seuil de l’église comme accapareurs ou assassins des indigents.

5. Qu'aucun clerc ne se permette de revêtir le sayon ou des vêtements ou chaussures séculiers, mais seulement ceux qui conviennent à des gens d'Église. Si après cette décision un clerc est trouvé avec un vêtement inconvenant ou avec des armes, qu'il soit puni par ses supérieurs d'une détention de trente jours, avec comme nourriture de l'eau et un peu de pain chaque jour.

6. Que l'évêque ne se permette pas de dire la liturgie sans le pallium.

7. Qu'aucun clerc, pour aucun motif, ne soit, sans examen de la part de son évêque, victime de l’injustice d'un juge séculier ou mis en prison. Si un juge se permet de traiter ainsi le clerc de quelqu'un, or le cas d’une affaire criminelle, à savoir l'homicide, le vol et le maléfice, qu'il soit écarté du seuil de l'église aussi longtemps que l'évêque du lieu le jugera bon.

8. Qu'aucun clerc ne se permette en aucune façon d'accuser devant un juge séculier un autre de ses frères clercs, ou de l'y traduire en justice, mais que tout procès entre clercs soit tranché en présence soit de leur évêque, soit de prêtres ou de l'archidiacre. Si un clerc omet d’agir ainsi, qu'il reçoive trente-neuf coups s'il s'agit d'un jeune, et s'il s'agit d'un plus considéré, qu'il soit puni d’une réclusion de trente jours.

9. Que de la fête de saint Martin jusqu'à la Nativité du Seigneur, on jeûne le lundi, le mercredi et le vendredi, et que l'on célèbre le sacrifice comme en Carême. Nous décidons par une mesure particulière que ces jours-là on devra lire les canons, afin que nul ne prétende avoir failli par ignorance.

10. Que les prêtres, les diacres et les clercs de tout ordre soient soumis avec obéissance et dévouement à leur évêque, et qu'il ne leur soit pas permis de passer ou célébrer les jours de fête ailleurs qu'au service de leur évêque. Si l'un d'eux, par quelque obstination ou au nom du patronage de quelqu'un, venait à manquer à ce devoir, qu'il soit déposé de son office.

11. Que les évêques, les prêtres et tous les clercs de rang honorable, lorsqu'ils sont élevés au faîte de cette haute dignité, renoncent entièrement aux actions séculières ; que, choisis pour le saint mystère, ils rejettent l'union charnelle et échangent le commerce de leurs relations antérieures contre une affection fraternelle ; et que chacun, quel qu'il soit, une fois reçue la bénédiction par un don divin, devienne aussitôt, d'époux qu'il était ; le frère de celle qui était auparavant sa femme.

Or nous avons eu connaissance de ce que certains, enflammés du feu du désir, rejetant le ceinturon de la religion, sont revenus à leur ancien vomissement et à la vie conjugale reprise à nouveau, et qu'ils ont souillé le pur honneur du sacerdoce par le crime d'inceste en quelque sorte, ce qu'ont rendu manifeste les fils qui leur sont nés. Quiconque est reconnu l'avoir fait sera privé à jamais de toute la dignité que déjà il a perdue en commettant ce crime.

12. Au sujet des jeunes filles qui se sont vouées à Dieu et qui, à l'âge où resplendit la beauté, ont passé à des noces terrestres, voici, avons-nous décidé, ce qui doit être observé : si une jeune fille, spontanément ou à la prière de ses parents, a fait profession de vie religieuse et a reçu la bénédiction, et si ensuite elle se permet de déserter cet état pour le mariage et les attraits du monde – ce qui doit être jugé stupre plutôt que mariage –, qu’elle soit jusqu'à sa mort privée de la communion, de même que celui qui s'est uni à elle par une telle liaison. Si, mus par le repentir, ils se séparent, qu'ils soient, aussi longtemps que le jugera l'évêque du lieu, exclus de la grâce de la communion, à cette clause pourtant que le viatique, en raison de la maladie ou d'une mort soudaine, ne leur soit, par miséricorde, pas refusé.

13. Que des juifs ne soient pas donnés comme juges au peuple chrétien, et qu'ils n'aient pas le droit d’être percepteurs, ce qui mettrait des chrétiens sous leur coupe, ce qu'à Dieu ne plaise.

14. Qu'il ne soit pas permis aux juifs, depuis la Cène du Seigneur jusqu'au lundi de Pâques, conformément à l'édit de notre seigneur le roi Childebert, de bonne mémoire, de circuler par les rues et le marché, comme pour nous faire insulte. Qu'ils montrent de la révérence envers tous les évêques et les clercs, et qu'ils ne se permettent pas de prendre place avant les évêques, à moins d'y être invités. Si l'un d'eux venait à se le permettre, qu'il soit puni par les juges de l’endroit, suivant sa qualité.

15. Qu'aucun chrétien ne se permette de participer aux repas des juifs. Si quelqu'un, clerc ou séculier, se le permettait – il est scandaleux de le dire –, qu'il sache qu'il sera rejeté de la société de tous les chrétiens, comme s'étant souillé par les impiétés de ces gens-là.

16. Et bien que depuis longtemps ait été fixé, non seulement par les statuts canoniques, mais aussi par la faveur des lois ce qui doit être observé au sujet des chrétiens qui sont attachés au service des juifs, soit comme prisonniers de guerre, soit par suite de quelque perfidie – étant donné que des gens se sont plaints que certains juifs établis dans les cités ou les municipes en sont venus à une telle insolence et arrogance qu'il n'y a plus moyen que les chrétiens, malgré leurs réclamations, et même au prix voulu, soient libérés de leur servitude –, pour cette raison nous décidons en ce présent concile, sous l'autorité de Dieu, qu'aucun chrétien désormais ne doit servir un juif, mais que, moyennant douze sous pour chaque esclave valide, tout chrétien ait la faculté de racheter cet esclave, soit pour la condition libre, soit pour la servitude. C'est chose scandaleuse en effet que des hommes rachetés par le Christ Seigneur par l’effusion de son sang demeurent liés par les chaînes des persécuteurs. St quelque juif refusait d'acquiescer à notre présente constitution, aussi longtemps qu'il se refusera à accepter la somme fixée, il sera loisible à l'esclave en question de demeurer chez des chrétiens, où il voudra.

17. Nous décidons tout spécialement que si un juif est convaincu d'avoir persuadé un esclave chrétien de passer à l'erreur judaïque, il soit, d'une part, dépossédé de cet esclave et d'autre part frappé de la condamnation légale.

18. Ceci encore a été décidé avec la même unanimité, étant donné que, dit-on, du fait du péché, beaucoup de gens dans l'ensemble du peuple se sont sous la pression de la convoitise, liés par des parjures : si quelqu’un est convaincu d'en avoir induit d'autres en faux témoignage ou au parjure, ou de les y avoir incités en usant de corruption, qu'il soit personnellement privé de la communion jusqu'à sa mort; quant à ceux qui ont été complices de son parjure, ils doivent être par la suite éloignés de tout témoignage.

19. Pour ceux qui sont convaincus d'avoir accusé des innocents auprès du prince ou des juges, s'il s’agit d'un clerc majeur, qu'il soit déposé de son rang et de son office, et s'il s'agit d'un séculier, qu'il soit privé de la communion jusqu'à ce qu'il répare, par la digne satisfaction d'une pénitence publique, le mal qu’il a commis.

20. Bien qu'on puisse lire sous un titre ci-dessus ce qui a été décidé au sujet des jeunes filles qui se sont consacrées au service de Dieu, de la volonté de leurs parents ou de la leur, mentionnons pourtant une moniale nommée Agnès qui, il y a quelques années, s'était enfuie de la clôture de son monastère : rappelée à ce même monastère, elle veut, paraît-il, à l'instigation du diable, donner à quelques puissants des champs et d'autres biens qui lui appartiennent, à cette clause qu'elle puisse, grâce à leur patronage, se soustraire à la clôture de son monastère et s'adonner aux voluptés du monde dans une maison discrète et privée. Nous décidons à ce sujet par la présente constitution qu'aussi bien elle que toute autre moniale qui s'imagine, par un tel calcul, se soustraire à l'habit religieux pour les attraits du monde ou donner ses biens à qui que ce soit moyennant un calcul aussi inique, qu'aussi bien elle qui a décidé de faire ce don que tous ceux qui l'ont accepté soient exclus de la grâce de la communion jusqu'à ce que, par la digne satisfaction de la pénitence, ils restituent ces biens à ceux de qui ils les avaient reçus. Ainsi, la discipline religieuse ne sera pas, Dieu nous en préserve, violée sous la pression de la convoitise.

Comme vous pouvez le constater, rien sur une éventuelle âme de la femme…

Le deuxième concile de Mâcon en 585

Ce deuxième concile a été convoqué à la demande du roi Gontran de Bourgogne qui régnait sur la Bourgogne (comme son titre l’indiquait) et puis sur la Neustrie depuis 584 alors que Clotaire II était sous sa tutelle.

Comme le concile précédent, ce concile a été présidé par Priscus.

Les participants au concile

A ce concile participèrent Priscus, évêque de l'Église de Lyon, quarante-trois évêques présents et vingt députés d'évêques absents.

Marius d’Avenches était cette fois au nombre des 43 évêques présents.

Dans le préambule, l'évêque de Lyon est désigné avec le titre de patriarche. Après avoir jugé les évêques accusés d'avoir participé à la révolte de Gondebaud, on fit vingt canons.

Les canons du second concile de Mâcon

1. Exhortation au repos dominical, que le peuple chrétien a la téméraire habitude de mépriser. Peines contre les contrevenants : si c'est un avocat qui a intenté un procès le dimanche, il le perdra ; si c'est un paysan ou un esclave, il sera frappé à coups de bâton ; si c'est un clerc ou un moine, il sera tenu six mois à l'écart de ses frères.

2. Célébration de la Semaine sainte, participation aux hymnes et aux « sacrifices », abstention de tout travail servile pendant six jours.

3. Sauf danger de mort, le baptême doit avoir lieu le jour de Pâques.

4. Tous les fidèles, hommes et femmes, doivent apporter à l'autel une offrande de pain et de vin.

5. Excommunication contre ceux qui ne paient pas la dîme ecclésiastique.

6. Qu'aucun prêtre bondé de nourriture ou enivré de vin (« confertus cibo aut crapulatus vino ») ne touche les espèces consacrées ni ne célèbre la messe.

7. Les affranchis, que les « judices » ont tendance à traiter injustement, ne peuvent pas être traînés devant les magistrats civils, mais devant l'évêque, à qui il est cependant loisible de se faire assister par un juge civil ou de lui confier le jugement.

8. Si quelqu'un se réfugie dans une église pour se soustraire au pouvoir séculier, le pouvoir séculier ne peut le saisir que par décision de l'évêque.

9. Un personnage puissant qui a des motifs d'accusation contre un évêque ne peut se saisir de lui mais doit le déférer à l'évêque métropolitain.

10. Celui qui a un grief contre un clerc subordonné à l'évêque doit le déférer à l'évêque, et c'est l'évêque qui instruira la cause.

11. Les évêques doivent pratiquer et prôner l'hospitalité.

12. Les juges séculiers doivent associer le pouvoir ecclésiastique aux délibérations dans les procès contre les veuves et les orphelins.

13. La maison épiscopale ne peut pas posséder de chiens, ce qui est contraire à sa vocation d'hospitalité.

14. Les puissants ne peuvent pas s'emparer des biens d'autrui sans procès.

15. Le laïc doit donner des signes de respect au clerc, même à celui d'un ordre mineur.

16. La veuve d'un sous-diacre, d'un exorciste ou d'un acolyte ne peut pas se remarier.

17. Interdiction d'enterrer ses morts dans le tombeau d'autres morts.

18. Menace des peines les plus graves contre les incestueux. Ce sont des gens qui « se roulent dans la merde » (« in merda convolvuntur »).

19. Aucun clerc ne peut assister aux interrogatoires des coupables ni aux exécutions.

20. Les évêques se réuniront de nouveau dans trois ans.

De nouveau, Comme vous pouvez le constater, rien sur une éventuelle âme de la femme

A l’origine de la méprise : Grégoire de Tours

De son vrai nom Georgius Florentinus Gregorius, Grégoire de Tours est né à Clermont Ferrand (ou Riom) en 538 ou 539. Il a été évêque de Tours de 573 à sa mort le 17 novembre 594 à Tours.

Grégoire de Tours est connu pour avoir rédigé « Decem libri historiarum  » (Dix livres d’histoires) qui relate une histoire universelle du monde et de l’Église de la Genèse aux règnes des rois francs en avril 591. Cette œuvre est complétée par « Libri octo miraculorum  » (Huit fameux livres) qui sont le récit de la vie des saints.

Sur les dix livres d’histoires, cinq concernent la Gaule mérovingienne, ce qui explique pourquoi son œuvre est plus connue sous le nom de « Historia francorum  » (Histoire des Francs) ou de « Gesta francorum  » (Geste des Francs).

La plus ancienne version de cette « Histoire des Francs  » est un manuscrit du 7ème siècle aujourd’hui conservé à la BNF. Cette version a été remaniée par le rédacteur.

Dans son « Histoire », Grégoire de Tours relate une question linguistique qui fut abordée lors du deuxième concile de Mâcon en 585 par un évêque (il n’a heureusement pas mentionné le nom).

Cette question n’était que d’ordre linguistique et non philosophique. Le passage dont il était question était issu de la version de la Vulgate dans le paragraphe 1 du verset 27 de la Genèse « Et creavit Deus hominem ad imaginem suam, ad imaginem Dei creavit illum, masculum et feminam creavit eos.  » (Et Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa).

Au 6ème siècle, le latin avait évolué, le mot « homo » qui autrefois désignait le genre humain ou tout être humain avait changé de sens pour ne plus désigner que l’homme. De même en latin classique, le mot « vir » était utilisé pour désigner un individu de sexe masculin, le mot « femina » pour désigner un individu de sexe féminin dans sa définition biologique (donc plus proche de femelle que de femme) ou bien le mot « mulier » pour désigner un individu de sexe féminin dans un rôle social. Avec l’évolution de la langue latine, le mot « homo » ne désignait plus qu’un individu de sexe masculin, le mot « femina » de sexe féminin, le mot « mulier » une femme qui était épouse et/ou mère, et le mot « vir » pour un individu (masculin ou féminin) qui avait la grâce.

Comme précédemment, point de discussion sur l’âme de la femme mais juste un problème linguistique sur les erreurs de compréhension d’un texte ancien.

A ce stade, il est intéressant de noter que Grégoire de Tours était évêque mais en Austrasie, donc qu’il n’a pas assisté directement à ce concile et que s’il a mentionné cette anecdote (somme toute assez banale et peu à la gloire d’un évêque qui brillait par son manque de culture) est qu’il la tenait d’un autre qui espérons en avait été le témoin direct.

De plus, la fameuse « Histoire » de Grégoire de Tours a été remaniée de nombreuses fois par des rédacteurs souvent peu respectueux du texte original et il n’est pas impossible que cette anecdote soit le fruit de l’imagination d’un copiste afin de démontrer l’inculture de certains évêques de Neustrie par rapport à ceux d’Austrasie…

Le dérapage

C’est au 16ème siècle que tout dérape et que l’affaire commence.

Lucas Osiander (l’Ancien), un pasteur de l’Église évangélique luthérienne en Wurtemberg, relata dans son « Epitomes Historiae ecclesiasticae  », édité en 1598, le fameux incident du 2ème concile de Mâcon :

De plus, on confondit lors de ce synode un évêque qui prétendait que la femme ne peut pas être appelée être humain (mulierem non posse dici hominem). Voilà bien une question sérieuse et digne d'être discutée dans un synode. Moi, j'aurais mis cet évêque à garder les porcs. Car si sa mère n'était pas un être humain, il était apparemment né d'une truie. 

Le problème linguistique était devenu un problème théologique.

Cette mauvaise interprétation de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours peut trouver son origine dans un pamphlet écrit par Valens Acidalius, un lettré allemand, et publié en 1595 sous le titre « Disputatio nova contra mulieres, qua probatur eas homines non esse  » (Nouvelle discussion contre les femmes, où je démontre qu’elles ne peuvent être des hommes). Ce pamphlet caricaturait le raisonnement des sociniens qui contestait la divinité Jésus-Christ en appliquant leur raisonnement à la non-humanité des femmes.

A la suite du texte de Valens Acidalius, Simon Gedik, un théologien luthérien allemand, ne comprit pas le côté pamphlétaire et jugea utile d’en publier une réponse « Defensio sexus muliebris  » (Une défense du sexe féminin).

En 1647, un éditeur publia à Lyon la « Disputatio  » et sa réfutation sous le titre « Sur le fait que les femmes n'ont point d'âme, et n'appartiennent pas à la race humaine, comme le prouvent maints passages des Saintes Écritures  ». Ce livre fut mis à l’index par le pape Innocent X en 1651.

L’erreur persiste

Johann Leyser, un pasteur luthérien de Francfort, publia en 1676 dans « Le triomphe de la polygamie  » en s’inspirant de Osiander :

Parmi les saints pères du concile de Mâcon, il y en eut un qui défendit l'idée que les femmes ne pouvaient pas être appelées des êtres humains. L'affaire parut si importante qu'on la débattit publiquement en présence de Dieu, et ce ne fut qu'après de vives et nombreuses controverses que l'on conclut que les femmes étaient de l'espèce humaine. 

Le débat linguistique est devenu une affaire importante qui fut débattue vivement et longuement…

Pierre Bayle, un calviniste français établi en Hollande, publia en 1697 dans son « Dictionnaire historique et critique  » en faisant référence à Leyser :

Ce que je trouve de plus étrange est de voir que dans un Concile de Mâcon, on ait gravement mis en question si les femmes étaient une créature humaine, et qu’on n’ait décidé l’affirmative qu’après un long examen. 

Le petit problème linguistique est devenu l’objet principal du concile qui ne fut tranché qu’après un long débat…

L’affaire continue…

En 1734, dans une réédition posthume du dictionnaire de Bayle, l‘abbé Laurent-Josse Leclerc inséra une note afin de préciser que l’intervention lors du concile de Mâcon n’avait porté que sur un problème grammatical. Ce rappel fut ignoré et la légende continua de s’amplifier.

En 1791, Sade écrivit dans son « Justine » :

un être malsain les trois quarts de sa vie, hors d'état de satisfaire son époux tout le temps où la nature le contraint à l'enfantement, d'une humeur aigre, acariâtre, impérieuse; tyran, si on lui laisse des droits, bas et rampant si le captive ; mais toujours faux, toujours méchant, toujours dangereux; une créature si perverse enfin, qu'il fut très sérieusement agité dans le concile de Mâcon, pendant plusieurs séances, si cet individu bizarre, aussi distinct de l'homme que l'est de l'homme le singe des bois, pouvait prétendre au titre de créature humaine, et si l'on pouvait raisonnablement le lui accorder.

En 1806, Evariste Parny, un poète français publia un poème dans « Les voyages de Céline  » :

Cessez donc vos plaintes, Mesdames, L'infaillible Église jadis À vos corps si bien arrondis Durement refusa des âmes ; De ce Concile injurieux Subsiste encor l'arrêt suprême ; Qu'importe, vous charmez les yeux, Les cœurs, les sens, et l'esprit même ; Des âmes ne feraient pas mieux. 

En 1858, Louis Julien Larcher écrivit dans « La femme jugée par l’homme  » :

En 585, dans un concile tenu à Mâcon, un évêque mit en doute que la femme appartînt à l'espèce humaine. Quant à lui, il pensait que dans tous les cas, si elle en faisait partie, elle était au moins d'une nature fort inférieure à l'homme. Plusieurs séances furent employées pour discuter sur ce point. Les avis étaient partagés. Cependant, à la fin, les partisans du beau sexe l'emportèrent, et par galanterie sans doute, messieurs les évêques voulurent bien décider que la compagne de l'homme faisait partie du genre humain.

En 1975, Benoîte Groult dans « Ainsi soit-elle  » affirme que ce débat de Mâcon est une vérité historique, elle est suivie en 1977, dans cette fausse affirmation, par Hervé Bazin dans « Ce que je crois  ».

En 1983, Pierre Darmon, dans « Mythologie de la femme  », affirme savoir que les évêques du concile de Mâcon ont voté sur la question de l’âme de la femme. En 1985, même le médiéviste Jacques Le Goff prétend qu’au 12ème siècle on ne se demande plus si les femmes avaient une âme.

Le 8 novembre 1989, Michel Rocard déclara à l’Assemblée Nationale :

Les docteurs de l’Église en France ont discuté pendant des siècles pour savoir si les femmes ont une âme. 

C’est effectivement sans surprise qu’un politicien colporte des âneries et des fausses informations dont il n’a pas vérifié les sources, à moins que ce ne soit son « intime conviction » qui lui fasse dire de telles imbécilités.

En 1991, Jacques Dalarun, dans « Histoire des femmes en Occident  », écrira :

Seul l'emploi abusif d'une allusion de Grégoire de Tours († v. 594) au concile de Mâcon de 585 a pu laisser croire que les clercs discutèrent sérieusement de savoir si la femme avait une âme.

Cette lumière n’a pourtant pas permis d’éclairer les ténèbres dans lesquelles les sots se complaisaient…

En 2005, Michel Onfray, dans « Traité d’athéologie  », va même jusqu’à affirmer que les évêques du concile de Mâcon ont discuté de l’ouvrage d’Alcidalus Valeus (souvenez- vous, le fameux « Disputatio nova  » de Valens Acidalius qui a été publié en 1595, soit plus de mille ans après le 2ème concile de Mâcon !!!).

En 2009, Philippe Brenot et Pascal Picq, dans « Le sexe, l’homme et l’évolution  », ont écrit :

À l'instar du concile de Mâcon qui niait l'existence d'une âme aux femmes 

puis

elle était bien inférieure à l'homme puisque n'ayant pas d'âme, selon la conclusion du Concile de Mâcon. 

A ce niveau, nous atteignons des sommets, non seulement les auteurs colportent une fausse information et vont jusqu’à la déformer en affirmant que le fameux concile de Mâcon avait conclu que les femmes n’avaient pas d’âme…

Conclusion de tout ceci

Comme vous avez pu le lire, aussi bien lors du 1er que lors du 2ème concile de Mâcon, aucun débat, ni aucun canon n’a porté sur la question de l’âme de la femme.

Quant à l’anecdote reportée par Grégoire de Tours à propos d’une discussion linguistique, elle est aussi sujette à caution. Grégoire de Tours, n’ayant pas assisté à aucun des deux conciles, n’a pu obtenir cette anecdote que par un autre témoin dont il n’est pas précisé que lui aussi avait aussi assisté à ce concile…

Cette anecdote, dans « Histoire des Francs  », n’a finalement peut être pas été reportée par Grégoire Tours mais par un de ses copistes peu scrupuleux de l’intégrité de l’ouvrage initial…

Ce fameux débat est le fruit de l’imagination de Valens Acidalius dans un pamphlet qui est (rappelons-le) une œuvre littéraire dont le but est de contester un pouvoir ou un homme de pouvoir sur le mode de la dénonciation, de la caricature, du dénigrement, de la raillerie, dans un style souvent vindicatif. Ce pamphlet était une raillerie (moquerie) par exagération des théories des sociniens qui refusaient la doctrine de la trinité.

Et ce pamphlet publié plus de 1000 ans après le 2ème concile de Mâcon que des gens, peu éclairés et peu instruits (ou bien trop fainéants pour vérifier leurs sources), citent afin d’évoquer un débat au sein de l’Église sur l‘existence de l’âme de la femme, fameux débat qui n’a jamais existé.

Pour finir, il convient de citer un extrait du verset 28 de l’épître aux Galates de Paul de Tarse :

Il n’y a ni Juif, ni Grec ; il n'y a ni esclave ni homme libre ; il n'y a ni masculin ni féminin ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. 




Auteur : Frédéric de Villard – Aubaud

Frédéric de Villard–Aubaud

Historien-Ecrivain
Frédéric de Villard – Aubaud est un historien de formation, docteur en histoire et archéologie égyptienne et biblique, ancien maître de conférence, ancien professeur des universités, Docteur DA en musicologie, qui a déjà écrit plusieurs livres disponibles sur Amazon et dans d'autres librairies. Voir la page de son éditeur : la pierre philosophale
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